SOCIÉTÉ

Humiliations, racisme, moqueries… des étudiants haïtiens en France vivent l’enfer

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Près d’un étudiant sur cinq estimait avoir connu une différence de traitement du fait de ses origines supposées, selon une étude sortie en 2020 par l’Union Nationale des Étudiants de France

Plusieurs centaines d’étudiants haïtiens utilisent les plateformes telles que Campus France pour se faire admettre dans des universités françaises. Mais une fois arrivée dans ce pays, l’expérience n’est pas toujours des plus agréables.

Jenny-Flore Désamours a quitté Haïti en 2018, après son admission à l’université de Picardie Jules Verne. Elle y a obtenu son diplôme de master en science politique, et poursuit actuellement un autre programme de maîtrise en science de l’éducation.

Lorsque le premier jour de son master, Désamours a remarqué que les étudiants français ne s’asseyaient pas à côté d’elle, elle n’a pas tout de suite pensé au racisme.

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« Ils laissaient deux rangées de bancs avant et après la place à laquelle j’étais assise, témoigne la jeune dame à AyiboPost. Pendant longtemps, je me suis aussi sentie invisible aux yeux des professeurs. Aucun n’a jamais noté que dans les groupes de travail les blancs restaient entre eux, sans mixité. »

Puis petit à petit, la jeune femme s’est rendu compte que ces comportements étaient systématiques, et qu’ils étaient réservés en général aux étudiants noirs, comme elle. Humiliations, moqueries et absence de camaraderie étaient son lot quotidien. L’expérience l’a tellement marquée qu’elle en a écrit un livre, Le racisme n’a pas de couleur, qu’elle compte publier bientôt.

Jenny-Flore Désamours a quitté Haïti en 2018

Mais à part le racisme dont certains sont victimes, les difficultés d’adaptation ont presque découragé plus d’un. Près d’un étudiant sur cinq estimait avoir connu une différence de traitement du fait de ses origines supposées, selon une étude sortie en 2020 par l’Union Nationale des Étudiants de France. 57 % des interrogés expliquaient ne pas savoir comment signaler un comportement raciste dans leur établissement d’enseignement supérieur.

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Bonhomme S. poursuit actuellement un master en France en politiques sociales. S’adapter lui a pris du temps. « Ce n’est pas le même système, explique-t-elle. Même pour trouver un stage, c’est difficile. Depuis mon arrivée, je n’ai eu que des réponses négatives aux différentes demandes de stages que j’ai effectuées. (…) Je ne sais pas si c’est à cause de ma photo [sur le CV] ou parce que je suis noire, mais je n’ai eu aucun retour à mes candidatures. »

Une jeune étudiante réalisant un master en France, explique le calvaire psychologique qu’elle a dû surmonter durant sa première année de maîtrise.

« Un jour, j’avais pleuré parce que un des étudiants avait enlevé sa chaise quand il avait remarqué que je m’étais assise à côté de lui, raconte la dame. J’étais comme invisible pour eux. J’étais choquée par leurs réactions. On ne nous considère pas. La vie des étudiants noirs n’est pas facile ici. Tout ce qui est noir est mal… C’est une malédiction d’être noire en France ! »

Cette dernière est encore en France pour la suite de son master, mais souhaite garder l’anonymat. Aujourd’hui encore, elle témoigne d’un sentiment d’emprisonnement et d’une colère face au gouvernement haïtien.

Pendant longtemps, je me suis aussi sentie invisible aux yeux des professeurs. Aucun n’a jamais noté que dans les groupes de travail les blancs restaient entre eux, sans mixité.

« J’avais des crises d’étouffement, j’avais envie de dégager ma douleur avec un cri, dit-elle. Je me sentais diminuée. J’étais mal à l’aise durant l’année scolaire. Je pleurais tous les jours. (…) Je n’arrivais plus à me concentrer pour les révisions et je ne dormais plus. Je hais les dirigeants de mon pays. Ils sont responsables de cette humiliation que je viens prendre ici. »

Si pour plusieurs étudiants haïtiens en France l’expérience n’est pas toujours très agréable, elle n’est cependant pas toujours aussi violente. Pour certain comme N. C., c’est surtout l’avenir dans son pays d’adoption qui l’inquiète. En France depuis cinq ans, N.C. poursuit actuellement un master en production audiovisuelle. Elle déclare n’avoir jamais vécu de discrimination.

