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Éros met le feu aux « IntranQu’îllités » de James Noël et Pascale Monnin

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Louis-Philippe Dalembert étale ses mots tels des onguents douceur et masse en amoureux inspiré la peau à l’odeur de ylang-ylang, celle à l’odeur de citronnelle au petit matin, peau à l’odeur musquée des mangues de l’enfance ou à l’odeur de fruits exotiques. Indifférent aux mirages tendances de la jeunesse éternelle, il célèbre aussi celles qui traversent les heures, se moquent du temps :

« j’aime la peau
la peau qui craquelle
la peau qui vergeture
la peau qui fissure
s’étire plie et ne rompt point
qui porte en bandoulière
ses flétrissures toute honte bue
la peau qui s’est colletée
à mille et une blessures
sans se rendre jamais
la peau qui pèle
de tant de guerres avec la vie
» (« La peau que j’aime »)

Jephthe Carmil – revue IntranQu’îllités

Chantal Thomas évoque les va-et-vient-voyages dans une nouvelle qui semble transformer les villes visitées en amants ou en maîtresses épisodiques, « double mouvement, ouvert sur une réciprocité, chaque départ et chaque arrivée brillent d’un éclat unique» tandis que Johanna Hess déroule l’ambitieux programme poétique des vivants créatifs regroupés ici (´De verticaux hivers ») :

« S’il est dit qu’à la terre, un jour nous reviendrons. Faisons durer les heures de notre insoumission. Faisons craquer les mondes et toutes les galaxies. Faisons mourir les liens et les cosmogonies. Soyons, à l’univers, plus que nos propres chairs. Soyons, aux horizons, de verticaux hivers. Pour qu’enfin, érigées, nos érectiles lois, fassent fuir en courant la mort et ses trépas.»

© Josué Azor – revue IntranQu’îllités

Est-ce une nuit de lune pleine, un sabbat annuel ? Les chimères prennent vie, s’arrachent des gargouilles pour mieux s’éloigner des lieux consacrés. « Foutre des bénitiers ! » susurrent-elles, d’humeur sacrilège. Furtives, elles s’élancent poignards tendus dans l’obscurité en quête des grenouilles qui les ont réveillés. Catins du Malin aux mille sortilèges, celles-ci souilleront bientôt de leurs supplications les chastes oreilles des ouailles barricadées. Un ange sacrificiel, au bout de la nuit, se cambrera assez pour apaiser les mains lierre des créatures affamées. Remarquable sens du devoir : la dévotion mène à tout, même au septième ciel (photos de l’artiste port-au-princien Josué Azor).

Michel Monnin (fameux galeriste récemment disparu, le poème sensuel se fait hommage) préfère les rideaux de pluie aux expériences ésotériques, ce qui ne l’empêchera de faire un sort à la belle sous la douche (« Devant il fait soleil »).
« Les tempes, telles ouïes
de poisson sorti de l’eau,
battent la chamade sans miséricorde.
Et ces jambes qui se balancent en cadence,
vous aimentent comme
des hameçons empoisonnés […] La maison est coupée en deux,
comme les melons,
quand on les ouvre.
Sans hésiter, j’ai traversé le rideau de pluie.
» La femme nue feindra-t-elle la surprise ? éclatera-t-elle de rire d’un air entendu ?

Au moins n’aura-t-elle pas affaire au « Nosferatu’ de Léonore Mercier, prince des ténèbres, terreur et trouble, qui expertise les cous et déflore les jugulaires en fin gourmet.
« Affamé de toi
J’absorbe ton être
Et me délecte de ta chair offerte
Donne-moi toute ta substance
Deviens peau remplie de vide
Traversée par le néant
».

Peut-être est-ce la même femme alanguie sur un lit après l’amour, sein apparent et visage avalé par ses cheveux défaits que photographie l’artiste allemand Ralph Hassenpflug (« Hair») ? Tout est imaginable puisqu’ici règnent l’imagination et la fantaisie.

