Dû à la crise actuelle qui a débuté en septembre 2022, le ralentissement des activités des ports du pays paralyse la production et les services d’entreprises haïtiennes et portera un coup dur sur les finances publiques
Depuis tantôt deux semaines, les activités sont à l’arrêt chez CARISA, une entreprise haïtienne produisant des hot-dogs, du salami et des mortadelles. Cette suspension résulte d’un manque de matière première pour la chaîne de production couplé à une rupture de stock du diesel pour alimenter les différentes opérations.
« Des conteneurs réfrigérés de l’entreprise remplis de viandes de poulet sont bloqués au terminal de Port-au-Prince depuis tantôt deux mois », fait savoir Gaëlle Rivière Wulff, une responsable de la boite. Pour assurer la conservation des produits hautement périssables, l’entreprise débourse quotidiennement 150 dollars US pour l’alimentation en énergie de chacun des six conteneurs.
Le cas de CARISA illustre les difficultés auxquelles font face certaines entreprises, plus particulièrement celles de l’agroalimentaire, qui attendent de la douane des volumes importants de produits non encore livrés à cause de la crise actuelle.
L’entreprise débourse quotidiennement 150 dollars US…
« Les différents ports du pays notamment ceux à Port-au-Prince sont dysfonctionnels. Les inspecteurs douaniers brillent par leur absence, ce qui ralentit considérablement le processus de vérification des produits avant leur livraison », relate le broker Thélémaque Charles.
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Or, les règlements douaniers imposent 21 jours francs aux clients pour déclarer leur marchandise au système douanier. Passé ce délai, ils sont soumis à une amende évaluée à 5 % de la valeur du prix de dédouanement de leur marchandise, ajoute Charles.
Le bureau central de l’Administration générale des douanes (AGD) de La Saline n’est plus opérationnel. L’insécurité qui prévaut dans cette zone et la crise actuelle obligent l’administration douanière à s’installer temporairement au niveau de la douane de l’aéroport international Toussaint Louverture.
Les différents ports du pays notamment ceux à Port-au-Prince sont dysfonctionnels.
Ce déplacement ralentit les opérations au wharf de Port-au-Prince, le plus important port du pays. « Les clients obtiennent un service limité puisqu’on n’est pas en mesure de leur livrer des marchandises. Le processus de vérification ne peut pas se poursuivre à cause de la situation actuelle », dit Clifford St Jean, responsable de communication de l’AGD.
Les douanes des villes de province et frontalières tentent timidement de tenir le coup, d’après St Jean, mais le contrôle reste limité. Ceci demeure un grand risque pour le pays. Selon le communicant, des médicaments et autres produits interdits, dangereux ou contrefaits, peuvent facilement envahir le marché dans un contexte ou l’État perd chaque année environ un demi-milliard de dollars américains à cause des contrebandes et taxes non payées.
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Depuis le début de la crise au commencement du mois de septembre 2022, aucune activité de dédouanement n’a eu lieu. Les ports du pays sont débordés et ne peuvent presque plus recevoir de nouvelles commandes à cause de leur incapacité de stockage. Des bateaux de marchandises qui devaient accoster en Haïti se dirigent vers les ports d’autres pays de la région, selon des sources.
Des médicaments et autres produits interdits, dangereux ou contrefaits, peuvent facilement envahir le marché…
Des conteneurs de CARISA et ceux d’autres entreprises se trouvent actuellement dans d’autres ports à l’étranger. « On ne sait pas encore si l’on va payer pour le stockage », lâche Wulff.
L’impact du dysfonctionnement de la douane et des ports du pays se fait déjà ressentir sur les prix des produits de première nécessité dans les supermarchés. « Je crois que le dysfonctionnement de la douane est pour beaucoup dans l’augmentation des prix. Près de 70% des produits consommés en Haïti sont importés. Voilà que la plupart de ces produits arrivent à la douane de Port-au-Prince et ne peuvent pas être dédouanés et livrés. », déclare le responsable de communication de la douane.
Les bateaux de riz accostent au wharf de Port-au-Prince une à deux fois par mois. Après le processus de dédouanement, l’emballage est réalisé sur place bien avant la distribution. « Voilà que dans une telle conjoncture, aucun agent douanier ne peut être présent pour faciliter les opérations de dédouanement. Du coup, les entrepreneurs qui détenaient un important stockage de produits (bien avant la crise) profitent de l’occasion pour les écouler au prix fort pendant la rareté », détaille le communiquant.
À Port Lafito par exemple, une pénalité de 20 dollars US par jour est imposée sur les conteneurs de 45 pieds après un délai de 30 jours.
Malgré la crise, les importateurs ne vont pas mettre en veilleuse les règlements sur le stockage des marchandises. À Port Lafito par exemple, une pénalité de 20 dollars US par jour est imposée sur les conteneurs de 45 pieds après un délai de 30 jours.
« Il y a aussi la facturation des pénalités du DECSA qui regroupent les lignes maritimes, explique le broker Thélémaque Charles. Cette entité fixe un délai aux importateurs pour libérer les conteneurs afin de les retourner dans le pays où a eu lieu la commande. Le prix du DECSA varie entre 70 à 150 dollars par jour selon la taille du conteneur. »
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Le ralentissement des activités de la douane portera un coup dur sur les finances publiques.
« Mais toutes les données ne sont pas encore disponibles pour pouvoir analyser clairement l’impact financier de la crise », relate l’économiste Enomy Germain.
Selon les chiffres du département de statistique de l’AGD, l’institution a collecté pour le mois d’octobre 2022 un milliard neuf cent quatre-vingt-cinq millions de gourdes. Les chiffres avoisinent trois milliards quarante-deux millions de gourdes pour le mois de septembre 2022. Alors que l’institution avait perçu de 7 milliards de gourdes durant le mois d’août de cette année.
Photo de couverture : © APN
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