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Haïti sous les griffes des changements climatiques

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Ces dernières années, les périodes sèches et pluvieuses surviennent dans le pays avec une irrégularité déconcertante, affectant sérieusement la planification du calendrier agricole à l’échelle du pays

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Les changements climatiques qui amplifient les catastrophes naturelles frappent Haïti de plein fouet dans un contexte de faible financement des capacités de résilience et d’adaptation du pays, selon des experts contactés par AyiboPost.

Entre 2001 et 2008, les tempêtes violentes ont engendré des pertes agricoles évaluées à 101 millions de dollars américains. En 2016, l’ouragan Matthew a dévasté le grand Sud du pays, causant des pertes énormes évaluées  à près de 38 milliards de gourdes selon un rapport d’évaluation du ministère de l’Agriculture.  Une situation qui tend à s’accentuer avec les années.

Pourtant, le financement international fait défaut pour lutter contre les effets du réchauffement climatique sur le secteur agricole, selon des spécialistes. «Haïti doit pouvoir développer des stratégies de financement local», analyse l’ingénieur agronome Christin Calixte, un ancien cadre du ministère de l’Agriculture, détenteur d’une maîtrise en gestion de l’environnement.

Entre 2001 et 2008, les tempêtes violentes ont engendré des pertes agricoles évaluées à 101 millions de dollars américains.

Le réchauffement climatique entraîne une augmentation progressive de la température moyenne à l’échelle de la planète. Il s’explique par divers facteurs, dont les émissions de gaz à effet de serre issus des activités humaines, dans l’atmosphère. Le phénomène constitue l’un des facteurs qui affectent profondément l’agriculture en Haïti, aggravant les conditions de production des paysans déjà abandonnés par l’État, en plus de l’absence d’investissements notables dans le secteur agricole et de l’activité des gangs armés poussant les agriculteurs à abandonner leurs terres.

À Montagne la Voûte, section communale de Jacmel, les cultivateurs sont pratiquement démunis face à la pénurie de pluie qui dure depuis plus de trois ans. «Je suis cultivateur depuis au moins 2010. C’est la première fois que je suis témoin d’une telle sécheresse », relate à AyiboPost Inique Deslouches, cultivateur à Montagne la Voûte. « Tout est perdu ! La pluie ne tombe pas », explique-t-il.

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Normalement, au mois de mai, les cultivateurs de cette section communale récoltent des haricots et se préparent à semer le petit mil. Mais ce n’est plus cas depuis au moins trois ans.

Le réchauffement climatique entraine une augmentation progressive de la température moyenne à l’échelle de la planète.

«Haïti subit déjà de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique», déclare David Noncent, docteur en études climatiques et chercheur membre de l’équipe de recherche sur les changements climatiques à l’université Quisqueya.

Si pour les spécialistes, le positionnement géographique d’Haïti dans le bassin caribéen lui confère une grande biodiversité, ce même positionnement le met aussi sur la route de terribles catastrophes naturelles, notamment les cyclones, les tempêtes, les inondations, les sécheresses et les ouragans tropicaux de plus en plus imprévisibles et dévastateurs. Une situation que les dérèglements climatiques ne cessent d’aggraver.

Ces dernières années, les périodes sèches et pluvieuses surviennent dans le pays avec une irrégularité déconcertante, affectant sérieusement la planification du calendrier agricole à l’échelle du pays, avec des impacts considérables sur les cultures pluviales telles que le maïs et les haricots.

«Avec les changements climatiques, nous assistons à une alternance d’extrêmes», déclare David Noncent.

Si pour les spécialistes, le positionnement géographique d’Haïti dans le bassin caribéen lui confère une grande biodiversité, ce même positionnement le met aussi sur la route de terribles catastrophes naturelles.

En effet, des périodes de canicule peuvent être suivies de violents ouragans tropicaux, causant des inondations et des pertes énormes.

« Le secteur agricole est le secteur le plus vulnérable aux changements climatiques », déclare Raoul Vital, directeur de l’Observatoire national de la qualité de l’Environnement et de la Vulnérabilité du ministère de l’Environnement. «Les conditions météorologiques intensifiées par le réchauffement climatique ont profondément bouleversé l’agriculture haïtienne, qui dépend en grande partie des précipitations», ajoute-t-il.

Dans la vallée de l’Artibonite, des milliers de cultivateurs sont aux abois face à la pénurie d’eau pour arroser leurs terres. Cette situation entraîne l’abandon de plusieurs dizaines d’hectares cultivables, alors qu’Haïti fait face à une crise alimentaire aiguë.

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Au mois de mars 2023,  la Coordination nationale de la Sécurité alimentaire a rapporté que 4,9 millions d’Haïtiens  sont dans l’insécurité alimentaire.

En 2012, une étude réalisée par cette même institution a évalué à plus de 80 millions de dollars les pertes occasionnées par les épisodes de sécheresse en Haïti pour le secteur agricole.

« C’est la désolation ici », regrette Joseph Lamour, agronome et formateur agricole au niveau de Jacmel. Plantes et animaux sont tous frappés par le phénomène. Par manque d’eau, les plantes se dessèchent et ne donnent pas de fruits. Les animaux ne donnent plus autant de portées qu’ils en donnaient avant. « Les chèvres par exemple qui pouvaient donner jusqu’à trois portées par année ne donnent qu’une seule, par miracle. C’est l’économie paysanne qui se trouve prise dans l’engrenage », se plaint-il.

