La disposition se trouve à l’article 17 du décret relatif à l’immatriculation et à la circulation des véhicules. Les contrevenants risquent 500 gourdes d’amendes et 5 jours d’emprisonnement, en cas de non-paiement
De temps à autre, les interactions avec la police finissent bien. Comme cette fois, début 2017. Jean Patrick François revenait de chez son père. Arrivé à proximité de la base d’Intervention motorisée à l’avenue Gerard Téodart, un agent lui a demandé de s’identifier. Parmi les passants et citoyens en attente d’une camionnette, il était le seul visé. Bien qu’il trouvât la requête discriminatoire, il s’est exécuté. « Avec ton look, on te fouillera toujours », lui a lancé le policier après avoir mis son sac sens dessus dessous.
Souvent, l’interpellation tourne à l’abus de pouvoir. Comme en février dernier, en marge d’une manifestation des étudiants de l’Université d’État d’Haïti. Cette fois, la présentation de sa pièce d’identification n’a pas suffi. Les policiers ont accosté Jean Patrick François et certains de ses camarades. Ils sont menacés, battus violemment, trainés dans la rue qu’on leur a forcé de nettoyer avant d’être jetés au cachot. Ils n’obtiendront libération qu’après un lobbying intense d’organisations de défense des droits humains.
Au fait, Jean Patrick François croit savoir pourquoi il aimante autant l’agressivité des chefs. « Le policier ne me fouille pas parce que je n’ai pas de pièce d’identité, mais parce que je porte des dreadlocks ». Et d’expérience, l’étudiant en deuxième année à la Faculté de Linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti reconnait qu’il a plus de chances de se voir demander sa carte d’identification que ses camarades aux crânes moins fournis.
Une exigence légale
En Haïti, se retrouver dans la rue sans sa carte d’identification constitue une violation de la loi. L’interdiction se loge à l’article 17 du décret du 26 mai 2006 relatif à l’immatriculation et à la circulation des véhicules.
Entre autres décisions, ce décret interdit l’usage du téléphone, des écouteurs ou des lunettes pouvant gêner l’angle de vision au volant. Il bannit le « manque d’égards » envers les agents de la circulation et invite les chauffeurs à « serrer à droite pour s’arrêter le plus vite possible », dès qu’ils entendent « résonner la sirène ou qu’ils [aperçoivent] le feu clignotant d’un véhicule prioritaire en service (pompiers, police, ambulance ou certains véhicules des forces régulières) ».
En plus, l’article 17 de ce document fait obligation au citoyen, usager de la voie publique, de se munir de pièces d’identité qu’il sera obligé d’exhiber à toute réquisition d’un agent de la Police.
Pour le piéton, « cette pièce sera sa carte d’identification nationale ; (…) Le mineur, requis de s’identifier, le fera par ses parents ou personnes responsables ou sa carte scolaire, le cas échéant. » Les contrevenants risquent une amende de 500 gourdes et 5 jours d’emprisonnement, en cas de non-paiement.
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Cette même contravention se retrouve également dans le décret de 2005 relatif à la Carte d’identification nationale. Ses articles 13 et 27 font obligation au citoyen de présenter sa carte à « toute réquisition de la police ou des autorités compétentes ». Dans le cas contraire, il paiera 500 gourdes sur procès-verbal dressé par un officier de police prononcée séance tenante et toutes affaires cessantes par le tribunal de paix.
Le projet de loi de l’administration Jovenel Moïse sur la Carte d’identification nationale unique porte l’amende à 1000 gourdes.
L’Etat ne garantit pas la disponibilité des pièces d’identité
Ces dispositions légales rendent la possession de la carte d’identification nationale obligatoire en Haïti pour les citoyens majeurs. Mais, « beaucoup d’entre nous n’avons pas cette carte d’identification », reconnait l’avocat Woodkend Eugene. « L’État haïtien n’arrive pas à fournir aux citoyens les documents nécessaires pour s’identifier et c’est une violation de leurs droits parce que le droit à l’identité est une garantie », continue le professionnel, défenseur des droits humains.
Il est admis que les forces de l’ordre doivent vérifier l’identité des gens pour prévenir les contraventions et garantir la sécurité publique. Cependant, les policiers haïtiens détiennent un pouvoir discrétionnaire et vont souvent au-delà de ce que la loi prévoit. Ils stoppent, exigent une pièce d’identification et parfois conduisent des gens en rétention quand ils échouent à présenter le document.
Or, une amende n’aboutit pas automatiquement à une peine d’emprisonnement. « Le policier ne peut mettre en garde en vue quelqu’un qui n’a pas sa carte, à moins qu’il y ait des soupçons graves », précise Woodkend Eugene. « En réalité, arrêter quelqu’un revient à le priver de sa liberté. La privation de liberté est une peine extrême. C’est vraiment le dernier recours. »
Contrôle au faciès
En France, le citoyen qui ne peut pas présenter de documents (carte nationale d’identité, passeport ou permis de conduire) ou s’ils paraissent insuffisants pour établir l’identité (document sans photo), peut être soumis à une vérification d’identité. « En principe, vous n’êtes pas obligé d’avoir une carte d’identité », explique le site web officiel de l’administration française, Service public.
Dans le cas d’une vérification d’identité, l’officier de police judiciaire peut retenir la personne, sur place ou dans ses locaux. Durant la vérification qui ne peut excéder 4 heures, la personne contrôlée peut présenter de nouveaux papiers, faire appel à des témoignages, faire prévenir le procureur de la République ou toute personne de son choix.
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À cause du racisme et de la xénophobie qui traverse la société française, certains policiers versent dans la discrimination en s’appuyant sur des caractéristiques physiques ou des signes distinctifs pour déterminer les personnes à contrôler. Les minorités ethniques et les personnes considérées comme étrangers en sont les premières victimes. « On appelle ça un contrôle au faciès », explique Woodkend Eugene. Et « ce sont des violations extrêmement graves. »
L’institution policière haïtienne n’est pas exempte des préjugés qui ont cours dans la société, notamment contre les hommes à l’apparence « efféminé » ou portant des « dreadlocks ». « Ils ne te font pas confiance et ils pensent que ta présence alimente les désordres, notamment lors des périodes de troubles », témoigne Jean Patrick François.
Pour freiner les abus, Eugene invite les victimes à porter plainte. Il faut aussi former les policiers qui doivent « apprendre à avoir un comportement respectueux des droits humains ».
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