Le responsable local de la Direction générale des impôts, Jean Richard Bienvenue, valide les revendications des paysans dans ce dossier. «Toutes les terres de Saint-Michel ne peuvent pas être la propriété de l’Église catholique», déclare-t-il à AyiboPost
L’Église catholique affirme posséder 183 carreaux de terre à Nippes.
Le représentant légal de l’institution entreprend d’expulser du domaine des citoyens, dont des paysans qu’il estime occuper illégalement ces terres.
Certains des occupants habitent ces terrains dans la quatrième section communale de Miragôane depuis plusieurs décennies.
D’autres revendiquent le statut de fermiers sur des portions qu’ils disent appartenir à l’État.
L’avocat de l’Église dans ce dossier également curé de la paroisse de Saint-Michel Archange, Père Robenson Grégoire, déclare à AyiboPost détenir des papiers prouvant les donations de l’État, mais n’a pas voulu les communiquer.
Cependant, des documents obtenus exclusivement par AyiboPost, ainsi que des interviews avec des autorités ecclésiastiques, de l’administration publique et des habitants de la région, lèvent le voile sur un dossier plus complexe.
Le représentant légal de l’institution entreprend d’expulser du domaine des citoyens, dont des paysans qu’il estime occuper illégalement ces terres.
Selon la documentation disponible, même l’État haïtien semble être dans la confusion quant aux droits de l’Église sur certaines portions des terres en litige, dont 132 carreaux auraient été donnés au clergé par le premier président d’Haïti, Alexandre Pétion.
Le cas de Lionel Fleuranvil, 64 ans, démontre cette confusion.
Le paysan était fermier de l’État depuis le 5 janvier 1988.
Mais, le 17 septembre 1997, le directeur régional de la Direction générale des impôts d’alors, Gérard Casimir, lui adresse une correspondance avec pour objet «résiliation de bail».
La lettre reçue par Fleuranvil souligne que l’État lui a affermé le terrain «par erreur» et qu’il devait désormais se référer à la Fabrique de Saint-Michel des Nippes pour toute négociation dans ce dossier.
La Fabrique — une institution ecclésiastique — administre les biens de l’église catholique dans la zone. Le Père Grégoire préside la Fabrique de Saint-Michel depuis le 9 octobre 2019.
La lettre de la DGI envoyée à Fleuranvil avait suivi une demande écrite du curé de Miragôane d’alors, Jean Vanès Nicolas, au directeur général de l’institution le 9 juin 1997.
Le curé voulait la résiliation du bail, et la réintégration dans le patrimoine de l’église des portions de terrains louées «sous pression politique sans doute» par la DGI à des particuliers après l’occupation américaine.
Le 9 septembre 1997, le directeur général de la DGI d’alors, Jocelerme Privert, ordonne au directeur régional de résilier les baux à ferme passés «par erreur au nom de l’État», selon le document officiel obtenu par AyiboPost.
Depuis, Fleuranvil paie un bail annuel à l’Église catholique.
Contacté par AyiboPost, l’ancien directeur de la DGI et ancien président Jocelerme Privert n’a pas fait de commentaire.
Trois ans de cela, le prêtre Robenson Grégoire prend possession d’une partie des terres de Lionel Fleuranvil et de plusieurs autres fermiers de Saint-Michel des Nippes pour la construction d’un marché public.
Le marché public n’a pas été construit.
Et la portion réclamée par l’église a été redistribuée à des institutions publiques pour la construction de bureaux et à d’autres fermiers.
Lionel Fleuranvil ainsi que des dizaines de citoyens de Saint-Michel des Nippes contestent l’étendue des possessions foncières de l’Église catholique, sur des terres parfois non utilisées depuis des décennies.
Le prêtre Grégoire affirme détenir des actes d’arpentage pour 140 carreaux de terre.
Mais, dit-il, des gens de la communauté occupent presque la totalité des terres de la Fabrique de Saint-Michel.
