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Insécurité et corruption gangrènent la régulation du trafic maritime en Haïti

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Des embarcations irrégulières assurant le transport sans autorisation sont «sous l’autorité des chefs de gangs», révèle à AyiboPost un cadre du SEMANAH

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Pour cause de météo défavorable, des agents du Service maritime et de Navigation d’Haïti (SEMANAH) avaient interdit le 2 juin 2023 le départ du navire Métropole qui assurait alors le trajet Anse-à-Pitres/Marigot, relate Gilbert Guichard, un inspecteur au niveau des garde-côtes, à Ayibopost.

Le capitaine du bateau a défié l’interdiction, relate le responsable.

À quelques kilomètres du port de Marigot, Métropole échoua. Deux morts et quatorze survivants ont été enregistrés, confirme à AyiboPost Erold Champagne, coordonnateur des représentations territoriales au niveau du SEMANAH.

Les incidents de ce genre se multiplient dans le pays. Selon un rapport d’accidents nautiques que Champagne a fait parvenir à la rédaction, neuf accidents de mer ont été répertoriés dans les eaux haïtiennes d’octobre 2022 à juin 2023, cumulant près de dix morts et plus d’une vingtaine de survivants.

Le capitaine du bateau a défié l’interdiction. À quelques kilomètres du port de Marigot, Métropole échoua.

Le SEMANAH doit réguler les voyages en mer. Et les garde-côtes agissent comme bras armés de l’institution.

Mais plus de cinq interviews menées par AyiboPost auprès de cadres des deux institutions révèlent des problèmes structurels, les empêchant de fonctionner et mettant en danger la vie des usagers des transports maritimes.

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Erold Champagne relève des efforts entrepris par l’institution dans un climat difficile.

Il admet cependant que certains bateaux ne sont pas enregistrés ou renouvelés au service d’immatriculation du SEMANAH, à côté de leur vétusté et des surcharges.

Selon le responsable, des embarcations irrégulières assurant le transport sans autorisation sont «sous l’autorité des chefs de gangs» et se rencontrent de plus en plus dans les points de mouillage. Les capitaines de ces navires, selon Champagne, ne se plient pas à l’autorité du SEMANAH.

Or, certains capitaines, avides de gains, doublent le nombre de passagers et de charges, entre autres, selon le coordonnateur.

Plus de cinq interviews menées par AyiboPost auprès de cadres des deux institutions révèlent des problèmes structurels, les empêchant de fonctionner et mettant en danger la vie des usagers des transports maritimes.

Tenaillés par les manques, les garde-côtes, qui sont les bras armés du SEMANAH, n’arrivent pas à remplir correctement leurs missions, selon les révélations de deux membres de l’institution à AyiboPost.

À cause de l’insécurité qui rend inaccessibles quelques artères principales du pays, beaucoup de points d’embarquement improvisés et irréguliers, où les passagers prennent des bateaux de fortune non contrôlés, fonctionnent dans le pays, confie à AyiboPost Gilbert Guichard, un inspecteur au niveau des garde-côtes. Un de ces ports illégaux se trouve à Carrefour, rapporte le responsable.

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«Les agents du SEMANAH et les garde-côtes sont sous-payés et dépourvus d’équipements appropriés», renchérit Guichard qui mentionne une allocation en carburant chétive, empêchant les inspecteurs de mener régulièrement des interventions en mer.

Souvent, «les capitaines d’équipage arrêtés pour entorses aux règlements de voyage sont relâchés à la minute près grâce à leurs accointances familiales ou politiques», regrette Guichard.

Certains bateaux ne sont pas enregistrés ou renouvelés au service d’immatriculation du SEMANAH, à côté de leur vétusté et des surcharges.

Il existe également une carence de synergie entre le SEMANAH et la Police nationale d’Haïti (PNH), selon des sources.

