Des constructions anarchiques sur la mine salinière de Trou-Couleuvre présentent «un véritable danger qui peut avoir des conséquences fâcheuses pour l’avenir de la production de sel aux Gonaïves», alarme un propriétaire de quatre bassins de sel
Des constructions anarchiques sur la mine salinière de Trou-Couleuvre menacent l’avenir de l’une des deux plus grandes poches de production de sel aux Gonaïves. C’est ce qu’affirment des habitants et entrepreneurs de la zone à AyiboPost.
Les Gonaïves se placent dans la liste des localités productrices de sel en Haïti. La haute salinité de l’eau de mer fait de la région l’un des meilleurs endroits pour la production de sel marin.
Ces constructions anarchiques, bien qu’elles puissent soulager les petites bourses, mécontentent les propriétaires des bassins de sel.
Widelande Dort, une femme approchant la trentaine, réside sur le site de la mine de Trou-Couleuvre depuis septembre 2019. Mère de quatre enfants, elle a quitté Bigot, une zone située à l’entrée de la ville, pour s’installer dans cet espace sur les conseils d’une commère qui lui a vanté le prix abordable des terres.
Si elle a pu s’établir à peu de frais dans la zone, le salpêtre, qui grimpe le long des murs de son taudis délabré à tôles, endommage la construction progressivement, au point qu’elle est obligée d’y effectuer plusieurs réparations à intervalles serrés.
«Je suis dans une impasse économique, car l’entretien de la maison grignote de temps en temps mes maigres revenus», se désole la mère de famille, veuve.
La localité de Trou-couleuvre se trouve en périphérie de la ville des Gonaïves et représente, avec celui de Raboteau, l’un des deux plus grands bassins de production de sel non iodé de la commune.
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La localité compte plus d’une cinquantaine de bassins saliniers autour desquels se tissent des relations commerciales entre les propriétaires et les petits vendeurs de sel quotidiens sur le marché local.
Delfrance habite la place. Pour lui, le coût élevé de la location d’une maison convenable en plein cœur de la ville, pouvant varier de 25 000 à 75 000 gourdes selon l’emplacement, a motivé sa décision d’habiter sur le site de la mine de sel avec ses trois enfants.
«C’est notre dernier recours», raconte l’homme qui vend des billets de loterie pour assurer la subsistance de ses enfants.
À trou-couleuvre, à la lisière des bassins saliniers, les maisons se découpent sur un fond de misère, décrépites et ravagées par le salpêtre.
De part et d’autre, ces cabanes faites de carton, de tôles ondulées couvertes de rouille, exhibent leur anachronisme, tandis que celles construites à partir de blocs éventrés ne donnent pas l’impression qu’elles résisteraient aux premières secousses d’un cyclone ou d’un coup de vent.
Légitime Julien réside dans la zone depuis sept ans. Père de sept enfants, l’homme admet qu’il enregistre des déficits en matière de réparations par rapport à l’état de sa demeure.
«Le sel prend environ quatre à six mois, à la rigueur une année, pour commencer à ronger les constructions», relate-t-il.
Cette ceinture aux allures de bidonville qui se resserre sur la mine salinière inquiète les propriétaires de bassins de sel.
Antoine Cénoble, 57 ans, monte au créneau.
«C’est un véritable danger qui peut avoir des conséquences fâcheuses pour l’avenir de la production de sel aux Gonaïves», raisonne celui qui est propriétaire de quatre bassins de sel.
Ces constructions peuvent non seulement galvauder la production de sel. Mais, ce sont aussi de véritables dangers, car «l’effet du salpêtre les affaiblit et elles ne sont pas assurées sur le long terme», déplore l’homme, soucieux.
Les bassins saliniers sont généralement des excavations de plusieurs pieds dans les marais salants, bordées de talus. À l’intérieur de ces bassins, on ajoute de l’eau ainsi que des feuilles d’arbres appelées criste-marine pour favoriser la cristallisation du sel.
La consommation individuelle de sel en Haïti, estimée à environ 35 grammes par jour en 2012, est bien loin de la recommandation de 4 grammes par jour de l’OMS. En d’autres termes, la consommation de sel en Haïti est supérieure d’environ 8,75 fois à la recommandation de l’OMS, ce qui soulève des préoccupations majeures pour la santé publique.
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Des zones comme Grande Saline, Gonaïves, Aquin, Fort-Liberté et Anse-Rouge y sont des poches de production importantes.
Pour le pasteur Gordon Chéry, 67 ans, propriétaire de trois bassins de sel, les constructions anarchiques à Trou-Couleuvre ont commencé dans les années 2015 pour s’amplifier dans les cinq dernières années.
Malgré les protestations des propriétaires de bassins saliniers, certaines personnes vont même jusqu’à construire leurs maisons presque au fond des bassins.
Ces espaces, en bordure de la mer, ne sont pas épargnés par les aléas naturels.
«Les dégâts sont considérables dans la zone lorsque la Quinte, en période de crue, descend et bat vigoureusement l’espace de la Saline», relate Chéry.
Fort de 40 km avec un bassin de 700 km2, cette rivière cause des dommages considérables en période de crue. Un exemple remonte à 2004 lors de l’ouragan Jeanne qui a causé la mort de plus de 3000 personnes dans la quatrième ville du pays.
Pluie de balles, dégainement de couteaux et de machettes… les conflits entre propriétaires de marais salants et les nouveaux venus se dérapent parfois, selon le pasteur Gordon Chéry.
Ces constructions peuvent également être illégales.
Le code national du bâtiment d’Haïti (CNBH), dans son édition de janvier 2013, dans sa section 1.2, exige l’obtention d’un permis de la municipalité pour l’érection d’une construction, ainsi que des informations indiquant que le terrain n’est pas situé dans une zone à risque ou protégée, entre autres.
Cependant, à Trou-Couleuvre, il semble que les gens passent outre ces formalités.
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Le propriétaire de bassins, Antoine Cénoble, confie à AyiboPost que dans la localité, l’octroi des portions de terre se fait dans un désordre total, sous le regard absent des autorités de la ville.
«Les gens s’approprient indûment des terres, et parfois ce sont des particuliers sans aucun titre qui les vendent à la sauvette pour des sommes dérisoires», déplore-t-il.
Cénoble se rappelle encore cet épisode de mars 2023, où il a chassé un homme qui plantait des pieux sur un terrain qu’il avait acheté pour y faire un bassin de sel, empêchant celui-ci de le vendre à son insu.
Donald Diogène, le maire intérimaire de la ville, reconnait à AyiboPost le 22 février 2023 le caractère anarchique et illégal de ces constructions sur l’espace des marais salants.
Tout en soutenant que des efforts sont enclenchés pour répondre à ce problème avec l’aide de la protection civile, le maire laisse transparaître l’impuissance de la municipalité.
«Nous n’avons pas la marge de manœuvre nécessaire pour entreprendre de grandes actions, car la mairie souffre cruellement d’un manque de ressources financières. Nous n’arrivons même pas à régler nos arriérés de salaire», regrette-t-il.
Mais surtout, de nombreuses personnes dans la ville souffrent d’un problème de logement.
Par Wilno Casimir & Junior Legrand
Les photos sont de Wilno Casimir.
Image de couverture : une femme en train de travailler dans une mine de sel. | © Franck Chaput
Visionnez cette vidéo explicative d’AyiboPost sur les effets de la consommation de sel déficient en iode:
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