SOCIÉTÉ

En Haïti, on attribue aux « marasa » des pouvoirs mystiques

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En Haïti, les enfants jumeaux sont choyés ou même évités du fait qu’ils sont souvent considérés comme des gens spéciaux détenant des pouvoirs mystiques

Jacqueny et Jacquener Etienne sont nés en 1979 à Terrier Rouge dans le département du Nord-est d’Haïti. Ils ont grandi dans une famille catholique. Cependant, leurs parents ont toujours organisé des rituels de vaudou en leur nom.

« Nos parents savaient qu’on détenait des pouvoirs mystiques et faisaient tout pour que nous les gardions », se rappelle Jacqueny Etienne qui rajoute qu’en plus des rituels, son frère et lui ont été gâtés juste parce qu’ils étaient des jumeaux.

« Nous avons eu droit à un traitement différent de celui des autres enfants de la maison, continue Étienne. Par exemple, lors notre anniversaire, nos parents nous trouvaient toujours un cadeau, ne serait-ce qu’un bonbon, ce qui n’était pas le cas pour les autres enfants. »

Les deux frères Étienne ont aujourd’hui 41 ans. L’un vit en Haïti, l’autre habite à Curaçao, mais ils demeurent très soudés selon Jacqueny Etienne qui vit en terre étrangère. 

Jacqueny Etienne pense que les jumeaux ont des pouvoirs qui leur viennent de la nature. Il ajoute que son frère et lui ne sont jamais allés chez un houngan. Cependant, quand ils le veulent, ils peuvent jeter un sort à des personnes pour des raisons diverses.

« Quand quelqu’un nous refuse une chose qu’on lui a demandée, nous pouvons nous servir des feuilles de la nature avec des formules de prière pour le maudire, dit Étienne. »

Dans le meme sens, Jaqueny se souvient qu’une fois son frère et lui ont jeté un sort à leur père. «Il nous a menti en nous promettant une poule. Avec des feuilles trouvées dans les bois, nous lui avons infligé un sévère mal au ventre. Quand notre père nous a demandé de l’aider parce qu’il savait qu’on pouvait le guérir, nous ne lui avons fait d’autre demande qu’une poule. C’est à ce moment qu’il s’est excusé de n’avoir pas honoré sa promesse. Notre père a rectifié le tir et nous l’avons aidé à se rétablir avec des feuilles et des prières », se rappelle l’homme de 41 ans.

Rien scientifiquement n’indique que les jumeaux détiendraient des facultés surnaturelles. Il n’existe que des témoignages anecdotiques sur le sujet.

Marrer quelqu’un

James et Jeff Antoine, deux frères jumeaux vivant à Pétion-Ville, pensent qu’ils ont également des pouvoirs qui ne sont pas donnés à tout le monde. « Nous pouvons voir des choses que les autres personnes ne peuvent pas voir, raconte Antoine. Je n’ai pas le souvenir que mon frère et moi avions “marré quelqu’un”, néanmoins, je sais que les gens craignent de nous faire du mal. Si quelqu’un nous attaque, il lui arrivera certainement quelque chose de mal », estime fièrement James Antoine.

Il souligne qu’en tant que jumeau, sa force ne se réduit pas uniquement à la vengeance. James Antoine croit qu’il peut repousser les esprits maléfiques. « Il nous arrive de rentrer tard la nuit avec des amis. Parfois, nous rencontrons sur notre route des sociétés “chanpwèl”. Dans de telles situations, mon frère et moi, protégeons nos copains. Soit on met le groupe au milieu pendant que l’un d’entre nous mène le groupe et l’autre reste derrière, soit on marche tous les deux devant nos amis pour les protéger. Les soirs où nous avons vécu ces genres d’expérience, le lendemain matin les gens disent toujours que les jumeaux ne sont pas simples », dit-il en souriant.

Les deux frères Antoine vivent avec leur père et mère et leurs deux frères. Ils ont fréquenté les mêmes écoles et restent très soudés. Ils sont à présent étudiants en sciences juridiques. Les Antoine se montrent souvent ensemble sur les réseaux sociaux. Leurs amis se contentent souvent de les appeler les jumeaux, au lieu de citer leur prénom. «Nous donnons les mêmes réponses aux mêmes questions même quand on nous les pose séparément. Vous pouvez ne pas le croire, mais il nous arrive de faire les mêmes rêves », ajoute James Antoine.

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Si Jacqueny Etienne et James Antoine croient que les jumeaux détiennent des pouvoirs mystiques, la musicienne Samora Julmisse, jumelle de sa sœur Soraya Julmisse, ne partage pas le même avis. « Nous n’avons aucun pouvoir contrairement à tout ce que pensent les gens. De toute notre vie, ma jumelle et moi n’avons jamais eu le pouvoir de jeter de sort à personne », rapporte Samora Julmissse, le maestro du groupe Siromiel.

Comme beaucoup d’enfants jumeaux, les sœurs Julmisse ont porté des vêtements identiques étant enfants. Mais leur mère leur a toujours accordé la possibilité de choisir le modèle ou la couleur qui leur plaisait, selon Samora Julmisse. « Ma sœur a toujours préféré le jaune tandis que j’ai été attiré par d’autres couleurs comme le bleu et le rouge. J’ai aimé la musique, mais ce qui n’était le point fort de ma sœur. Mais il faut dire que nous avons été complémentaires. Là où j’avais une faiblesse, elle était forte. »

Quand elles sont devenues adultes, Soraya et Samora Julmisse ont emprunté des chemins différents. La première a étudié la médecine. La deuxième a fait des études en sociologie s’est intéressée à la musique.