Selon l’Église, 132 carreaux proviennent d’un don de l’État et 51 carreaux supplémentaires d’un grand propriétaire.
Les demandes d’AyiboPost auprès de Père Grégoire pour obtenir les documents prouvant ces dons n’ont pas abouti.
«Toute donation doit être faite devant un notaire et déclarée pour être légale», soutient Maître Rosental Duvelsaint, notaire public à Verrettes.
Selon le professionnel, il est possible que l’Église catholique ne dispose pas d’un titre de propriété.
«Pour obtenir ce titre, il faut un acte définitif rédigé par un notaire public, accompagné d’un acte d’arpentage enregistré à la DGI», analyse Duvelsaint, pour qui l’église doit au moins disposer d’un acte de don.
Au-delà du domaine en litige, le diocèse d’Anse-à-Veau et Miragôane possède beaucoup de terres dans les Nippes.
Sous la présidence de l’ancien président Jovenel Moïse, l’État haïtien avait octroyé presque 800 carreaux de terre à l’Église Catholique dans la zone de Baconnois située dans le même département, révèle père Grégoire à AyiboPost.
Certains paysans acceptent le statu quo.
Fleuranvil par exemple n’entend pas faire de procès à l’Église Catholique pour redevenir fermier de l’État sur la parcelle qu’il occupe depuis 30 ans.
«L’État haïtien et l’Église Catholique ne font qu’un», estime l’homme pour qui il n’y a pas de procès possible.
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D’autres paysans résistent.
Les habitants de Baconnois avaient empêché au moins un projet de l’Église Catholique en collaboration avec une organisation, rapporte père Grégoire, responsable du domaine foncier du diocèse d’Anse-à-Veau et Miragôane.
Parfois, les habitants de la zone comme le professeur François Bléus demandent à la justice de trancher.
L’homme payait la DGI pour six centièmes de terres depuis 2012.
Mais en 2020, Père Robenson Grégoire et son équipe récupèrent une partie de sa portion, dans le courant de l’offensive de l’église contre les présumés squatteurs.
Le paysan Lebert Simpris soutient occuper sa portion de terre depuis 1973. Il refuse de se courber aux ordres de l’église.
«Père Robenson engendre un désordre à Saint-Michel, reproche l’agriculteur. Il s’empare les terres des pauvres paysans pour les revendre à des gens fortunés.»
Le 8 décembre 2022, Simpris demande à la DGI de reconnaitre le terrain comme possession de l’État et de l’arpenter.
Pour signifier son désaccord, Simpris ainsi que quatre personnes occupants la partie récupérée par le prêtre empilent des matériaux sur le terrain pour une future construction.
Pirame Lagirois, professeur retraité après 36 ans de service à l’État, se déclare victime des «opérations de Grégoire».
Le coordonnateur départemental de l’Union nationale des Normaliens-nes d’Haïti (UNNOH) occupe plus de deux carreaux de terre à Sicile, une zone limitrophe de Saint-Michel.
Père Grégoire, selon Lagirois, a coupé un morceau de son terrain «qui appartient à l’État» pour le revendre à un particulier pour plusieurs dizaines de milliers de dollars.
Le prêtre rejette à AyiboPost la notion de vente, mais parle plutôt d’affermage au profit de l’entrepreneur Verdieu Saint-Louis, sans révéler les montants engagés.
Cette affaire se retrouve devant les tribunaux.
D’autres ventes sont cependant confirmées.
Le notaire de Miragôane Mario Joseph révèle à AyiboPost que le curé s’est présenté dans son bureau avec une procuration spéciale du Monseigneur Pierre-André Dumas pour ordonner la vente de terrains à cinq personnes le 21 décembre 2023.
Le père Robenson Grégoire n’entend pas faire marche arrière.
L’argent collecté, selon le prélat, permet le financement des activités de l’église.
