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Jasmuel, acteur et scénariste engagé dans Petrocaribechallenge

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Jean-Samuel André alias Jasmuel, est le premier Haïtien à intégrer l’école nationale de l’humour au Canada. Il est l’un des scénaristes du film « Kafou » dans lequel il joue également le rôle principal. Ce premier script lui vaut d’être classé parmi les 25 scénaristes à suivre en 2018 dans le magazine Movie Maker. Jasmuel est aujourd’hui engagé dans la lutte contre la corruption en Haïti. Ce qui fait de lui une cible des propagandistes du statu quo. 

 

Lorsque Jasmuel nous accordait l’interview, il y a de cela quelques mois, il évitait tout commentaire sur la vie politique en Haïti. Hors camera, il explique qu’il s’agit d’un choix bien pesé. Il est à un tournant dans sa vie où il envisage de quitter Haïti avec sa femme. « Pas définitivement, insistait-il. Je veux juste que vous compreniez que Haïti n’offre pas le minimum que je souhaite à mes futurs enfants. Je vais bouger pour un temps et je retournerai certainement. » 

Parmi ceux qui ont quitté Haïti, beaucoup avaient le même raisonnement que Jasmuel. Ils ne sont jamais revenus comme prévu. Disons de préférence, qu’ils reviennent très rarement au pays natal. Le cas de Jasmuel illustre bien le dilemme qu’affrontent presque tous les jeunes Haïtiens de sa génération.

Dans un pays qui a connu la dictature pendant longtemps, l’engagement politique a toujours été l’affaire d’une minorité. C’est généralement la prérogative de ceux qui sont proches des pouvoirs. Pendant des décennies, la population a cru que toute implication dans la vie politique pouvait se révéler dangereux, voire fatale. C’est ce qui explique, en partie, la faible participation des jeunes dans les élections après la chute de la dictature des Duvalier en 1986. Les jeunes refusent ainsi d’affronter, à travers la politique, les différents problèmes auxquels ils font face au quotidien. Ils préfèrent émigrer pour laisser un pays en lambeaux au lieu de se battre pour sa rédemption.

Brusque changement de positionnement

Jasmuel est aujourd’hui l’une des figures de proue dans la lutte contre la corruption. Son implication dans le mouvement anti-corruption, le #PetroCaribeChallenge, qui  demande des comptes sur l’utilisation des fonds Petrocaribe n’est un secret pour personne. Il n’est pas à son coup d’essai en matière d’engagement social. « J’ai toujours été un activiste, sauf que je n’étais pas au front. En 2014 j’avais rédigé un spectacle de slam sur la dictature et actuellement je suis en tournée avec ce même projet « , précise t-il.

Sur sa page Facebook, il publie plus ou moins régulièrement des contenus vidéo à l’aide de l’application « MadLipz »  qui dénoncent la corruption.  L’une de ses publications qui a fait mouche est une courte partie du film « Rocky » où l’acteur Sylvester Stallone discute avec un jeune homme. Sur ce morceau, la voix off de Jasmuel, en coordination avec les lèvre de Stallone, dit ceci : « Parce qu’ils sont paniqués, ils publient un tract, et toi, tu es là à te demander si effectivement untel est homosexuel ou pas. En quoi cela peut t’aider à trouver l’argent de Petrocaribe? Sois un homme, sois brave! ». Un cocktail 

Etre au front d’une bataille n’a jamais été chose facile. C’est pour la première fois dans l’histoire d’Haïti, qu’une génération se met debout contre la corruption. Dans un passé récent, les blâmes liés aux échecs du pays ciblaient généralement les étrangers blancs, ces « envahisseurs » qui veulent maintenir Haïti à tout prix dans la pauvreté. Aujourd’hui, les regards sont tournés sur ceux qui contrôlent les manettes au sein de l’appareil public. Il s’agit d’un coup inattendu pour le statu quo. C’est pourquoi ces idéologues prennent les devants pour miner la lutte pour la transparence. Leurs affidés sont dans les rues pour enlever toute affiche qui demande où est passé l’argent de Petrocaribe. Leur arme favorite, comme d’habitude est de dénigrer certaines personnalités activement engagées. D’aucuns sont étiquetés homosexuels parce que les propagandistes savent que l’homosexualité est un sujet encore très sensible en Haïti. Avec l’argent du système, ils paient la publication de leurs contenus pour atteindre une audience maximale.

C’est mal compter sur le temps

Jasmuel est désormais un activiste public. On ne sait pas vraiment  ce qui l’a motivé pour prendre les devant ainsi … Comme lui, de nombreux jeunes de sa génération sortent de leur zone de confort pour affronter la réalité. « C’est la génération des moins de quarante ans, qui n’a pas connu la dictature et qui profite des avancées formidables des nouvelles technologies« , disait la comédienne Gaëlle Bien Aimé dans son show « Anriyan ». C’est en effet la génération qu’on a gavé de promesses de jours meilleurs et d’une démocratie florissante. En 2018, 32 ans après le départ de Duvalier, Haïti est devenu beaucoup plus pauvre. Cet étrange état de fait anime un dangereux sentiment de nostalgie de la dictature dont les partisans nourrissent l’ambition de reconquérir le pouvoir.

