Le patient agonise. Son état dégénère. Le point de
Je connais un ami entrepreneur. Il a 29 ans. Hier, il m’a dit ceci : « Je suis à bout de souffle. Je me donne encore deux ans. Autrement, je laisse le pays». Rappelons, tout de même, qu’il est dans les affaires depuis six ans et qu’il possède à son actif « deux camions bascules, une quincaillerie et une superbe Mitsubishi Montero ». J’ai un ami universitaire. Il a 26 ans et est inscrit à un programme de maîtrise. Lui aussi m’a dit: « Je suis épuisé, perdu et déboussolé. Je ne sais même pas quand je pourrai laisser le toit familial et construire ma propre maison ». J’ai un autre ami paysan. Lui m’a dit: « J’attends que mon 8e enfant termine sa classe de rhéto cette année. Après, on part tous pour le Brésil ». Un autre m’a dit: « En 2016, je dois à tout prix être un fonctionnaire de l’État. C’est la seule façon pour moi de m’en sortir ». J’ai des tas d’anecdotes à raconter, les unes plus tristes que les autres. Comme celle d’une jeune demoiselle à Cange (localité aux environs de Hinche) qui m’a dit: « Ici, être infectée du VIH ou avoir de nombreux enfants est une opportunité inouïe pour se procurer un peu d’argent, s’acheter des médicaments, se nourrir, grâce au programme de subvention et d’accompagnement des personnes vulnérables, mis en place par une ONG installée dans la zone. ». Partout c’est la même chanson. Et je me retrouve bizarrement en train de la fredonner: « Haïti, c’est fini. Et dire que c’était le pays de mon premier amour. Haïti, c’est fini »
Plongé dans l’actualité, je m’étouffe. Je perds mes repères. La bêtise est devenue une norme. Combien de fois,
Le patient tente un dernier cri avant de partir. Il espère qu’un jour, quelqu’un vienne lui dire que le pays a changé. Que les enfants sont allés à l’école. Que la politique est enfin perçue comme l’art de servir et non comme une source d’enrichissement rapide. Que les fils de Pétion et de Dessalines marchent unis, la main dans la main. Que l’État est enfin institutionnalisé. Que la décentralisation économique a enfin vu le jour. Que les paysans cultivent leur terre. Que le riz national est dans tous les plats. Que nos enfants n’ont plus besoin d’aller en République Dominicaine parce qu’ils ont accès à d’excellentes universités ici. Qu’il n’y a plus de coups d’État. Qu’il n’y a plus d’apprentis dictateurs ? Que la nation s’est réconciliée. Que nos entrepreneurs ont accès au crédit. Que notre classe moyenne vit décemment. Que les bidonvilles ont disparu pour faire place à des habitats de qualité. Que nos villes ne sont plus inondées à la moindre averse ? Que les élections se font honnêtement et régulièrement. Que les trois pouvoirs travaillent en harmonie pour le progrès du pays. Que le 12 janvier ne soit plus une date fatidique. Que nous sommes entrés dans la modernité, où règnent la solidarité, la coopération, l’inclusion, la moralité, l’éthique et le respect des normes. Enfin, que « La Dessalinienne » n’est pas qu’un simple hymne.
[1] Extrait du discours de Steeve Jobs, en 2005 à Stanford Univerity
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