SOCIÉTÉ

Même en cas de conflit, il est impossible de déshériter son enfant en Haiti

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Le Code civil précise qui peut jouir des biens que laisse quelqu’un qui est décédé. Il indique aussi dans quelles conditions cette succession peut avoir lieu

Quand quelqu’un meurt en laissant derrière lui des biens (véhicules, terrains, objets d’art, etc.), il faut décider quoi en faire. Dans le cas où il aurait laissé un testament, dans les formes prévues par la loi, le partage de ces biens se fait selon sa dernière volonté. Sinon, ce sont les dispositions générales qui régissent la succession et le partage éventuel des biens.

C’est un sujet qui peut parfois déchirer des familles, surtout quand le patrimoine à partager est important. Mais la loi, quand elle est appliquée à la lettre, permet d’éviter ou de résoudre ces conflits. Pourtant il n’y a pas de formule magique pour régler une succession.

Geneviève Michel est juriste. Dans son quotidien, elle rencontre souvent le cas de familles devant régler des questions d’héritage, et dont les membres peuvent avoir des différends allant parfois jusqu’au litige judiciaire.

Elle affirme que gérer le processus de succession n’est pas toujours simple. « Aucune succession ne se ressemble, explique-t-elle. Tout doit être analysé et doit se régler au cas par cas. C’est un domaine où les émotions comptent et influent beaucoup, et cela peut compliquer tout. »

Le notaire, explique Geneviève Michel, est au cœur du processus de succession. « C’est lui qui entre autres, dresse l’acte de notoriété, un document essentiel pour tout règlement de succession, précise-t-elle. Dans ce document, trois témoins sans liens de parenté avec le défunt viennent attester de certaines informations se rapportant à ce dernier. C’est l’occasion aussi pour le notaire de rassembler des pièces justificatives comme actes de naissance, contrat de mariage, etc. devant supporter ces déclarations et établir la filiation ou les liens de parenté concernés par la succession. »

Lignes et degrés

Il y a la ligne paternelle, et la ligne maternelle. Les successions qui sont destinées à des ascendants (parents), ou à des collatéraux (frères, sœurs, etc.) sont divisées en deux parts égales, l’une pour chacune de ces lignes. La moitié allouée à chaque ligne va aux héritiers qui sont les plus proches en degrés.

On parle de degré pour désigner une génération. Par exemple, par rapport à son père, un fils ou une fille est au premier degré ; un petit-fils ou une petite-fille est au second degré. C’est pour cela que l’héritage du père va à son enfant, parce qu’il est plus proche de lui en degré.

La suite de ces degrés forme la ligne. La ligne directe représente des personnes qui descendent l’une de l’autre : un père ou une mère, son enfant, l’enfant de son enfant… La ligne collatérale désigne des personnes qui descendent d’un même auteur : des frères et des sœurs.

Ordre de succession

Les enfants du défunt, ses descendants, ses ascendants, ses collatéraux sont tous éligibles à sa succession. Les enfants héritent en premier. Autrefois, la loi faisait la différence entre enfants légitimes et enfants naturels. Les enfants légitimes étaient nés au sein d’un mariage tandis que les enfants naturels étaient hors mariage.

« Depuis la ratification par Haïti de la Convention relative aux droits de l’enfant, cette distinction a été en principe abolie, dit Geneviève Michel. Mais cela a pris du temps pour entrer en application. Il a fallu attendre 2013 et la loi sur la filiation, pour que ces dispositions intègrent formellement notre arsenal juridique. »

Ainsi, tous les enfants, quel que soit le lit dont ils sont issus, ont les mêmes droits dans une succession à laquelle ils sont éligibles. La loi, en outre, garantit d’autres privilèges aux enfants qui héritent, grâce aux principes de réserve légale et de quotité disponible.

« Cette disposition, précise la juriste , s’assure qu’une partie du patrimoine du défunt ira de toute façon à ses enfants. La loi haïtienne ne permet pas de déshériter un enfant, et de léguer tous ses biens à quelqu’un d’autre, même par testament. »

Par ailleurs, sont indignes de succéder et, comme tels, exclus des successions: celui qui serait condamné pour avoir donné ou tenté de donner la mort au défunt. Mais aussi l’héritier majeur qui, instruit du meurtre du défunt, ne l’aura pas dénoncé à la justice, selon l’article 588 du Code Civil.

Si quelqu’un meurt avant ses parents, ses enfants peuvent le représenter et bénéficier de sa part de la succession de la génération précédente. Si le défunt n’a pas de descendance, ses parents (père et mère) sont ceux qui héritent de son patrimoine. Sinon, celui-ci ira à ses collatéraux immédiats, c’est-à-dire ses frères et sœurs.

Dans le cas où il n’a ni parents, ni frères et sœurs, nièces et neveux vivants, le parent ou les parents les plus proches en liens de sang hériteront. Si aucun héritier ou légataire n’est identifié ou n’est désigné par testament (car une personne sans enfants est libre de disposer de ses biens sans tenir compte des principes de réserves), c’est l’État qui reçoit la succession.