L’exigence de transparence dans les dépenses publiques n’est que la pointe de l’iceberg. C’est plutôt une occasion pour la jeune génération d’exprimer toutes sortes de frustrations et exiger de meilleures conditions de vie. Elle a tout essayé. L’école qu’elle fréquente n’a pas pu assurer la qualité nécessaire. Elle s’est tournée vers le Brésil, le Chili, le Mexique, les Etats-Unis et le Canada pour affronter les pires humiliations. Aujourd’hui, le vase déborde.

Rêves de jeunesse bafoués

Il rêvait être rappeur.  » J’adorais 50 Cent. C’était la période où l’album « Get rich or die trying » faisait fureur », raconte t-il passionnément. Il a commencé par écrire des textes et enregistrer des morceaux. Mais, le terrible séisme de 2010 a tout emporté.

 » J’étudiais la sociologie à la fac quoique ma mère ne savait pas forcément à quoi cela me servirait. » Sa mère s’est occupée de lui pendant que son père a fui ses responsabilités. C’est une « Madan Sara » qui vendait aussi de la friperie.  » C’est la mère classique qui veut le bien pour son fils. Elle était déçue lorsque j’ai choisi la sociologie alors qu’elle voulait que je sois médecin. » Et son fils, contre toute attente est devenu homme de scène. Elle se demandait s’il pouvait vraiment vivre de ce métier qu’elle ne comprenait encore pas.  » Après deux chèques, ma mère a du finalement accepter mon choix« , confie Jasmuel. Il n’est pas sûr qu’elle aime son choix, il est toutefois certain que sa mère comprend à quel point il adore son métier.

Premier Haïtien à l’école nationale de l’humour au Canada

Il est apparu sur scène la première fois dans la rue. Il jouait les « récréatrales », un mélange de différentes saynètes où le public était invité à jouer des rôles.  » Je ne suis jamais senti aussi libre dans ma vie auparavant. J’incarnais un fou en délire. Je ne pensais pas que je pouvais aller aussi loin dans la peau d’un personnage », explique Jasmuel.

Il a tout appris sur le terrain et par l’observation des maitres. Son potentiel lui a permis d’être le premier Haïtien à intégrer l’école nationale de l’humour au Québec. Il rédige le script (son premier) du film « Kafou » du réalisateur, Bruno Moural, qui a participé dans 24 festivals et remporté trois prix. Jasmuel est parmi les 25 scénaristes à suivre en 2018 et apparaît aux côtés de scénaristes célèbres dans le magazine américain « Movie Maker ».

Aujourd’hui, Jean-Samuel André mise sur le cinéma comme vecteur de changement social en Haïti. Il croit que le « stand-up comedy » présente beaucoup trop de limitation en ce qui concerne l’accès au grand public. Avec le cinéma, il est sûr qu’il peut atteindre une plus large audience et toucher des générations.

Je ne peux pas être bohème toute ma vie

Pour expliquer sa situation actuelle, Jasmuel évoque la phrase de Georges Bernard Shaw qui disait :  » Celui qui n’est pas communiste à vingt ans n’a pas de coeur; celui qui l’est encore à quarante ans n’a pas de tête.« 

« Je vais avoir trente ans et j’aurai probablement des enfants bientôt. Chaque jour, les responsabilités augmentent. Ces cinq dernières années, les besoins pécuniaires m’ont beaucoup interpellé. Quand je pense à ma carrière et à l’avenir je sais que je dois bien balancer mes décisions. J’assume jusqu’ici mes responsabilités dans la société. Mais si les choses s’empirent, je peux bien aller vivre ailleurs », avoue t-il un peu confus.

En 2009, le dernier cinéma à Port-au-Prince a fermé ses portes. L’Etat a dépensé plus de sept millions de dollars pour rénover le Ciné Triomphe en 2015. Construit en 1974, Triomphe ne fonctionnait plus depuis plus de 27 ans. Sa rénovation n’annonce pourtant pas de beaux jours pour le cinéma haïtien.

Comme Jasmuel, de nombreux jeunes talentueux s’engagent à fonds dans la bataille pour la transparence et la reddition de comptes. Ils ont des compétences diversifiées qui leur permettent de contribuer à leur façon à l’amplification du mouvement. Petrocaribe Challenge n’est pas uniquement les capsules vidéo de Jasmuel. Ce sont aussi des peintures, des graffitis, des caricatures, de la musique, de la poésie et aussi de l’écriture. Cette génération qui se met debout est constamment tiraillée par toutes les précarités qui lui font toujours envisager son salut à l’étranger.

 

Ralph Thomassaint Joseph

Directeur de la Publication à AyiboPost, passionné de documentaire.

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