« Durant les premières années de mon séjour en France cela n’a pas toujours été facile de socialiser avec des jeunes français de mon âge, car nous n’avions pas les mêmes références culturelles. Sinon, j’ai toujours eu une bonne expérience étudiante. »

Cependant, avec les élections en approche et la question migratoire remise au goût du jour en marge de la crise Russo-Ukrainienne, elle s’inquiète pour l’avenir.

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« En ce moment dans les médias, souvent, il y a un discours anti-immigration. Ce type de discours provoque une certaine forme d’incertitude par rapport à mon avenir, notamment en France que je n’avais pas avant. »

Selon le site de Campus France, pour 2020 2021, 3 896 étudiants haïtiens se trouvaient en situation de « mobilité vers la France », faisant de ce pays la première destination estudiantine des Haïtiens. 60 % des étudiants haïtiens en France sont au niveau licence, et seulement 5 % en doctorat.

Les difficultés auxquelles font face ceux qui partent sont aussi d’ordre économique. Donald Cavalier témoigne que la dévaluation de la monnaie haïtienne face à l’euro ne joue pas en sa faveur. « Il faut 150 gourdes pour un euro, dit-il. Je n’ai pas de boulot et je ne suis pas boursier. Alors, considérant les prix des loyers qui varient de 350 à 800 €, la scolarité et les dépenses quotidiennes, quelle que soit la somme qu’on nous envoie d’Haïti, elle ne suffit pas. »

J’étais comme invisible pour eux. J’étais choquée par leurs réactions. On ne nous considère pas. La vie des étudiants noirs n’est pas facile ici. Tout ce qui est noir est mal… C’est une malédiction d’être noire en France !

Chaque année, l’engouement des jeunes pour la France ne faiblit pas. À l’angle de l’avenue Christophe et de la Fleur du chêne se trouve l’Institut d’études et de recherches africaines. C’est l’une des entités de l’Université d’État d’Haïti. Dans l’enceinte de cette faculté, on a aménagé un espace qui ressemble à un cybercafé de fortune. Les étudiants l’appellent le laboratoire.

C’est là qu’ils se retrouvent pour discuter, pianoter sur leurs ordinateurs, recharger leurs téléphones, et préparer ensemble leur dossier de candidature à Campus France, e-candidat ou Parcours Sup. Ces programmes permettent aux étudiants étrangers d’aller poursuivre leurs études dans des institutions françaises. Plusieurs étudiants de l’IERAH en ont déjà bénéficié.

Si les relations dues à l’histoire coloniale expliquent cette proximité entre Haïti et la France, la migration estudiantine cache parfois un désir de fuir le pays. C’est ce que pense Jean Émile Paul, historien et enseignant à l’université.

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Il affirme que les situations de crise, telles que les menaces politiques sous la dictature, ou encore le tremblement de terre du 12 janvier 2010 ont encouragé des vagues migratoires, en particulier de professionnels et d’étudiants.

« Ils partent avec l’avantage de pouvoir réaliser des études et de meilleures chances d’intégration dans les pays d’accueil du fait de leur parcours scolaire, d’après Jean Émile Paul. C’est ce que nous avons connu sous la dictature. Une grande partie des professionnels haïtiens sont partis et sont devenus enseignants en Afrique, au Canada, etc. »

Cependant, partir n’est pas donné à tout le monde, précise l’enseignant. « Le visa est une cagnotte, quel que soit le profil de la personne qui en fait la demande. Il peut parfois être difficile d’en obtenir un. Avant même les discriminations une fois en France, il faut déjà faire face aux discriminations durant la procédure. »

Lorsque je suis arrivée, l’année en licence coûtait 170 euros, le master coûtait 243 euros. Maintenant ils coûtent respectivement 2770 euros et 3770 euros. Seule l’année de Doctorat n’a pas changé, à 380 euros

Les conditions d’obtention d’un visa pour aller étudier en France deviennent de plus en plus exigeantes, estiment certains étudiants. Ils établissent un probable lien entre le durcissement des conditions et le climat d’insécurité du pays, qui encourage les jeunes à partir.