Même si un individu est au courant de la part d’héritage qui lui reviendra, à la mort de son parent, il ne peut pas engager de transactions sur cet héritage avant de l’avoir reçu. La loi, explique Geneviève Michel, interdit les pactes sur succession future.

Le cas des époux

Dans une succession, l’époux n’est pas concerné immédiatement. Selon Geneviève Michel, c’est le régime matrimonial qui décide de l’étendue des droits du conjoint survivant. « Les deux régimes les plus courants sont la communauté des biens, et la séparation des biens, dit-elle. Dans la séparation des biens, sauf disposition spécifique par testament, l’époux n’hérite pas des biens de son conjoint. »

Si un couple ne choisit aucun statut, il est enregistré par défaut comme marié sous le régime de la communauté de biens. Dans ce cas, la moitié du patrimoine commun revient à l’époux survivant. L’autre moitié est mise en succession pour les héritiers directs et suit les procédures tracées par les lois haïtiennes.

Le testament

C’est un élément important dans une succession. Si le défunt a laissé des dispositions testamentaires, elles doivent être respectées à la lettre. Geneviève Michel encourage tout le monde à y penser. « Cela éviterait beaucoup de litiges lors du partage des biens, justifie-t-elle. Mais il est vrai que ce n’est pas facile pour certains d’accepter de se détacher de leur patrimoine de leur vivant, et d’envisager les conséquences de leur décès. »

Les différents types de testaments qui existent doivent respecter des règles particulières. « Un testament peut être rédigé de plusieurs manières, affirme Geneviève Michel, notamment avec l’assistance d’un notaire. Le caractère confidentiel d’un testament doit être préservé et l’avantage d’un notaire est que celui-ci, de par la nature de sa profession, est tenu au silence. »

« Dans certains cas, poursuit-elle, le testateur (celui qui rédige le testament) peut avoir des témoins, mais la loi établit des restrictions à ce sujet. Si elles ne sont pas respectées, elles peuvent invalider un testament (par exemple le légataire ni ses parents ou alliés jusqu’au 4e degré inclusivement ne peuvent être pris pour témoins). »

Mais, bien que le testament simplifie les successions, il y a des cas où il ne sert à rien. « Les gens peuvent ignorer comment bien rédiger un testament, explique la juriste. Non seulement ils ne savent pas qu’il y a des formes à respecter, mais aussi, souvent ils ne connaissent pas le principe de la réserve obligatoire pour leurs héritiers ». Dans ces cas, le testament est irrecevable et c’est la loi générale qui règlera tout.

Accepter ou refuser

Nul n’est obligé d’accepter une succession. En cas d’acceptation, on peut le faire tacitement ou de manière expresse, c’est à dire dans un acte authentique. Une fois accepté, l’héritage peut être donné ou vendu aux cohéritiers ou même à une personne étrangère à la succession. Si un héritier décède sans avoir eu le temps d’accepter, de manière tacite ou expresse, ses propres héritiers peuvent l’accepter ou la refuser à sa place.

Contrairement à l’acceptation d’une succession, y renoncer ne peut pas se faire de manière tacite. Il faut que la renonciation soit inscrite dans un registre, au greffe du tribunal de Première instance de la juridiction où la succession a été ouverte. « L’héritier qui renonce est censé ne jamais avoir hérité », aux yeux de la loi.

La part qui devait lui revenir va agrandir celles des autres héritiers. S’il avait des dettes, ses créanciers peuvent se faire autoriser par la justice à prendre la succession à sa place, selon le montant des dettes. Les héritiers ont jusqu’à vingt ans pour accepter ou refuser un héritage. C’est la période de prescription de leur droit d’accepter.

La présomption de survie

La loi prévoit des scénarios où des familles en entier peuvent périr. Prenons l’exemple du tremblement de terre du 12 janvier 2010. Si pendant la catastrophe, des héritiers qui seraient appelés à la succession les uns des autres meurent, il faudrait déterminer lequel est mort le premier. S’il est impossible de le déterminer, on parle de présomption de survie pour décider qui doit hériter. Dans ces cas, la loi se réfère à une logique simple qui veut que les enfants meurent après leurs parents, en règle générale par la loi naturelle.

Si ceux qui sont morts ensemble avaient quinze ans accomplis, et moins de soixante, il existe deux possibilités. Dans la première, on présume que c’est le mâle qui a survécu, s’il y a égalité d’âge. Sinon, si tous les défunts étaient du même sexe, on présume que le plus jeune a survécu au plus âgé. La présomption de survie est importante pour déterminer la lignée qui sera bénéficiaire de l’héritage.

Il existe des dispositions particulières applicables à la succession des étrangers en Haïti.

Cet article à été mis à jour pour intégrer l’article 588 du Code Civil. 25/02/2020

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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