« Rien n’égale
L’axe de ton dos
Gravite à ma paume
Naissance de ta nuque
Torse
D’un mot qui ne vient
Qui ne vient peut-être — dieu
Et nos souffles
Jeunes syllabes
Sanctuaire d’avant d’après
 » (« Éros’, d’Emmanuelle Sordet)

Le nom est lâché : Éros, dieu de l’Amour et de la Création, est bien l’invité d’honneur de ce cinquième numéro de la brillante revue « IntranQu’îllités’, capsule littéraire et artistique lancée par Pascale Monnin et James Noël au lendemain du séisme. Îlot de résistance des possibles, ouvert sur le monde, « art de vivre par temps de catastrophe». L’atypique réunion des talents extrafrontaliers sous la houlette des deux artistes haïtiens devient peu à peu un rendez-vous incontournable dans les paysages culturels haïtiens et français grâce à la qualité des contributions, à l’investissement des intervenants amis (reconnus ou bourgeons prometteurs). Abattre les cloisons mentales, en somme : James Noël n’avait-il pas déjà développé l’idée dans son recueil « La migration des murs’? « IntranQu’îllités’ est l’une des composantes de cet indispensable programme par temps de tensions, de communautarismes exacerbés et de repli mondiaux.

©Ernest Breleur – revue IntranQu’îllités

Pas moins de 180 artistes de toutes les nationalités, poètes, écrivains, peintres, sculpteurs, photographes, artistes contemporains habités par le même idéal, déroulent leur art et peignent les sexualités adultes et consenties dans les 302 pages de cet écrin qui annonce d’emblée la couleur en se parant d’un rose frivole.

Bible de légèreté et de spiritualité alors qu’Haïti rêve de sécurité et de vie normalisée, mais que les gangs de hyènes suivent, eux, l’agenda des autocrates, adorateurs d’Arès dieu de la guerre et de la destruction. Les armes d’Éros semblent bien vaines, c’est vrai, ses prétentions malvenues face à la violence du réel, mais les artistes sont là pour rappeler que les aspirations humaines à l’amour, à l’érotisme, sont éternelles, indispensables, et peuvent galvaniser les âmes.

« voici ma coupe
et toutes mes chutes
mes sept péchés capitaux
et tous mes crimes capillaires
rien que pour toi
Ève écartée
Échevelée
(Rire aux éclats)
femme jusqu’aux os
excuse du peu
du peu de moi
si loin en toi
nous sommes bouclés
nœuds circulaires
cœurs recyclés
comme l’esprit même
de la forêt
 »

« Ouroboros’ cobra boa à l’infini de James Noël décomplexe ses amis, les encourage à ne pas craindre les vocabulaires contractés dans les moments de plaisir. Makenzy Orcel, Catherine Ursin, Jean D’Amérique, Hugo Fontaine, Annie Lulu, Mafalda Mondestin, Watson Charles, Wajdi Mouawad, Henry Roy et tous les autres ne se feront pas prier pour cultiver les fleurs sensuelles, odes à la vie, langages secrets qui ne dénudent pas que les corps.

Poèmes, nouvelles, peintures, photographies, installations et sculptures : un ouvrage extraordinaire, piment réjouissant – épice feu qui flatte les sens, chauffe l’esprit et le cœur. Si Arès tonne « Fureur et mort! », Éros l’immortel, lui, sait faire couler entre nos lèvres les nectars invisibles qui sauvent encore notre humanité. Apaisent nos IntranQu’îllités.

©Michel Clerbois et Henry Roy – revue IntranQu’îllités

La revue «IntranQu’îllités’ se commande dans toutes les librairies.

Frédéric L’Helgoualch

Frédéric L’Helgoualch vit à Paris. Il écrit des critiques littéraires et a découvert la riche histoire et la foisonnante littérature d’Haïti à partir d’un livre de Makenzy Orcel, ‘Maître Minuit’. Depuis il tire le fil sans fin des œuvres haïtiennes. Il a publié un recueil de nouvelles, ‘Deci-Delà, puisque rien ne se passe comme prévu’ et un ebook érotique photos-textes, ‘Pierre Guerot & I’ avec Pierre Guerot.

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