« Haïti n’est pas un pays à construire, mais un pays à détruire »
Ce samedi 13 août, en attendant le bus devant nous récupérer sur la place des artistes au Champs de mars, nous discutions entre Elanistes, histoire de se familiariser. Sur la place étaient aussi présents quelques marchands, des garçons de rue, et quelques personnes qui prenaient du bon temps.
Soudain, des éclats de rire vinrent perturber ce calme matinal. Des « nèg lari a » viennent se regrouper près de nous pour se moquer de la fameuse « Krèk koko », bien connue sur nos réseaux sociaux. Par pur hasard, ou plutôt nous ayant identifié comme de potentielles cibles pour quémander quelques pièces, un des garçons s’approcha de nous et nous aborda (Figaro et moi) en français. Etonnés, nous avions décidé de poursuivre la conversation en cette langue le plus naturellement possible afin qu’il ne se sente pas complexé. C’est aussi à ce moment là que débute une histoire aussi émouvante pour lui que pour nous!
Sous les regards curieux des passants et des autres Elanistes, il commença à nous raconter ses périples dans la rue qui depuis tantôt vingt ans est son toit. Orphelin, il y évolue depuis ses cinq ans. Agé aujourd’hui de 25 ans, il dit qu’il a tout appris de la rue, même la langue française. Voulant mieux le connaitre pour le comprendre, je commençai par lui demander son nom, ses motivations et ce qu’il a comme rêve. La réponse de Junior fut des plus touchantes: « Je veux faire des centres pour alphabétiser tout nèg lari tankou m yo ».
A ma tentative de le réconforter, il a répondu « Haïti n’est pas un pays à construire, mais un pays à détruire. Nou pa gen finish, pa gen okenn kote nou prale. Pa gen wout pou nou, nou pa gen plas nou nan peyi a. Mwen konn fè senk jou san manje, si yo pa banm mpap pran. Sa boss la banm nan se li m pran » comme pour répondre à ma question à savoir pourquoi boire de la bière alors qu’il avait faim.
Junior, devenu inconsolable, s’est éloigné de nous. Nous sommes partis après lui, et il nous a avoué que parler de tout ça lui rappelle sa mère et qu’en fait, ça le dérange parce qu’il est habitué à être seul au monde, sans personne sur qui compter.
Figaro et moi dans notre souci de lui remonter le moral, lui avons expliqué qu’il devait penser positivement et créer son proche chemin car il est maitre de sa vie. « Mwen konn fè atizana men mwen pa gen mwayen, lè w nan lari a ou paka deside; yo deside pou ou », se lamenta-t-il.
Nous étions convaincus de son potentiel, on s’investissait corps et âme pour le convaincre qu’il pouvait changer son destin s’il le voulait mais il cassa l’ambiance en nous disant « ti cheri m grangou la, mwen wè ou vle sansibilize m, se paske ou beni ki fè m ap pale avè w la toujou ».
Avant même de pouvoir lui donner la réplique, le bus était là et nous devions partir. Je lui ai promis que je reviendrais le voir et lui, il a promis qu’il ferait des efforts, mais après avoir mangé!
Stéphanie D. Lamarre
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