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Dans la Grand’Anse, les violeurs d’enfants paient pour échapper à la prison

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C’est une pratique établie : une grande partie des cas sont transférés par devant un notaire pour des ententes à l’amiable, en marge de la loi

Cinq jours après la période de Pâques en avril 2022, des habitants de Corail, dans le département de la Grand’Anse, ont découvert une adolescente dont les vêtements étaient déchirés et tachés de sang. Elle était incapable de se tenir debout.

Très vite, la jeune fille sera identifiée comme Dora, une enfant de seize ans qui est sortie danser le rara le 16 avril 2022. Elle raconte avoir été interceptée, droguée, séquestrée et sexuellement abusée par une dizaine d’hommes.

Ce cas s’inscrit dans un contexte d’abus sexuels systématiques sur des enfants dans le département de la Grand’Anse. Des membres de la société civile et des organisations de défense des droits humains reprochent aux autorités judiciaires leur laxisme coupable, qui pousse souvent les parents à signer par-devant notaire des accords de désistement en échange de fortes sommes d’argent.

Ce cas s’inscrit dans un contexte d’abus sexuels systématiques sur des enfants dans le département de la Grand’Anse.

Des cas de viols sont recensés dans presque toutes les quatorze communes du département. Les zones les plus touchées sont Pestel, Corail, Anse d’Hainault, Abricots et Beaumont.

Pour le début de l’année 2023, l’Initiative départementale contre la traite et le trafic des enfants (IDETTE) a déjà documenté une quinzaine de cas de viols sur des enfants.

Dans un rapport publié le 23 janvier 2023, l’IDETTE dénombre 149 cas de viols (violences sexuelles et séquestrations) pour l’année précédente, impliquant 131 filles âgées de trois à dix-sept ans et 16 jeunes femmes âgées de dix-huit ans ou plus.

Selon le coordonnateur de l’IDETTE, Gérald Guillaume, 2022 a été l’année où le plus grand nombre de viols ont été enregistrés dans le département. En 2021, l’institution n’avait recensé que 107 cas.

Des cas de viols sont recensés dans presque toutes les quatorze communes du département.

Interviewé par AyiboPost, l’inspecteur divisionnaire et responsable de La Brigade de Protection des Mineurs (BPM) dans le département de la Grand’Anse, Amose René Hyppolite, dit avoir dénombré douze cas de viols et d’agressions sexuelles sur des mineurs pour le début de l’année 2023.

La BPM a documenté 117 cas de viols sur des mineurs (violences sexuelles et agressions sexuelles) et douze cas de viols sur des personnes majeures pour l’année 2022.

Et en octobre 2020, un rapport d’enquête de la Solidarite Fanm Ayisyèn (SOFA) expliquait que pendant la période de confinement liée à l’apparition du Covid-19, une vingtaine d’écolières âgées entre treize et dix-sept ans de l’École la Prophétie sont tombées enceintes à Beaumont, une autre commune de la Grand’Anse.

La commune de Corail où habite l’adolescente Dora se trouve à 44 km de la ville de Jérémie, chef-lieu du département.

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Selon le certificat de plainte déposée en date du 21 avril 2022 au bureau de la BPM et dont AyiboPost a obtenu une copie de manière confidentielle, les nommés Bal-Anse Donaldson, Nawè ainsi connu et Naydè ainsi connu sont accusés d’avoir séquestré et agressé la jeune fille.

Le nommé «Nawè», accusé d’être l’auteur principal du crime, a été arrêté par la police. Il sera libéré rapidement à la faveur d’une action en «habeas corpus». Le recours en Habeas corpus permet à un individu arrêté ou détenu illégalement de recouvrer sa liberté. Ces deux conditions sont essentielles pour justifier un habeas corpus : soit l’arrestation est illégale, soit la détention l’est.

Lors d’une entrevue avec AyiboPost, la tutrice de Dora, Ocnane Jeanty, révèle que des membres de la famille de Nawè étaient venus la menacer après sa libération. «Ils m’ont fait savoir qu’ils ont payé 100 000 gourdes pour obtenir sa libération», déclare la dame.

Contacté par AyiboPost, le commissaire du gouvernement de Jérémie, André Mary Pyram, a indiqué avoir effectué son travail en transférant les dossiers au cabinet d’instruction. Il a ajouté que la suite de l’affaire était désormais du ressort du juge d’instruction. Toutefois, le juge en question n’a pas pu être joint par téléphone.

Orpheline de père, l’adolescente habite sous une tente depuis le séisme du 14 aout 2021.

Dora n’avait que treize ans en 2019 lorsqu’elle a été abusée de la même manière par des individus non identifiés. Orpheline de père, l’adolescente habite sous une tente depuis le séisme du 14 aout 2021. Elle est aujourd’hui en 9e année fondamentale.

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La corruption traverse l’ensemble de l’appareil judiciaire dans la Grand’Anse, dénoncent plusieurs personnalités du département contactées par AyiboPost. En fait, les agresseurs paient. Ils paient pour obtenir leur libération en marge de la loi. Ils paient pour acheter le silence des familles victimes, selon l’organisation féministe dénommée Groupe d’Appui au Développement du Sud (GADES). La structure accompagne des femmes victimes de violences sexuelles.

«Souvent, lorsque nous nous rendons au tribunal pour représenter les victimes, nous apprenons que les agresseurs ont déjà été libérés», explique Dialie Elysée, coordinatrice de la cellule de Duchity pour GADES. «Cette situation met en grand danger les victimes et les membres de notre organisation», ajoute-t-elle.

Les agresseurs paient pour obtenir leur libération en marge de la loi.

À cause de la faiblesse de la justice, certaines familles préfèrent opter pour la négociation plutôt que de poursuivre l’affaire devant les tribunaux. «Même lorsqu’une affaire est portée devant la justice», le commissaire du gouvernement encourage les parties à négocier, constate Gérald Guillaume de l’IDETTE.

Dans ces cas, continue le défenseur des droits humains, les victimes signent des actes de désistement devant un notaire moyennant des montants se situant entre 50 000 et 100 000 gourdes.

La directrice de l’Institut de Bien-être social et de Recherche (IBESR) de la Grand’Anse, Garlène Dupoux, confirme à AyiboPost l’existence de cette pratique. «Les victimes d’agressions sexuelles ne portent pas plainte au niveau de la justice parce qu’elles savent qu’il n’y aura aucun suivi », explique-t-elle.

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Légalement, un accord à l’amiable entre la victime et son agresseur ne peut empêcher les autorités judiciaires de poursuivre des violeurs présumés. Le commissaire du gouvernement de la ville de Jérémie, André Mary Pyram, admet sa participation à cette pratique. Il précise cependant que tous les actes de désistement ne sont pas signés dans son bureau.«Je ne me mêle pas des accords conclus par devant un notaire», a-t-il déclaré.

La dernière assise criminelle organisée dans la Grand’Anse remonte à 2018. Pour les quatorze communes du département, il n’y a qu’un seul juge d’instruction.

Dans son rapport du 23 janvier 2023, IDETTE accuse le commissaire André Mary Pyram d’avoir libéré plus de 50 personnes inculpées de viols sur mineurs en octobre 2022.

© Photo de couverture : lebledparle

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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