SOCIÉTÉ

Haïti : les hôpitaux dépassés par les évènements

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Plusieurs hôpitaux d’Haïti signalent à AyiboPost un problème d’approvisionnement en fournitures médicales et un manque criant de personnel soignant alors que les patients continuent d’affluer

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À Tabarre, les Médecins sans frontières (MSF) reçoivent dix patients, dont des blessés par balles graves, par jour. Pour faire face à l’afflux inhabituel, l’institution a rajouté plus d’une vingtaine de lits, selon les révélations à AyiboPost du directeur Jean Marc Biquet.

À cause de la violence des gangs ces derniers jours, les ports et l’aéroport d’Haïti sont fermés. MSF et d’autres hopitaux craingent la «rupture de stock» en intrants médicaux dans un contexte où le sang reste difficile à trouver alors que les médecins rencontrent des difficultés pour se rendre au travail.

MSF continue de travailler, mais «nous sommes inquiets», admet Biquet.

En rupture de stock bien avant la dégradation de la situation sécuritaire, l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH), plus grand centre hospitalier du pays, est aujourd’hui hors service, selon les déclarations de son directeur Jude Milcé à AyiboPost.

La fermeture de ce centre, et de nombreux autres, met une pression extraordinaire sur les rares hôpitaux encore en service à Port-au-Prince.

malade à l'hopital général

Une malade abandonnée à l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) début mars 2024. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost

«Nous sommes dépassés par les événements», relate à AyiboPost Jean Philippe Lerbourg, directeur médical à l’Hôpital Universitaire La Paix de Delmas 33.

Depuis le 29 février jusqu’au 7 mars 2024, le centre a reçu 69 victimes de projectiles et des dizaines d’autres blessés. «Les femmes enceintes affluent vers l’hôpital à cause de la fermeture d’autres structures», rapporte Lerbourg.

À l’hôpital Saint-Boniface de Fonds-des-Blancs, il arrive que les médecins tentent des «opérations» sans avoir de sang en stock, révèle à AyiboPost le Dr Guerrier Berthony, chef du service de gynécologie de cet établissement.

Le jeudi 22 février 2024, le responsable du Programme national de sécurité transfusionnelle avait annoncé un problème de production au niveau du service à cause d’un manque de matériels et de réactifs.

Ce problème persiste alors que Saint-Boniface enregistre un afflux de patients inhabituel, selon Dr Berthony.

L’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH), plus grand centre hospitalier du pays, est aujourd’hui hors service, selon les déclarations de son directeur Jude Milcé à AyiboPost.

Les compagnies fournisseurs d’oxygène en Haïti sont également prises au piège des affrontements des gangs. Ceci affecte grandement leur capacité de production.

«Nous rencontrons des difficultés pour trouver les matières premières afin de produire de l’oxygène à cause de la fermeture des ports», explique à AyiboPost Bernard Chauvet, PDG de la société Industrial Dynamics.

En fonction des demandes, la compagnie produisait 400 bouteilles d’oxygène par jour. Mais aujourd’hui, selon Chauvet, la structure ne produit ni ne vend aucun tube.

Dans cette situation, les hôpitaux doivent s’adapter.

L’hôpital Universitaire La Paix utilise 100 bonbonnes d’oxygène chaque trois jours.

À cause de la pénurie en cours, «nous utilisons l’oxygène pur que pour des cas qui sont très graves», déclare le directeur général du centre hospitalier, Dr Paul Junior Fontilus.

Vue de l’intérieur d’une salle à l’HUEH abandonnée avec des malades.

Zanmi Lasante existe depuis 1983 et fournit des soins dans les endroits les plus pauvres et les plus reculés du pays à travers dix-sept institutions sanitaires.

En difficulté pour alimenter en intrants et en médicaments son réseau à cause des gangs qui occupent les routes nationales, l’institution jette son dévolu sur le transport aérien, selon sa directrice Venia Vicieres.

Cette crise d’intrant se profile sur un problème structurel d’émigration de médecins, boosté encore plus dans les dernières années par les crises économiques et sécuritaires.