Lorsque les agents du SEMANAH interceptent un voilier ou un navire qui ne souscrivent pas aux règles de la navigation et qu’ils font appel au concours de la PNH, «celle-ci joue le jeu de l’indifférence, parfois en prétextant un manque d’effectif pour l’opération», selon Erold Champagne, coordonnateur au niveau du SEMANAH.

Par exemple, le nombre de passagers devrait être proportionnel au nombre de gilets de sauvetage à bord du bateau, une condition préalable au départ.

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Ancien inspecteur de bateaux, Erold révèle à AyiboPost qu’il recevait parfois des menaces de certains capitaines lorsqu’il les demandait de respecter ce principe.

Malgré des demandes répétées, AyiboPost n’a pas pu obtenir d’interview avec Cerome Carlo Elisca, directeur de la protection du milieu marin. La rédaction n’a pas réussi non plus à s’entretenir avec Éric Prévost Jr, le directeur général du Semanah.

Ancien inspecteur de bateaux, Erold révèle à AyiboPost qu’il recevait parfois des menaces de certains capitaines lorsqu’il les demandait de respecter ce principe.

Un problème de corruption semble terrasser la supervision étatique du trafic maritime en Haïti, selon une source interrogée par AyiboPost.

Amos Pierre-Louis, un jeune homme originaire de Cabaret, soutient avoir personnellement assisté à une scène choquante le 8 juin 2023 dans le wharf de Jérémie. Un inspecteur du SEMANAH aurait levé une interdiction de départ pour un bateau, après un «échange d’argent», malgré une météo défavorable.

«Le voyage était très pénible», souligne le jeune homme à AyiboPost.

La mer était très agitée. Les bourrasques et les coups de vagues frappaient péniblement le bateau qui tanguait à tribord et à bâbord, avec des mouvements qui mimaient la violence saccadée des flots, décrit le jeune homme. «La centaine de passagers du bateau avait la nausée», déplore Pierre-Louis, qui dit avoir eu des sueurs froides.

Le SEMANAH se trouve sous la tutelle du ministère des Travaux publics, Transports et Communications (MTPTC). Selon un décret ministériel adopté en mars 1982, l’institution régule et contrôle les eaux maritimes haïtiennes, qu’elles soient côtières, régulières ou internationales.

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La navigation en mer en Haïti est depuis 2017 régie par le «code maritime et de navigation», voté en 2017 par le parlement haïtien.

Lorsque les agents du SEMANAH interceptent un voilier ou un navire qui ne souscrivent pas aux règles de la navigation et qu’ils font appel au concours de la PNH, «celle-ci joue le jeu de l’indifférence, parfois en prétextant un manque d’effectif pour l’opération».

Selon ce cadre légal, les navires qui battent pavillon haïtien et qui voguent dans les eaux territoriales du pays doivent notamment obtenir un permis de navigabilité, établir une liste de passagers dûment identifiés qui doit être signée par le capitaine ou tout autre membre d’équipage mandaté, ne pas surcharger les embarcations, etc.

Les dysfonctionnements dans le système de contrôle inquiètent la société civile. Dans une note publique datée du 26 juin 2023, la Plate-forme des Organisations haïtiennes des Droits Humains (POHDH) décrit le fait que des agents n’hésitent pas à se laisser soudoyer par les marins et les capitaines des embarcations de transport public pour leur donner des autorisations de voyage, au mépris des risques que les gens encourent.

D’après Alermy Piervilus, un responsable de la POHDH interviewé par AyiboPost, ces dysfonctionnements sont «une épée de Damoclès pointée implacablement sur la vie des personnes qui voyagent par voie de mer en Haïti ».

Par Junior Legrand

Image de couverture : Des travaux de réparation à l’île de la Gonâve et à la Côte des Arcadins en novembre 2020. | © SEMANAH/Facebook


Visionnez notre reportage spécial publié en avril 2023 sur le voyage clandestin en mer, communément appelé «pran kanntè» en Haïti :


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Junior Legrand est journaliste à AyiboPost depuis avril 2023. Il a été rédacteur à Sibelle Haïti, un journal en ligne.

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