«Le fait pour un hôtel de ne pas attribuer une chambre à deux personnes de même sexe traduit une atteinte sérieuse à la vie privée des gens», commente Monique Clesca, défenseure des droits humains, de la justice sociale et de la parité de sexe
L’entrepreneure Lucna Henrisme et une amie se sont vues refuser l’accès à une chambre d’hôtel à Ouanaminthe au début du mois de novembre 2023.
La réceptionniste de l’établissement avait un motif en béton : la politique de l’hôtel ne permet pas à deux personnes de même sexe de partager une chambre.
Beaucoup d’hôtels en Haïti mettent en place des règlements similaires. Si ces mesures semblent discriminatoires et portent atteinte à la vie privée, les lois haïtiennes ne les interdisent pas, selon quatre avocats et deux militants de défense des droits humains consultés par AyiboPost.
«L’hôtel fait intervenir seulement le sexe comme un critère de distinction. Ce sont les règles de l’entreprise, et ces règles ne sont pas interdites par la loi», soutient Me Samuel Madistin, avocat militant et président du conseil de la Fondation Je Klere (FJKL).
Si ces mesures semblent discriminatoires et portent atteinte à la vie privée, les lois haïtiennes ne les interdisent pas.
L’existence d’une relation avérée entre les clients importe peu dans la plupart des cas, selon des témoignages.
Kenson Augustin était accompagné de huit personnes qui devaient se rendre le lendemain au Nicaragua lorsqu’il avait franchi la salle de réception de l’hôtel Valentine à Delmas 87, en novembre 2023.
Leur réservation pour quatre chambres de deux personnes chacune sera annulée, parce que, selon la réceptionniste citée par Augustin, «les personnes qui partagent les chambres ne doivent pas être de même sexe».
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Alexis Mickenson, un jeune cadre de l’administration publique haïtienne, explique à AyiboPost comment lui et deux amis ont failli dormir à la belle étoile le 29 septembre 2021 dans la commune des Cayes parce qu’un responsable d’hôtel, pendant près de trente minutes, leur a refusé l’accès à l’établissement, déclarant qu’il ne supporte pas dans son business «des parties de jambes en l’air entre hommes» en raison de sa foi chrétienne.
Les jeunes, venus de Jérémie pour assister à un bal du groupe «Kreyòl la» dans la troisième ville du pays, ont dû se fondre en explications pour se voir accorder une faveur pour la nuit.
L’hôtel fait intervenir seulement le sexe comme un critère de distinction. Ce sont les règles de l’entreprise, et ces règles ne sont pas interdites par la loi.
– Samuel Madistin
Monique Clesca est romancière, spécialiste en développement international et défenseure des droits humains, de la justice sociale et de la parité de sexe.
Selon Clesca, le fait pour un hôtel de ne pas attribuer une chambre à deux personnes de même sexe traduit une atteinte sérieuse à la vie privée des gens.
«Ces responsables d’établissements hôteliers cherchent à exercer un contrôle sur le corps des gens qui devraient pourtant pouvoir en disposer à leur guise», dit la militante. «Personne ne devrait imposer sa moralité ou ses règles de conduite à d’autres personnes», soutien l’auteure du roman Confession.
Les membres de la communauté M en Haïti sont aussi touchés par l’interdiction.
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Grace, une jeune femme, raconte avoir été renvoyée de l’hôtel «Fanm Vanyan» de Bois-Verna pour avoir voulu passer «un moment» avec sa copine il y a deux ans. «L’établissement n’accepte pas de couples lesbiens ou de même sexe», aurait déclaré la réceptionniste, selon Grace qui dit avoir subi le même refus dans deux autres hôtels le même jour.
«Je me suis sentie blessée», déclare la jeune femme à AyiboPost.
L’Hôtel «Fanm Vanyan» a été contacté par Ayibopost. La concierge ne nie pas les faits.
«Nous acceptons des réservations pour deux personnes de même sexe simplement si leurs cartes d’identité suggèrent qu’elles ont un lien familial», ponctue-t-elle à l’autre bout du fil.
La dame rappelle que les relations sexuelles entre deux personnes de même sexe sont prohibées dans l’espace hôtelière. «Nous avons reçu des ordres très clairs du directeur général. Il nous a expressément expliqué qu’au lieu d’accepter des ébats de ce genre dans son Hôtel, il préférerait le fermer pour toujours», souligne-t-elle, ferme.
Ces responsables d’établissements hôteliers cherchent à exercer un contrôle sur le corps des gens qui devraient pourtant pouvoir en disposer à leur guise.
– Monique Clesca
La question doit s’adresser au plus haut niveau, selon des spécialistes.
«On fait face à des discriminations dans le cadre d’une société hétéronormée, qui part de l’idée que l’hétérosexualité est la norme et qui rejette toutes les pratiques qui ne rentrent pas dans cette catégorie», analyse Rose-Myrlie Joseph Docteure en Sociologie et en Études de Genre.
Selon la chercheuse au Centre de recherche Éducation Formation de l’Université Paris Nanterre (CREF), l’État doit prendre des dispositions pour protéger les minorités sexuelles contre toutes les formes de discrimination.
Par Junior Legrand
Image de couverture : freepik
Visionnez cet épisode de la chronique ANRIYAN publiée en novembre 2023, abordant la perception sociale sur les personnes homosexuelles en Haïti:
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