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En défense de Martine Marie Etienne Joseph

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C’est au forceps que le processus électoral entamé depuis des lustres a accouché, dans une douleur sociale, politique et économique lancinante, du 58e président d’Haïti. Triomphal et auréolé, Jovenel Moise a prêté serment ce 7 février 2017. Sous le bienveillant regard de certains anciens candidats et présidents, de parlementaires et de dignitaires étrangers, il a prononcé ses premiers mots de « chef d’État » dans un Palais National abattu par le tremblement de terre du 12 janvier 2010.

À la fragile légitimité (seulement 21% des électeurs ont sanctionné le scrutin), Jovenel Moïse s’apprête à hériter des fonctions de son mentor politique, Michel Martelly, après l’intermède transitoire Jocelerme Privert. S’il a fait campagne sur des « généralités », il se fracasse aujourd’hui à la « réalité ».

Et cette réalité se révèle… calamiteuse

« Pour l’exercice [fiscal] écoulé (…), les importations des biens et services du pays s’élevaient à 4.18 milliards de dollars contre des exportations se trouvant autour de 1.62 milliard, soit un déficit de 2.52 milliards de dollars américains » a récemment rapporté Le National. Haïti aurait perdu 1.8 milliard de dollars après le passage du dévastateur cyclone Matthew, « soit près de 20 % du PIB ». À ce sombre tableau de chasse, il faut y accrocher la dévaluation de la gourde (68.50G pour 1 dollar), une prévision de croissance négative pour 2017 si l’on en croit la Banque Mondiale et la raréfaction de la perfusion, dite « mortelle » de l’international.

Dans un pays où 58.5 % de la population hoquète sa pauvreté, où les crises sociales sont indénombrables, où la grande majorité de la population tient à distance cette « sale chose » qu’est la politique, où les dernières élections viennent éparpiller dans tous les sens l’opposition, ce pilier fondamental de toute démocratie dynamique… dans son premier discours, Jovenel Moise a failli d’adresser la composition de son prochain gouvernement encore moins la place qui sera dévolue à ses anciens opposants politiques. S’il s’est engagé à être le président de « tous », ses premiers remerciements ont été dirigés vers le « peuple haïtien », entendu comme, ceux qui l’ont voté, et aussi ceux qui dans la lutte pour son accession au pouvoir sont « tombés ».

Tantôt vu comme affidé du PHTK, parfois catalogué dans les rangs de l’opposition, l’ancien président provisoire Jocelerme Privert, qui dans la pénibilité a matérialisé ces élections n’a pas bénéficié, à défaut d’un panégyrique mal placé, d’une reconnaissance de sa persistance. L’équilibrisme du CEP, tiraillé dès le début, parfois hésitant, souvent ferme n’a pas non plus été commenté.

Le nouveau locataire du Palais National semble se préoccuper de la justice. Noble cause. Seulement, il vitupère quand, personnellement, il est mis à l’index. « Une institution qui se connaît faible, sachez [qu’]à partir de 8 février, vous serez obligé d’être forte », a-t-il lancé  alors que dans la presse, les accusations de blanchiment d’argent à son encontre faisaient les grandes manchettes. Pour cette presse turbulente, Jovenel Moise a même déclaré qu’il va promouvoir une loi contre la « diffamation » : un projet législatif longtemps redouté pour les dérives que potentiellement, il pourrait occasionner.

S’il aime se qualifier de « phénomène », c’est en partie son sens de la formule et ses slogans qui marquent le passage de Jovenel Moise. Au cours d’un meeting dans le sud, il a pris une des premières décisions de son quinquennat, celui d’organiser le carnaval national aux Cayes. Alors qu’il n’avait pas encore prêté serment, il a soldé sa résolution par un fameux : « Le président a parlé. Point barre ». « Jean-Claude Duvalier, Jean-Bertrand Aristide, aucun des généraux putschistes, aucun des chefs d’État haïtien même pas François Duvalier lui-même, n’a été aussi plein de lui-même avant de prêter serment » a alors écrit l’éditorialiste Frantz Duval au Nouvelliste. Aujourd’hui, l’épisode ne subsiste que par les réminiscences du fameux « point barre ». Pour certains, il a révélé un caractère, une façon de concevoir la présidence. Pour d’autres, ce n’était qu’une bourde, une joyeuseté dont la source est à chercher plus du côté d’une ivresse subite que les prémisses d’un certain goût pour la tyrannie.