Par exemple, la reconstruction de l’église avait commencé un an avant son arrivée à la paroisse de Saint-Michel Archange en 2019. Père Grégoire veut boucler cette construction.
La location des terres doit aider l’initiative, selon le prêtre. «Se grès kochon an k ap kuit kochon an», dit-il à AyiboPost.
Avec l’accord de Monseigneur Pierre-André Dumas, Robenson Grégoire fait des trocs avec certains particuliers qui veulent un titre légal pour leurs parcelles.
Ces derniers fournissent des matériaux tels que fers et ciments pour la construction de l’église. Ensuite, le représentant de l’église se présente devant un notaire avec l’acquéreur pour lui fournir un titre de propriété légalement.
Les 420 fermiers de l’église doivent payer des frais annuels. La plupart de ceux qui refusent de payer sont expulsés et le terrain remis à d’autres preneurs.
Le cimetière de la zone se retrouve sur un terrain de la Fabrique de l’Église catholique. Les habitants doivent verser jusqu’à 15 000 gourdes pour chaque inhumation, selon des témoignages.
Le père Grégoire confirme le versement d’un montant, mais affirme recevoir uniquement des frais de 500 gourdes pour enterrer un cadavre au cimetière. Ces frais financent le service de nettoyage, selon père Grégoire.
La question terrienne demeure épineuse en Haïti.
Tout de suite après le démantèlement du système colonial en 1804, cette question avait créé des contentieux entre les anciens et les nouveaux libres.
Les litiges de ce type s’enveniment encore plus à cause de l’absence d’un cadastre sur l’ensemble du territoire national.
La religion catholique a joué un rôle décisif pendant l’esclavage. Elle a maintenu et étendu son influence après la révolution.
Selon le père Robenson Grégoire, l’église détient beaucoup de privilèges en Haïti.
L’homme de Dieu mentionne le concordat du 28 mars 1860 signé avec l’État haïtien qui demande à celui-ci de construire des églises et des presbytères pour l’Église Catholique et de rémunérer les prêtres dans un contexte où l’institution religieuse joue un rôle important dans l’éducation.
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Selon l’avocat Samuel Madistin, la Constitution de 1987 — lorsqu’elle proclame l’égalité des cultes en son article 30 — remet en cause le Concordat.
«L’appui budgétaire accordé aux prêtres catholiques par le ministère des Cultes est désormais irrégulier et doit être cessé, sauf si l’État accorde exactement les mêmes privilèges aux pasteurs, aux prêtres vaudous, aux leaders de la communauté musulmane et aux témoins de Jéhovah », selon maître Madistin.
L’Église catholique peut compter sur un allié de taille dans le cadre de son conflit avec des citoyens, dont des paysans, dans la quatrième section communale de Miragôane.
Plusieurs habitants de Saint-Michel des Nippes identifient le chef du parquet de Miragôane Jean Ernest Muscadin comme un ami proche du Père Robenson Grégoire.
Muscadin, connu pour ses exécutions extrajudiciaires de membres de gangs, admet entretenir de bonnes relations avec le prêtre, puisqu’il a habité chez ce dernier durant neuf mois.
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Le 11 mars 2023, l’influent commissaire intervient dans le conflit terrien au profit de l’Église catholique pour bloquer en personne le travail d’un arpenteur de la DGI dépêché par les paysans.
Le chef du Parquet de Miragôane dit être au courant de la vente des terrains par l’Église catholique — «une autorité locale y a acheté une parcelle», rajoute-t-il à AyiboPost.
«L’Église Catholique m’a offert deux carreaux de terre. Je les ai refusés», soutient Jean Ernest Muscadin. (Père Robenson Grégoire rejette cette allégation)
D’après le commissaire Muscadin, les terres appartiennent à l’Église Catholique. Mais puisqu’il s’agit de dons de l’État, il ne voit aucun problème à ce que la population les occupe, a-t-il rajouté lors d’une interview avec AyiboPost.
