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Femmes et hommes redoutent l’alopécie en Haïti

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Ce n’est pas une maladie. Mais ses conséquences, souvent difficiles à supporter, demeurent très visibles

Gaëlle Cormier avait treize ans lorsque les premiers signes se sont manifestés. « Parfois, je regardais d’autres filles qui ont de beaux cheveux et je me retenais de pleurer », confie l’adolescente atteinte d’alopécie. De la casse, puis une perte continue de cheveux au niveau des tempes. Et aujourd’hui, c’est la chute régulière du reste de ses cheveux que constate l’écolière, impuissante.

« La chute de cheveux qui conduit à l’alopécie est le résultat d’une réponse périphérique qui est donnée par suite d’une transformation de la testostérone en dihydrotestostérone sous l’action d’un enzyme appelé 5-alpha réductase », note le dermatologue Roldan Célestin, responsable du Centre de traitement capillaire de Delmas 31. « L’alopécie n’est pas une maladie en tant que telle », d’après la spécialiste.

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En clair, toute personne peut en être atteinte. Car la testostérone, une hormone chargée de développer les appareils sexuels secondaires à la puberté, est présente aussi bien chez la femme que chez l’homme.

L’alopécie est communément appelée « chauve » quand elle touche les hommes. Dans ce cas, elle est dite androgénique parce que tous les membres d’une même famille peuvent en être victimes. Lorsque c’est le cas, les signes se manifestent souvent de très tôt. Selon le docteur Célestin, plus l’alopécie commence tôt, plus elle peut être mal traitée et difficile à gérer. Dans le cas de l’homme totalement chauve, « il devient un potentiel candidat pour le carcinome épidermoïde » qui est la deuxième forme la plus courante du cancer de la peau.

Patrick Pierre Paul souffrant de calvitie depuis l’age de 22 ans

L’alopécie n’est pas toujours prise au sérieux. La famille de Gaëlle Cormier parle de « simple chute » des cheveux. « Une de mes tantes me préparait des traitements à base d’ingrédients naturels », explique la jeune fille de quinze ans. Mais aucun réel changement n’a été constaté. En classe de neuvième, la situation a empiré. « Je n’avais presque plus une branche de cheveux sur les tempes », révèle-t-elle.

C’est en octobre 2021, lorsque ses parents l’emmènent enfin voir un médecin, que Gaëlle Cormier a appris la vraie cause de son problème.

Dans la famille Pierre Paul, les hommes aussi bien que les femmes sont « chauves. » Patrick n’a pas échappé à la règle. À 22 ans, non seulement ses cheveux étaient devenus fins, à chaque fois qu’il passait les doigts dans sa crinière, il les voyait tomber. Patrick Pierre Paul n’a rien fait pour pallier le problème. « Je pensais que c’était dû au stress », lâche-t-il.

« Lorsqu’une traction a lieu, il y a généralement blessure, analyse Celestin. S’ensuit donc un processus de cicatrisation. Si la traction a lieu au niveau de la racine, et compte tenu du nombre de temps écoulé, les cheveux ne pourront plus repousser ».

Les diagnostics formels de médecins ont conclu à une calvitie héritée des « gènes de chauves » des membres de la famille de Patrick Pierre Paul.

La mauvaise santé influe sur le problème. Le docteur Célestin prend en exemple une personne anémiée. « Le mécanisme de défense de celle-ci sait que son corps souffre. Il priorisera donc les organes vitaux comme le cœur et le cerveau lors de la distribution du sang ». Par conséquent, la racine des cheveux n’en recevra pas, quoiqu’elle en ait besoin pour que les hormones et nutriments qui parviennent aux cheveux puissent réagir.

En d’autres termes, l’anémie peut marcher de pair avec la chute des cheveux.

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Toute perte de cheveux n’est pas nécessairement pathologique. Il faut considérer les circonstances et de la quantité de cheveux arrachée. « Durant une période allant de deux à huit ans, explique Roldan Célestin, les cheveux connaissent une phase de croissance. Ils enregistrent ensuite une phase de repos durant laquelle ils ne grandissent pas. Et enfin, ils tombent tous seuls au cours de la dernière phase dite phase de chute ».