Pourtant…

Des légitimes préoccupations, dont quelques-unes, sont plus haut mentionnées. Des infrastructures moribondes que le chef de l’État se devra d’ériger, de la relation avec nos voisins et partenaires, notamment la République Dominicaine qu’il aura à entretenir, toujours avec pour objectif, les intérêts de la majorité, des miséreux et des estropiés, un seul sujet semble avoir retenu l’attention des internautes haïtiens : la robe de Martine Marie Étienne Joseph, compagne de Jovenel Moise.

Il est permis d’appréhender le souci noble de ceux dont le métier consiste à se préoccuper de ces choses-là, de l’harmonisation du paraitre et de l’être, du message véhiculé par le vestimentaire, de la personnalité qui, semble-t-il, peut se lire à travers les morceaux de toiles. Mais vu la prééminence de cette affaire, les posts sur Facebook, Instagram et Twitter, les articles, collages de photos, les mèmes, parfois assez drôles, il est légitime de se demander ce que cette fixation révèle.

Plus d’un remarquerait, dans cette soudaine célébrité, l’occultation du rôle qu’a joué Mme Martine Marie Etienne Joseph dans la campagne de son mari. Refusant de se cantonner à être le traditionnel accessoire des sorties officielles, le sourire féminin pour l’objectif des caméras, elle s’est donnée pour faire élire Jovenel Moise. Ses comptes sur les réseaux sociaux alimentés régulièrement, tournage de clip de campagne, elle a même, remplacé son mari lors d’un meeting à Miami. Son discours anglais somme toute, assez convenu, a occasionné un applaudissement nourri. Ovation d’ailleurs assez symptomatique de l’attente minimale des militants présents…

Dans une autre vidéo, c’est à la télévision, toujours aux États-Unis qu’elle a défendu avec « précision » le programme de celui qu’elle considère comme compagnon politique, à en juger le « nous » employé plutôt que « mon mari » ou simplement « Jovenel Moise ».

Sexisme latent

Ceux qui essentialisent Mme Joseph Martine Marie Étienne Joseph à sa robe obéissent de toute évidence à ce mantra de la jeune génération qui préfère quereller sur l’accessoire plutôt que d’évoquer l’essentiel, qui mord à l’hameçon des drôleries de la vie publique, poupées de pailles qui cachent les tractations qui engagent leurs avenirs, qui se passionne à débattre les 50 nuances du bikini des célébrités plutôt que de démêler les enjeux du moment, ses acteurs principaux et figurants, les intérêts et mirages du système.

Ils ne se sont pas indignés que le président d’une nation aspirant à la modernité requiert « trois journées de prières nationales », condition essentielle, vraisemblablement à sa réussite . Ils ont plutôt préféré, il me semble envoyer un message à « Martine ».

Une version de ce message a été communiquée à la sénatrice démocrate Élisabeth Warren ce 7 février. Opposée à la nomination de Jeff Sessions, accusé notamment de racisme, on a réduit l’opposante farouche de Donald Trump au silence par le truchement d’un règlement rarement utilisé au Sénat des États-Unis.

Pour justifier cet acte misogyne, d’une gravité extrême, le leader républicain au sénat, M. Mitch McConnel a fameusement déclaré : « Elle a été avertie. On lui a donné une explication. Malgré cela, elle a persisté ».

Voilà comment il convient de traiter celles qui ne restent pas à leurs places. Celles qui se risqueraient à « l’arrogance », à « l’insoumission », ou qui oseraient ne pas se préoccuper de leurs domaines naturels : celui des « apparences », de ces « robes » jamais aux bonnes couleurs, de ces souliers toujours non appropriés, de l’entretien permanent des maquillages… Un proche du président élu m’a personnellement avoué les négligences de ce dernier en matière de vestimentaire, mais jamais, il n’y eut drame.

Peu importe.

C’est un fait. Une femme, cela doit être « belle », « vétu correctement » et « humblement », prendre place aux côtés de son mari « aimant ».

« Martine » a aujourd’hui été avertie. Espérons que « Malgré cela, elle persistera ». Dans la liberté et la désinvolture. Dans ses idées et son engagement.

Widlore Mérancourt

Crédit photo : La présidence d’Haïti

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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