La gynécologue obstétricienne Rodrine Janvier souligne qu’il n’y a aucune étude scientifique prouvant que les jumeaux et jumelles ont un quelconque pouvoir paranormal.

Par ailleurs,  la spécialiste dément l’idée répandue en Haïti faisant croire que les gens qui naissent avec un sixième doigt dans la main sont un jumeau ou une jumelle qui a mangé son frère ou sa sœur dans le ventre. « Quand il y a un doigt surnuméraire dans la main d’une personne, il s’agit d’une anomalie qu’on appelle polydactylie. À la naissance, les parents peuvent demander aux médecins de l’enlever », explique Dr Janvier.

Besoin de s’individualiser

La psychologue clinicienne Jacqueline Baussan relate pour sa part que les jumeaux sont souvent perçus comme étranges et fascinants surtout quand ils se ressemblent beaucoup. Ils jouent même parfois à prendre la place de l’autre et à tromper l’entourage.

« Cela amuse les adultes qui parfois de façon inconsciente les encouragent dans la fusion. Ils sont habillés toujours à l’identique, sont obligés de faire les mêmes activités en même temps, portent des prénoms très semblables (Ex. : Pascal et Pascaline) », explique la psychologue qui souligne que tout pousse les jumeaux à rester en couple indissociable comme s’ils étaient les deux faces d’une même pièce.

« Afin que leur personnalité unique se développe et s’affirme, il est important de traiter les jumeaux non pas comme un couple, mais comme deux personnes séparées. Il convient de les appeler par leur prénom, les habiller différemment, leur permettre d’avoir des activités séparées et de développer leurs goûts et talents individuels, etc, », rajoute Jacqueline Baussan.

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Plus loin, Baussan souligne que le développement des enfants jumeaux n’est pas différent de celui des autres enfants. Un enfant, selon la spécialiste, s’attache à ses parents et cette relation d’attachement lui permet de construire la sécurité affective qui sera la base de sa santé mentale.

« L’enfant doit également se différencier de ses parents sur une période qui dure de la naissance à la fin de l’adolescence, pour développer sa propre personnalité. Les enfants jumeaux doivent eux aussi s’attacher et se différencier », argumente Baussan.

À propos de certains jumeaux qui, parfois, ne parviennent pas à s’entendre, la psychologue affirme que dans toute fratrie, le pouvoir et la rivalité sont des enjeux. Les parents, dit-elle, accentuent la lutte entre les jumeaux quand ils ont tendance à les identifier et à les différencier en les comparant et les opposant. « Ex. : Pascal est sociable, Pascaline est timide. Cela peut finir par les enfermer dans des rôles de “bon enfant ‘ et ‘mauvais enfant ‘. En terme psychologique, ils vivent alors la réalité psychique du ‘bon’ ou du ‘mauvais’ objet aux yeux des parents. Cela peut être préjudiciable à tous les deux sur le plan de la santé mentale », conclut-elle.

Grossesse multiple

Selon la gynécologue obstétricienne Rodrine Janvier, quand on parle de jumeaux, il faut voir la catégorie de grossesse multiple qui est le fait qu’une femme porte plus qu’un fœtus dans son utérus. Elle peut porter trois enfants, des triplés, un quadruplé, ainsi de suite.

« Quand une femme porte des jumeaux, on parle de grossesse gémellaire, ces enfants peuvent être de vrais ou des faux jumeaux. Il y a des familles qui sont génétiquement conditionnées pour avoir des grossesses gémellaires. Mais il y a d’autres facteurs qui peuvent amener une femme à porter des jumeaux. »

Comme par exemple, dans une fécondation in vitro, dans le cadre d’une méthode appelée procréation médicalement assistée réalisée pour des couples qui ont des difficultés pour avoir un enfant. Dans ces situations, Janvier déclare que fort souvent les femmes ont des grossesses gémellaires.

Pour qu’il y ait grossesse, continue Rodrine Janvier, il faut qu’il y ait au moins un rapport sexuel non protégé au moment où la femme a son ovulation. La cellule reproductrice de l’homme (un spermatozoïde) rencontre celle de la femme (un ovule) pour former un œuf ou zygote. Dans le cadre d’une grossesse unique cet œuf, selon la spécialiste, se multiplie, subit des modifications pour devenir un embryon, ensuite un fœtus , puis, un futur bébé.

« En revanche, quand il s’agit d’une grossesse gémellaire, au lieu de subir tous ces changements, le zygote se coupe en deux pour donner deux fœtus, donc deux futurs bébés. On parle alors de vrais jumeaux parce que c’est un œuf divisé en deux qui a donné lieu aux deux futurs bébés », dit Rodrine Janvier.

La spécialiste précise que les vrais jumeaux ont toujours les mêmes sexes : deux femelles ou deux mâles. Quand il est question de faux jumeaux, au lieu d’un seul spermatozoïde qui rencontre un seul ovocyte ou ovule, il y a toujours selon Dr Janvier, une double situation qui se produit, c’est-à-dire, il y a deux ovocytes qui rencontrent deux spermatozoïdes.

 « Au lieu d’un œuf, il y aura la formation de deux œufs. À ce moment, l’on aura deux futurs bébés qui présenteront des appareils génétiques différents. »

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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