La relation entre le puissant commissaire et père Grégoire semble se refroidir.
Le commissaire du gouvernement déclare avoir coupé les ponts avec le religieux parce que ce dernier l’a empêché d’éliminer «Bonhomme ainsi connu», un bandit notoire à Saint-Michel des Nippes.
L’Église Catholique m’a offert deux carreaux de terre. Je les ai refusés.
– Jean Ernest Muscadin
Selon Muscadin, le père Robenson Grégoire a imploré le pardon pour l’individu.
«Je pourrais même être victime des exactions de Bonhomme», déclare Muscadin.
Le commissaire dit continuer de traquer Bonhomme, mais affirme ne pas encore trouver une occasion pour l’appréhender.
Le père Robenson Grégoire dément avoir sollicité grâce pour Bonhomme.
«Je peux confirmer que j’avais manifesté la volonté d’accompagner Bonhomme devant le tribunal en tant qu’avocat, ayant le droit d’accompagner n’importe quel client», précise le père Grégoire à AyiboPost.
«C’est un citoyen que je connais bien, déclare le prêtre. L’un de ses parents était membre de l’Église.»
Le chef du Parquet de Miragôane dit être au courant de la vente des terrains par l’Église catholique — «une autorité locale y a acheté une parcelle».
Même des institutions publiques doivent compter sur la générosité de l’église pour trouver un terrain afin de construire leurs bureaux à Saint-Michel des Nippes.
D’après des documents obtenus par AyiboPost, des structures comme la Direction nationale de l’eau potable et de l’assainissement (DINEPA)/OREPA Sud, l’Office d’assurance accidents du travail, maladie et maternité (OFATMA) ou le Bureau du district scolaire de Saint-Michel des Nippes, ont en ce sens fait appel à l’Église.
Selon une lettre adressée à l’évêque du diocèse d’Anse-à-Veau et Miragôane datée du 24 février 2023 et obtenue par AyiboPost, commissaire Muscadin avait demandé à l’Église catholique une portion de terre pour la construction d’un tribunal de paix à Saint-Michel des Nippes.
L’évêque du diocèse d’Anse-à-Veau — Miragoâne, Monseigneur Pierre-André Dumas, a mandaté le père Grégoire pour établir des contrats et représenter la paroisse de Saint-Michel Archange devant les tribunaux.
Contacté par AyiboPost, l’évêque n’a pas fait de commentaires.
Des organisations locales se mettent du côté des paysans.
En novembre 2022, la Solidarité nippoise pour le droit de l’homme (SONIDH) avait dénoncé les actions jugées « repréhensibles » du prêtre Grégoire dans une lettre envoyée au Monseigneur Pierre-André Dumas et au directeur départemental de la DGI.
Selon le coordonnateur de la SONIDH, Marc-Arthur Bien-Venu, l’Église catholique ne possède pas toute l’étendue de terre qu’elle revendique à Saint-Michel des Nippes.
À cause de l’implication des arpenteurs et des notaires dans ce conflit terrien, la direction centrale de la DGI ainsi que le ministère de la Justice et de la Sécurité publique sont au courant du dossier, indique de son côté le directeur régional de la DGI, Jean Richard Bienvenue.
AyiboPost n’a pas pu recueillir des informations sur l’avancement du dossier au niveau de ces deux institutions.
Mais localement, la lecture de la DGI semble être en faveur des agriculteurs et citoyens.
Le prêtre ne connait même pas les limites des terres de son église, selon le directeur régional de la DGI, Jean Richard Bienvenue.
«Toutes les terres de Saint-Michel ne peuvent pas être la propriété de l’Église catholique», déclare le responsable.
Image de couverture éditée par AyiboPost illustrant le conflit terrien entre paysans et église catholique de Nippes. Les personnes sur l’image ne sont pas en réalité des acteurs du conflit.
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