Reina C. est étudiante à l’université d’État d’Haïti. Cette année, elle est candidate pour la quatrième fois au programme Campus France. Les fois précédentes, malgré une attestation d’admission à l’université, elle n’a pas obtenu de visa. Ils sont plusieurs dans cette situation. Il existe des raisons diverses à un refus pour le visa étudiant.

Selon Reina C., l’entretien pédagogique qui accompagne la demande de visa est une nouvelle barrière pour filtrer les étudiants qui souhaitent faire l’expérience des études en France. « Ça s’appelle un entretien pédagogique et pourtant, ils vous posent surtout des questions sur les motifs du voyage. Ils veulent savoir si vous comptez rester ou revenir après vos études. Ils veulent vous entendre dire que vous rentrerez au pays après. »

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Cet entretien, d’après l’historien Eddy Lucien, se dresse en intermédiaire entre les universités et l’ambassade. Cette année, plusieurs universités inscrites dans le programme Campus France exigent que les étudiants ressortissants de pays étrangers, en particulier ceux dont le français n’est pas la première langue d’expression, justifient un certain niveau de français. Cependant, le test est payant, et certains avouent ne pas pouvoir enlever cette dépense de leur budget pour la candidature.

C’est le cas de Adrien Daphné.

La jeune femme, licenciée en comptabilité, en est à sa deuxième candidature. Elle affirme n’avoir jamais entendu parler, l’année dernière, de ce test, lors de sa première inscription. « J’avais déjà rassemblé une somme l’année dernière. J’avais mis de l’argent de côté, et depuis mon refus, je refuse d’y toucher afin de refaire cette année une demande de visa. Je ne peux pas me permettre de dépenser de l’argent à tout va. »

En plus du test, il faut prouver, à travers un entretien, que non seulement vos intentions sont purement pédagogiques, mais aussi que vous maîtrisez bien et pouvez-vous exprimer en français. « L’homme qui m’a passé mon interview cette année m’a confié qu’il avait reçu des étudiants qui n’avaient selon lui aucune chance d’être admis parce qu’ils avaient toujours des lacunes en expression française », d’après Reina C.

Ça s’appelle un entretien pédagogique et pourtant, ils vous posent surtout des questions sur les motifs du voyage. Ils veulent savoir si vous comptez rester ou revenir après vos études. Ils veulent vous entendre dire que vous rentrerez au pays après.

Stéphan B. Qui a passé son entretien pendant le mois de janvier déclare que son interlocuteur a essayé de le déstabiliser en lui posant des questions qui n’avaient rien à voir avec les études.

« Il m’a demandé le nom des cours que j’avais choisi, le nom des villes. Il m’a demandé si je ne préférais pas rester en Haïti pour trouver du travail et faire mon master. Quand je lui ai dit que je ne comprenais pas sa remarque, il m’a simplement rétorqué que je ne devais pas avoir le niveau suffisant en français pour comprendre une phrase simple. »

Adrien Daphné témoigne du déroulement de sa propre interview : « ils vous posent des questions comme à un examen, pour s’assurer que vous connaissez bien la leçon, dit-elle. Ils vous demandent les villes que vous avez choisies, leur nom, pourquoi, et certains ont même eu droit à la fameuse question : allez-vous revenir en Haïti ou encore ; qu’allez-vous étudier ? »

Pour Adrien Daphné, qui candidate cette année encore, « la procédure est stressante et les motifs de refus sont variés et souvent la justification n’est pas assez claire. » La jeune comptable a obtenu deux refus de suite pour un visa en 2021. Pourtant, elle avait en sa possession l’attestation d’acceptation de l’université, et le projet d’étude qui détaillait les motifs du voyage.

Cet article a été mis à jour. 11.39 15.03.2022

Melissa Béralus est diplômée en beaux-arts de l’École Nationale des Arts d’Haïti, étudiante en Histoire de l’Art et Archéologie. Peintre et écrivain, elle enseigne actuellement le créole haïtien et le dessin à l’école secondaire.

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