Par manque d’eau, les plantes se dessèchent et ne donnent pas de fruits. Les animaux ne donnent plus autant de portées qu’ils en donnaient avant.

Des recherches effectuées dans le cadre de la thèse de doctorat de David Noncent ont montré une tendance que ces périodes sèches soient de plus en plus fréquentes dans les années à venir en Haïti, mettant en grand danger le bétail ainsi que certaines cultures.

En 2012, le Programme des Nations-Unies pour le développement a prévu  une diminution allant de 6 à 20 % de la quantité de pluie tombée dans le pays, une augmentation de la température moyenne de 0,8 à 1 °C à l’horizon de 2030 ainsi qu’une augmentation du niveau moyen de la mer de 0,5 à 0,7 mètre durant cette même période. Ces événements sont susceptibles de mettre en péril une superficie de plus de 21 000 hectares de terres agricoles irriguées dans diverses zones côtières, dont les départements des Nippes, de l’Artibonite et du Nord-Ouest.

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La salinisation des sols cultivables due à l’inondation des zones côtières par les eaux marines constitue l’une des menaces majeures auquel le secteur agricole haïtien devra faire face. Selon le Plan national d’Adaptation de 2006 élaboré par le ministère de l’Agriculture, plus de 38 463 ha de terres dont 63 % se trouvant dans l’Artibonite sont menacés de salinisation. Une étude produite par l’Université Quisqueya met en relief les communes de L’Estère, de Grande Saline, de Saint-Marc et de Desdunes, parmi les plus concernées par la salinisation. Ceci affecte déjà les cultures de maïs, de riz et de haricot dans la vallée, selon cette même étude.

Il faut ajouter le café et le petit mil à la liste des cultures frappées par le réchauffement climatique.

Une étude produite par l’Université Quisqueya met en relief les communes de L’Estère, de Grande Saline, de Saint-Marc et de Desdunes, parmi les plus concernées par la salinisation.

Si des documents stratégiques à l’instar du Plan national d’Adaptation ont été élaborés par Haïti en vue d’établir des lignes prioritaires dans sa lutte contre les changements climatiques, il est toutefois juste de les questionner dans les faits en raison des problèmes liés entre autres à la bonne gouvernance et aux difficultés de trouver des financements.

Raoul Vital reconnaît l’urgence pour Haïti de s’adapter aux changements climatiques. Cependant, dit-il, «un petit État insulaire comme Haïti ne peut pas s’adapter s’il n’a pas des moyens financiers et techniques adéquats.»

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Ne produisant que 0,3 tonne de dioxyde de carbone par habitant, selon la Banque mondiale, Haïti est pourtant l’un des pays les plus touchés par les changements climatiques. Certains spécialistes parlent d’injustice climatique des pays industriels pollueurs comme les États-Unis, la France ou le Canada, envers les pays pollués face à ce constat.

Dans cette optique, divers fonds de financement dont le Fonds vert pour le climat, mécanisme de financement de l’Organisation des Nations unies a été mis sur pied. L’objectif de cette initiative consiste à réunir 100 milliards de dollars chaque année en vue d’aider les pays  victimes à faire face aux changements climatiques.

Cependant, l’accès à ces fonds demeure un énorme casse-tête pour les pays éligibles, dont Haïti.

« La complexité des procédures pour avoir accès à ces fonds rend la tâche difficile pour les pays », analyse l’ingénieur-agronome Christin Calixte.

Certains spécialistes parlent d’injustice climatique des pays industriels pollueurs comme les États-Unis, la France ou le Canada, envers les pays pollués face à ce constat.

Toutefois, on ne peut ignorer le contexte international marqué par la guerre, les problèmes migratoires et la récession économique d’après Covid-19 mettant les principaux pays contributeurs en grande difficulté, nuance-t-il.

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Il faut aussi tenir compte des exigences faites en matière de bonne gouvernance et de transparence pour avoir accès à ces fonds. «Ce qui met Haïti en de très mauvaises postures», dit Calixte.

Pour pallier ces faiblesses, certains financements que reçoit Haïti, dont le fonds vert pour le climat, sont obligés de passer par des instances Onusiennes et non par les autorités haïtiennes.

En mai 2023, pour la première fois de son Histoire, Haïti figure parmi les sept pays au monde où l’insécurité alimentaire est la plus aiguë, selon le dernier rapport de la FAO. Les dérèglements climatiques — qui aggravent les problèmes de développements existants — font partie des principales causes qui expliquent cette situation.

En mai 2023, pour la première fois de son Histoire, Haïti figure parmi les sept pays au monde où l’insécurité alimentaire est la plus aiguë.

Dans ce contexte de crise alimentaire aiguë et de difficulté à trouver de l’aide internationale, il est d’importance capitale qu’Haïti puisse commencer à développer des stratégies de financement local impliquant l’État et le secteur privé pour faire face aux effets du réchauffement climatique. Il est également crucial que le pays adopte de bonnes pratiques en matière de gestion, de gouvernance et de transparence dans l’utilisation des fonds, conclut Calixte.

Par Wethzer Piercin


Visionnez notre rencontre avec les responsables de la Forêt des Pins en 2021, sur l’importance de ce trésor écologique en Haïti :

© Image de couverture : jcomp/freepik


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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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