Un métier important, mais galvaudé dans le pays
Le notaire est un officier public qui confère un caractère authentique aux documents. Il est là pour passer à l’écrit les contrats et assurer leurs conservations dans le temps. Tout ce qu’il écrit est cru jusqu’à preuve du contraire.
En ce sens, la rédaction par un notaire d’un acte de vente ou de donation d’un bien ne peut pas être déclaré faux sans un jugement. « Une procédure judiciaire est requise pour déclarer la fausseté d’un tel document. Sans ce jugement ou une décision de justice, le document reste vrai », confie la notaire Dannielle Giordani.
Cependant, le nom des notaires revient régulièrement dans des cas de malversations et de spoliation — vol de terre — dans le pays. Ce problème serait dû à une inflation désordonnée de professionnels dans le notariat ces dernières années.
« Les procédures de nomination des notaires ne sont guère respectées actuellement, dénonce la notaire Dannielle Giordani. Ce phénomène facilite la pratique du faux dans la profession », continue celle qui a hérité son office situé à Lalue.
Problème de cadastre
L’insécurité foncière se trouve aggravée par l’absence d’un cadastre détaillé en Haïti. Le cadastre est l’identification et la localisation précises des parcelles de terre. Il détermine les limites et les angles des terrains. Les enquêteurs recueillent aussi toutes les informations relatives au propriétaire ou à l’usager de la propriété s’il s’agit du domaine privé de l’État.
Les « voleurs de terres » profitent de la situation. Ils s’associent à des notaires, souvent de mauvaises foi, pour enclencher le processus d’accaparement d’un bien immobilier qui ne leur appartient pas. Ils commencent fort souvent par construire une maison sur un terrain sans en avoir les titres de propriété.
Après la prise de possession du terrain, ces individus sollicitent les bons services d’un notaire qui va dresser un acte expliquant que la maison construite leur appartient. « Le document mentionne que le statut du terrain reste indéterminé et que le propriétaire de l’édifice construit est disponible pour négocier avec l’État ou le propriétaire du terrain », fait savoir Jacques Vincent, un notaire évoluant dans le département Nord du pays.
Propriétaires voleurs
Parfois, c’est le propriétaire authentique du bien qui exerce sa mauvaise foi. Il peut vendre son terrain ou sa maison à une première personne. Dès la conclusion de la transaction et la réception de l’argent, il se rend chez son notaire en déclarant avoir perdu le papier de son bien.
En cas de perte ou de détérioration, le notaire peut lui préparer une « nouvelle expédition » conforme à l’original. Dans ce cas, le notaire vérifie son archive pour voir si le premier papier a été fait dans son bureau afin de délivrer la seconde expédition. « Cette nouvelle version demeure fidèle à l’originale, signée par le notaire », explique la notaire Danielle Giordani.
« La question de la vente d’un même terrain à plusieurs individus à la fois étouffe le notariat en Haïti, continue Giordani. [Les notaires honnêtes sont] obligés à présent de mettre des verrous dans certaines de leurs interventions. »
Réseau de mafia
L’autre scénario courant implique un propriétaire authentique à l’extérieur du pays et une personne en Haïti qui se présente avec un mandat donné par ce propriétaire pour la vente d’un terrain ou d’une maison.
La plupart des notaires exigent dans ces situations de parler directement avec le propriétaire du bien, pour vérifier formellement son intention. D’autres méprisent la suspicion pour des raisons financières, dit le notaire Jacques Vincent qui révèle l’existence d’un réseau de faussaire puissant en Haïti.
Ce réseau de mafieux grandi en puissance chaque jour qui passe. « Leur empreinte s’étend à toutes les échelles du système judiciaire rajoute Giordani. Il devient difficile en ce sens d’obtenir gain de cause. L’État les connaît tous et certains d’entre eux sont nommés notaires par accointance sans être habilités à exercer la profession ».
Notaires sans qualités
La procédure de nomination des notaires fait en effet débat dans le pays. Ces professionnels exercent un des métiers du droit. Ceux qui sont formés en sciences juridiques peuvent choisir de devenir notaires. Un stage de trois ans est exigé à l’office d’un notaire déjà en exercice selon la loi du 25 novembre 1969. À ce stade l’impétrant aura comme titre, clerc de notaire.
En exercice, les notaires analysent les contrats, les titres de propriété, rédigent les contrats de mariage… « Ces documents devraient être sécurisés dans leur archive », raconte la notaire Dannielle Giordani.
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À la fin du stage, l’impétrant devrait passer un examen. Ce n’est qu’après la réussite de cet examen qu’il obtient son certificat et qu’il peut être intégré dans le système judiciaire par sa nomination par le président de la République sur recommandation du ministère de la Justice et de la sécurité publique. Malheureusement, on ne réalise plus ces examens depuis les années 2000, regrette la notaire Giordani.
La loi détermine la quantité de notaires qui doit desservir la population dans une commune. Par exemple, la commune de Port-au-Prince devrait avoir uniquement douze notaires. Respectivement, le Cap-Haïtien et Les Gonaïves ne peuvent dépasser huit. Dans la pratique, ces chiffres ne sont pas respectés. « Les notaires sont nommés en veux-tu et voilà en dehors des principes établis par la loi », dit la notaire Giordani.
Plusieurs fonctions
Les notaires n’interviennent pas que dans la vente terrain et des maisons. Ils assistent au partage des biens quand il se fait — ce qui est généralement le cas dans le pays — à l’oral entre les membres d’une famille.
Dans le cas d’un terrain, la présence d’un arpenteur est sollicitée. « L’arpenteur est là pour identifier la propriété, la délimiter, mais il revient au notaire de consacrer ce partage verbal, c’est-à-dire le mettre sur papier », explique le notaire Jacques Vincent.
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Fort souvent, les héritiers sollicitent un notaire lorsqu’ils décident de vendre leur portion. Dès lors, tous les héritiers doivent être présents pour consacrer le partage et réaliser aussi le suivi de la vente en accord avec les autres héritiers, dit Vincent.
En sa qualité de médiateur, le notaire gère les questions familiales. Il est celui qui conseille sur les contrats de mariage à adopter pour le partage des biens en cas de divorce. Il conseille aussi sur la meilleure option à prendre dans la vente ou l’achat d’un bien et intervient dans un patrimoine en conflit entre des héritiers.
Présence essentielle
De nos jours, les institutions étrangères en Haïti comme les ambassades ne font pas totalement confiance aux documents. Parfois, elles exigent l’authentification des pièces ou la copie conforme à l’original d’un document auprès d’un notaire.
« Le notaire certifie et légalise la signature des gens pour conférer au document un élément de sécurité et d’authenticité. C’est pourquoi dans les transactions importantes, il faut solliciter un notaire. Lors de la donation ou dans le processus d’achat ou de vente de propriétés comme les terrains ou maisons, la présence du notaire est d’une importance capitale », poursuit la notaire Dannielle Giordani qui a son cabinet à Lalue.
Fort souvent, les institutions bancaires demandent comme garantie un bien immobilier pour accorder un prêt. « Pour la protection de l’intérêt du client et de celui de la banque élabore Giordani, cet acte doit être rédigé par-devant un notaire pour assurer que les deux partis sont consentants du contrat ». L’acte peut ne pas être écrit par le notaire, mais sa présence est requise lors de la signature du document.
Emmanuel Moïse Yves
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