Certaines alopécies sont présentes au niveau du cuir chevelu alors que les véritables problèmes sont internes. C’est le cas de la pelade qui est « la chute d’une partie ou de tous les cheveux à cause d’un problème psychologique ». Et aussi de la trichotillomanie qui est « une tendance compulsive à s’arracher les cheveux lorsqu’on pense à quelque chose ou qu’on est en train de dormir ».

Les problèmes externes sont parfois à prendre en compte. S’y classent les alopécies chimiques lorsque les cheveux sont fragilisés à force de surexposition à des produits comme les défrisants. Mais encore, il y a les alopécies de traction.

Roldan Célestin accuse les écoles comme étant les premiers responsables de ce mal. Au Centre qu’il dirige avec sa femme tricologiste, c’est l’un des cas qu’il dit rencontrer le plus.

« Les parents en quête d’une recommandation pour les acceptations de coiffures protectrices ne cessent d’augmenter au Centre. Les élèves sont les premières victimes de l’alopécie de traction en raison de coiffures faites avec des gogos que les responsables d’écoles exigent ».

Anaëlle Alciné est étudiante finissante en médecine. Elle n’a pas les moyens de se payer un diagnostic professionnel, mais reste certaine que les exigences des établissements scolaires en matière de coiffures sont responsables de ses chutes de cheveux d’aujourd’hui. « La dame qui me coiffait tous les matins se servait des barrettes lorsque j’avais dix ans et que j’étais encore à l’école primaire », déclare la jeune femme.

C’est en octobre 2021, lorsque ses parents l’emmènent enfin voir un médecin, que Gaëlle Cormier a appris la vraie cause de son problème.

Au fil des années, Alciné a fini par perdre les cheveux au niveau des tempes et à l’arrière du crâne.

Les coiffures serrées tous les jours pour respecter les règlements de l’école abiment le cuir chevelu des enfants. « Lorsqu’une traction a lieu, il y a généralement blessure, analyse le spécialiste, Celestin. S’ensuit donc un processus de cicatrisation. Si la traction a lieu au niveau de la racine, et compte tenu du nombre de temps écoulé, les cheveux ne pourront plus repousser ».

Après la chute des cheveux, il y a ce qu’on appelle fibroses qui s’installent sur le crâne. Ce sont elles qui donnent l’impression que le crane est glacié. Si les follicules des cheveux finissent par mourir, l’alopécie deviendra irréversible. Il est impossible de savoir combien de temps on peut prendre pour arriver à ce stade. On sait seulement qu’une alopécie déclarée chez une personne pendant sa jeunesse a plus de chances de devenir irréversible tôt.

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Tout dépend du stade, les alopécies androgéniques par exemple sont traitables. Il y a sept stades chez les hommes et trois chez la femme. L’alopécie androgénique de l’homme ne se traite plus à partir du stade cinq et celle de la femme à partir du deuxième stade. Les seuls traitements après avoir franchi ces stades en question restent des traitements palliatifs et esthétiques comme les greffes.

La perte des cheveux engendre souvent des remarques blessantes. Anaëlle Alciné estime que les jugements négatifs rendent plus difficile le fait de vivre avec une alopécie. « Cela peut même aggraver le cas à cause du stress. »

Certains ont tendance à croire qu’un homme chauve, c’est un homme vieux. Pierre Paul dit avoir vécu ce préjugé dans ses relations amoureuses. Les femmes qui s’intéressaient généralement à lui étaient plus âgées que lui. Lorsqu’il est entré dans sa trentaine et que son alopécie se voyait de plus en plus, cela s’est aggravé. Pierre Paul a alors adopté le look du crâne rasé. Il se coupait les cheveux tous les trois quatre jours.

Au lieu d’y avoir recours, le dermatologue Roldan Célestin estime que toute personne atteinte d’alopécie devrait opter pour un vrai traitement. Les personnes chauves exposées aux rayons ultraviolets du soleil entre onze heures du matin et trois heures de l’après-midi risquent le carcinome épidermoïde.

D’autres pratiques restent à bannir. Porter des extensions sur des cheveux fragiles, utiliser des brosses et peignes de mauvaise qualité, arborer de lourdes tresses qui arrivent sur les fesses pendant plus d’un mois, ne pas se laver les cheveux régulièrement, exposer son cuir chevelu à un produit chimique alors qu’il n’est pas en état de le recevoir… Ce sont autant de pratiques qu’il importe d’éviter au profit de ses cheveux.

 

Image de couverture: Une femme souffrant d’alopécie. Pexels.com

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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