Depuis le dernier exercice fiscal, l’HUEH a perdu 180 membres de son personnel.

Le centre hospitalier comptait 1032 employés pour l’exercice 2022-2023. Ce chiffre est passé à 852, selon les données fournies à AyiboPost par Ermeline Delva, chef de service des ressources humaines.

Rebecca Gaëtano est interne à l’HUEH depuis près d’un an.

«En tant que jeune médecin, je vis difficilement cette situation», dit-elle à AyiboPost.

Le mental du personnel se trouve fortement éprouvé.

«Parfois, je me sens au bord du burnout et cela a des répercussions sur ma performance en tant que personnel de la santé», témoigne le médecin qui a dû laisser sa famille à Gressier en raison de la violence des gangs armés pour s’installer chez un proche à Carrefour Feuille.

Après l’invasion des gangs dans le bidonville en août 2023, Gaëtano s’est réinstallé chez un proche à proximité de l’HUEH.

Des patients n’ayant nulle part où se réfugier sont restés à l’HUEH, déjà abandonné en raison de la violence des gangs dans la zone.

L’institution a un dortoir, mais il est « insalubre ». Il n’y a « pas d’eau courante, pas assez de lits et tous les besoins liés à une installation confortable et adaptée ne sont pas respectés », selon Gaëtano.

Des études rapportent que 40 % des médecins formés en Haïti fuient le pays. 13 % d’entre eux trouvent refuge aux États-Unis.

Lire aussi : Haïti en danger : l’insécurité pousse les médecins spécialisés à quitter le pays

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un rapport de 2017, le pays compte en moyenne 5,9 médecins ou infirmières, et 6,5 professionnels de santé pour chaque 10 000 habitants. Ces chiffres sont très loin des recommandations minimales de l’OMS.

L’hôpital Universitaire La Paix a perdu plusieurs de ses cadres médecins. La plupart de ceux qui sont encore dans le pays craignent de se rendre à l’hôpital.

«Avant, nous effectuions dix à quinze opérations par jour», indique le Dr Fontilus. «Nous sommes maintenant passés à cinq opérations par jour».

À l’hôpital Saint-Damien, le seul hôpital pédiatrique oncologique du pays, le nombre de patients diminue en raison du problème de l’insécurité dans la zone de Tabarre, selon l’officier en communication de l’institution Hadson Archange Albert.

De 2019 à 2023, le service est passé respectivement à 89, 68, 61, 47 et 42 cas.

Un cadavre abandonné à l’Hôpital Univerité d’ÉTat d’Haïti début mars 2024.

L’hôpital Fontaine de Cité Soleil — dont la zone a été envahie par les bandits en novembre 2023 — se retrouve en sous-effectif. «Huit médecins sur quatorze ont quitté le pays via le Programme humanitarian parole», informe son responsable, Jose Ulysse qui rajoute que le centre prend soin d’une dizaine de bébés abandonnés par leurs parents. 

Dans une note parue le mercredi 6 mars 2024, l’Association des Hôpitaux Privés d’Haïti (AHPH) lance un SOS sur l’état critique des centres hospitaliers.
«La situation d’insécurité généralisée qui prévaut dans le pays a gravement entravé nos opérations», peut-on lire dans la note. «Notre personnel médical éprouve d’énormes difficultés à se déplacer en toute sécurité, mettant ainsi en péril la continuité des soins.»
Note Association Hôpitaux Privés Haïti

Note de l’Association des Hôpitaux Privés d’Haïti (AHPH) sur la détérioration de la situation du pays affectant les centres hospitaliers.

Selon l’AHPH, de nombreux hôpitaux ont été victimes d’attaque violente et de vandalisme, et «nous faisons face à des pénuries sévères d’intrants médicaux essentiels, de carburant et d’oxygène, ce qui compromet sérieusement notre capacité à répondre aux besoins médicaux urgents de nos patients.»

Par Fenel Pélissier, Lucnise Duquereste et Widlore Mérancourt

Image de couverture : Une patiente inconsolable crie aux secours du ciel à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH). | © Jean Feguens Regala/AyiboPost


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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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