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Les gangs multiplient les attaques contre les bateaux au large de Port-au-Prince

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Comme mode opératoire, les bandits utilisent des bateaux de pêche motorisés, ce qui rend leur capacité d’action beaucoup plus rapide

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Il était trois heures de l’après-midi le 23 juin 2023, lorsque l’embarcation «La vie des enfants», chargée de marchandises et transportant une centaine de personnes à bord, quitte le wharf Jérémie en direction de la commune de l’Arcahaie.

Une légère brise balayait l’horizon et «au cours du voyage, la mer n’était pas mauvaise», déclare Holdy, un passager qui se trouvait à bord du bateau.

«La vie des enfants» était accompagnée de deux autres petits bateaux «Pa Prese di sa» et «Maranatha», qui voguaient un peu plus en arrière.

Tout à coup, vers les cinq heures, une chaloupe contenant plusieurs hommes encagoulés et lourdement armés fait irruption et pourchasse l’un des deux bateaux.

Alertés par un passager de la présence des bandits qui poursuivaient le premier bateau, les membres de l’équipage «La vie des enfants» ont tenté d’accélérer. Cependant, leurs efforts ont été vains, car l’embarcation était surchargée de marchandises et de passagers.

Rapidement, les deux premières embarcations sont capturées puis détournées de force sous la houlette des bandits armés, jusqu’aux environs de la Minoterie, une zone sous le contrôle du gang «5 Secondes» du Village de Dieu.

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Puis, vient le tour du voilier «La vie des enfants». Les passagers étaient visiblement désemparés lorsque cinq hommes masqués ont pris place à bord de la chaloupe. Trois d’entre eux ont saisi tous les téléphones. Et après les fouilles, ils ont roué de coups le capitaine Bereno Louis.

Les passagers étaient visiblement désemparés lorsque cinq hommes masqués ont pris place à bord de la chaloupe.

Aux environs de sept heures, «les bandits sont entrés dans leur fief avec nous, au niveau de la Minoterie», raconte Holdy, qui se souvient également avoir entendu des coups de feu lors de l’assassinat brutal du capitaine Bereno Louis. Son cadavre fut brûlé dans les environs.

Les passagers ont passé la nuit dans le fief des bandits. Le lendemain, ils seront tous embarqués sur un seul des voiliers en direction de l’Arcahaie aux environs de midi.

L’embarcation «La vie des enfants» sera détruit par les bandits, près de deux mois après les faits. Daniel Pierre, propriétaire du voilier révèle avoir «dépensé [en vain] 150 000 gourdes pour récupérer l’embarcation». L’intransigeance des bandits laisse ce père de famille, qui exerce le cabotage depuis 1997, sans autres recours.

«Les marchandises que transportait le bateau pouvaient être évaluées à 650 000 gourdes», déclare Kervens Lubin, capitaine du voilier.

Aux environs de sept heures, les bandits sont entrés dans leur fief avec nous, au niveau de la Minoterie.

Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Des membres du fameux gang «5 Secondes», insatisfaits de contrôler le tronçon de Martissant qui mène vers le sud du pays, pourchassent violemment et séquestrent contre rançon de plus en plus de petits voiliers à destination de Carrefour ou de l’Arcahaie, apprend AyiboPost à travers des interviews réalisées dans le secteur du cabotage.

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Les attaques se multiplient alors que les tronçons terrestres deviennent de moins en moins praticables en raison de la violence des gangs.

Comme mode opératoire, les bandits utilisent des bateaux de pêche motorisés, ce qui rend leur capacité d’action beaucoup plus rapide dans un contexte où les embarcations ordinaires sont lentes et souvent remplies de marchandises, explique à AyiboPost Gilbert Guichard, inspecteur au niveau du Garde-Côte haïtien.

Selon des témoignages, les bandits possèdent également des jumelles afin de repérer les bateaux à distance.

Au moins 53 personnes ont été victimes de piraterie au cours de ce trimestre. Ce qui représente 35,33 % des cas d’enlèvements dans le pays pour cette période.

«Au début, les rapts s’enregistraient au niveau de Cité-Soleil. Mais, à un certain moment, quand les services des Garde-Côtes ont commencé à surveiller les environs, les bandits sont allés opérer au niveau de la Minoterie d’Haïti », précise Gilbert Guichard.

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En 2023, plusieurs cas notables ont été répertoriés par le Service maritime et de Navigation d’Haïti (SEMANAH).

On peut mentionner, entre autres, les attaques contre le voilier « Dye Inosan » en février 2023, le rapt de « Pa prese di sa » en avril 2022 et plus récemment, en juin, le détournement des trois voiliers susmentionnés.

La SEMANAH admet son impuissance. «L’institution ne dispose pas d’un bras armé, il incombe au service de Garde-Côte de prendre ses responsabilités », déclare Érold Champagne, son coordonnateur des représentations territoriales.

Les Garde-Côte sont aussi impuissants. Gilbert Guichard mentionne qu’ils ne disposent pas de moyens et de matériel efficaces pour sillonner les mers. L’inspecteur mentionne entre autres un manque persistant de carburant, la défectuosité des bateaux de patrouille, etc.

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Jean-Marie Djouly, l’épouse du capitaine Bereno Louis de l’embarcation « La vie des enfants », a appris la nouvelle du décès de son mari vers trois heures du matin le 24 juin 2023. «Lorsque j’ai appris la nouvelle de sa mort, témoigne à AyiboPost la mère de trois enfants, j’avais l’impression de perdre mon discernement».

Aujourd’hui, Jean-Marie Djouly doit compter sur la générosité de certains proches pour soutenir ses enfants.

Par Jérôme Wendy Norestyl

© Image de couverture : David Lorens Mentor/AyiboPost


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Journaliste-rédacteur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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