À cause de l’insécurité, les opportunités, déjà rares, le deviennent de plus en plus
Beatrice Jean Baptiste était stressée, même si rien ne transparaissait sur son visage. C’était son premier jour de travail en tant qu’infirmière à domicile, une pratique qui n’est pas très répandue en Haïti. Devant elle, une partie de la famille de la patiente dont elle va s’occuper la questionne. Ce n’est ni une entrevue ni une chaleureuse bienvenue. On la teste. Le fils de la patiente était médecin, gynécologue pour être précis. « On sentait qu’il cherchait à évaluer si j’étais la personne idéale pour prendre soin de sa mère », raconte Jean Baptiste.
Après ses études à l’école nationale d’infirmière, en 2018, la professionnelle n’avait pas encore eu d’expérience pertinente. Mais elle a été embauchée par la famille. « Je devais prendre soin d’une patiente qui avait de sérieux problèmes aux poumons, et qui était dépendante à l’oxygène », explique-t-elle.
De concert avec Nadine Nelson, une autre infirmière de la même promotion qu’elle, Beatrice Jean Baptiste devait s’assurer de prodiguer des soins semblables à ceux que la patiente aurait reçus à l’hôpital. C’était en 2020, en pleine pandémie de coronavirus, et les comorbidités pouvaient être fatales pour les patients. Les deux infirmières se relayaient, matin et soir, pour prendre soin de leur patiente.
Nadine Nelson, l’autre infirmière, a elle aussi fréquenté l’école nationale des infirmières dont elle est licenciée. C’était aussi sa première expérience. « C’est quelqu’un qui nous avait référées, se rappelle-t-elle. Contrairement à d’autres pays, il n’est pas facile de trouver ce type d’emploi en Haïti. Ce sont les gens qui ont des moyens économiques intéressants, qui le font. »
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La jeune professionnelle a déjà travaillé à deux reprises avec des personnes d’un âge avancé, nécessitant des soins chez elles. Mais à cause de l’insécurité, les opportunités, déjà rares, le deviennent de plus en plus.
« J’étais chargée de prendre soin d’une autre personne diabétique, dont il fallait panser les plaies, dit Nadine Nelson. Tout allait bien. Mais les parents de la malade ont décidé de quitter le pays, vu tout ce qui s’y passe. Ils sont partis avec elle. »
Cela a privé l’infirmière d’une source de revenus, qu’elle n’arrive pas à récupérer. Depuis plus d’un an, Nadine Nelson se retrouve au chômage. « Le salaire varie selon le malade, l’horaire de travail, etc. Mais j’étais payée entre 15 000 et 17 500 gourdes », dit-elle.
Le travail des infirmières à domicile dépend largement des soins que nécessite le patient. Selon Béatrice Jean Baptiste, même si ce sont les mêmes médicaments, et globalement les mêmes soins que ceux qu’il reçoit à l’hôpital, le patient est dans ces cas-là entièrement dépendant des infirmières.
« Au début, j’étais paniquée, se souvient Béatrice Jean Baptiste. C’est une grande responsabilité. Dans un hôpital, on peut compter sur les autres infirmières, mais dans une maison où on est responsable du patient, il faut savoir décider vite, bien, et surtout seule. Sinon tout ce qui arrive de mal est de notre faute. »
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Le plus important, selon l’infirmière, c’est de gagner la confiance du patient et de sa famille. « Le mari de la patiente était toujours avec moi, et suivait à la lettre tout ce que je faisais. Il questionnait tout le temps mes gestes. Je devais avoir la patience de lui dire pourquoi j’avais fait telle chose, et non telle autre. Puis il a fini par me laisser faire, parce qu’il voyait que je savais ce que je faisais. »
Les deux infirmières ont aussi connu une autre difficulté. Le fils de la patiente, ayant une formation de médecin, et connaissant bien sa mère, leur disait parfois ce qu’il pensait qu’elles devaient faire. Mais le médecin traitant leur donnait d’autres consignes. Il fallait non seulement ne pas froisser les proches, mais aussi respecter les directives du médecin.
« C’était compliqué d’être ainsi pris entre deux feux, se souvient Béatrice. Mais en tant qu’infirmière, je devais trancher, en sachant que les retombées, si elles étaient négatives, me tomberaient sur la tête. Il fallait aussi coordonner tout le temps avec ma remplaçante, pour savoir dans quel sens trancher. »
Ces expériences, selon Béatrice Jean Baptiste, sont très importantes. Mais elles ne remplacent pas l’environnement de l’hôpital, qui est le principal lieu de travail d’une infirmière. « Dans un hôpital, on trouve une multitude de cas, de pathologies différentes qu’il faut connaître, et pour lesquels les suivis ne sont pas les mêmes », fait-elle remarquer.
Nadine Nelson, qui est au chômage depuis plus d’un an, après sa deuxième expérience en tant qu’infirmière à domicile, sauterait sans hésiter sur nouvelle opportunité du même genre. Elle veut émigrer ailleurs. Et ces expériences peuvent l’aider, croit-elle, vu que dans d’autres pays, les infirmières jouissent d’une plus grande considération. L’idée de quitter le pays ne cesse pas de revenir dans l’esprit de Jean Baptiste non plus. L’infirmière travaille actuellement dans un hôpital, à temps partiel, et n’attend qu’une opportunité pour mettre les voiles vers un pays où ses connaissances seraient mieux valorisées.
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