L’idée gagnante de la finale du concours exposcience propose de recycler le plastique dans des blocs en béton, pour construire des maisons
Une ville dans l’air. Une machine à calculer les rêves. Un drone. Un robot. Un filtre à eau. Ce sont quelques idées qui ont été présentées au concours Exposcience Haïti 2020. Ce concours a réuni huit écoles et seize projets, dans une finale qui a eu lieu le samedi 7 mars 2020, à l’Institution Saint Louis de Gonzague.
Des élèves de 14 à 20 ans ont fait face au jury, pour exposer leurs idées et montrer en quoi elles sont utiles et viables. Les propositions étaient diverses. Mais à la fin de la journée, ce n’étaient ni les maisons suspendues, ni les cauchemars mesurés, ni les caméras volantes qui ont remporté les débats.
C’est une idée plus simple, moins spectaculaire, presque banale tant elle était évidente, mais à laquelle personne d’autre n’a eu le mérite de penser. Une idée qui abordait un problème quotidien et mondial.
Anne Marie Krishna Chéry et Maranatha Carla Abigaëlle Mondé, de l’École méthodiste de Frères, ont proposé de recycler le plastique de manière durable, en l’intégrant à la construction des maisons. Des blocs de béton et de plastique.
L’idée a séduit un jury composé de professionnels évoluant dans des domaines divers. La médaille, la coupe, et une place assurée à la compétition scientifique internationale Intel Isef, sont les récompenses des deux élèves.
Recyclage durable
« L’idée de ce recyclage nous est venue par hasard, dit Krishna Chéry, élève de Nouveau secondaire 3. Il y avait un problème, on a cherché une solution utile à tous. Je n’ai pas de membres de ma famille qui évoluent dans le domaine de la construction, mais on est en train de construire à la maison. J’ai tout observé, et j’ai pris des notes. »
Pendant environ un mois, elles font toute une série de tests, et beaucoup de recherches. Moaho Metivier est l’accompagnatrice de l’équipe. Elle, ainsi que le reste des membres du laboratoire de l’école, a canalisé les recherches des filles.
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Selon Moaho Metivier, ce qui a séduit les juges, c’était la démarche scientifique du projet. « Nous avons insisté avec elles sur cet aspect, dit-elle. Il fallait faire des expériences pour voir si le béton acceptait des agrégats. C’est encore un projet et peut-être que dans un bloc il faut plus de plastique, ou moins, mais on a essayé de tout mesurer. D’autres projets de ce genre existent dans le monde, mais ils essaient de faire des blocs en plastique uniquement. »
René Jean Jumeau, ancien ministre de l’Énergie, était membre du jury. Il reconnaît que l’idée avait de quoi plaire, surtout qu’elle respectait point par point les recommandations de l’équipe du projet. « Il y avait un ensemble de critères à respecter, dit-il. Certes il y avait d’autres projets très intéressants, surtout en énergie, mon domaine. Mais celui-ci respectait mieux les critères. »
En attendant l’international
Krishna Chéry et Maranatha Mondé ont eu l’avantage de bénéficier du laboratoire de leur école. Il fallait tout mesurer, tout peser. Certaines expériences ont tourné court. « On a testé l’idée sur des briques et des blocs, dit Maranatha Mondé. Nous avons fabriqué les briques nous-mêmes. Mais dans un premier temps l’expérience a échoué, les briques éclataient ou se dilataient. Nous sommes allées à la finale avec les restes, et nous avons raconté nos échecs aux juges. »
Le jour de la présentation, Krishna Chéry avoue qu’elle était très stressée. « Je n’osais même pas aller visiter les autres projets, avoue-t-elle. On nous a posé d’innombrables questions. Celle qui revient toujours, c’est de savoir si les blocs étaient résistants aux séismes ».
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Les questions étaient nombreuses et techniques, mais certaines, étranges, ont laissé les filles sans réponses. « Un professeur nous a demandé si on pensait que les briques pourraient résister à l’eau, si elles étaient utilisées dans la construction d’un pont. On ne savait pas quoi répondre », racontent-elles en riant.
Les deux filles attendent avec impatience le concours international de l’Intel Isef. C’est l’une des plus grandes compétitions scientifiques du monde. Le concours aura lieu du 10 au 15 mai 2020. En attendant, elles comptent améliorer leur projet, en y ajoutant des composantes auxquelles elles n’avaient pas encore pensé jusque-là.
Beaucoup d’imagination
Même si elles n’ont pas gagné, d’autres équipes ont tout donné dans la préparation de leur projet. Olivier Destin, Jorry Nazaire et Fortuné Geraldson sont au Collège Dominique Savio. Ils ont créé Netmar, de Nettoyage marin. Pour eux aussi, les déchets plastiques sont préoccupants. « Toutes les recherches montrent comment c’est un phénomène qui cause problème, dit Olivier Destin. On avait regardé une vidéo d’une tortue qui s’est étouffée avec du plastique ».
Leur idée a été de concevoir une machine capable d’aspirer le plastique de l’eau, pour le stocker. « La machine que nous avons conçue a une hélice, et des tubes, dans lesquels les déchets vont passer. Nous avons bricolé pour le construire, avec des éléments trouvés chez nous », expliquent-ils.
Quant au Centre d’études secondaires, les élèves ont trouvé bon de mettre l’accent sur les déchets, qui peuvent servir à l’agriculture. Gaspard Wootsvan, K. Hélène Généus, Apollon Max Olivier sont les membres de l’équipe. « Nous ne sommes pas assez équipés pour un projet de robotique par exemple, disent-ils. Nous avons travaillé dans la mesure de nos moyens. Et les déchets dans les rues sont un grave problème. Ce n’est pas normal, puisqu’on peut les utiliser dans l’agriculture. »
Deuxième édition
C’est la deuxième fois que Exposcience Haïti est organisé, selon Ramsès Saint-Fleur, responsable des relations publiques du concours. « L’idée originelle est venue de Lencie Plancher, dit-il. Elle a un master en chimie. Elle a voulu aider les jeunes en Haïti à réfléchir aux sciences, et grâce a nos partenaires c’est devenu une réalité.»
La première édition aurait dû avoir lieu en novembre 2018, mais le pays était en pleins troubles politiques. L’édition 2019 a eu lieu, mais il n’y avait pas de compétition à proprement parler. « C’est l’un des défis pour l’organisation de tels événements, assure Ramsès Saint-Fleur, l’instabilité. En outre, parfois les écoles ne sont pas prêtes à temps. Ou encore elles n’ont aucun laboratoire. Si elles en ont, parfois ils manquent beaucoup de matériel. »
Finalement l’édition 2020 a eu lieu même si les délais étaient assez justes. « Nous avons envoyé les invitations et au final nous avons retenu 8 écoles, après la première sélection, explique le responsable. La première équipe gagnante partira avec nous en Californie. Les deux autres sont là au cas où il y aurait des problèmes, surtout pour les papiers de voyage. »
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