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Des Haïtiens piégés entre la déportation massive de la RD et l’insécurité en Haïti

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Les migrants haïtiens en situation irrégulière sont en état d’alerte en République Dominicaine

Remise Thélor avait six ans lorsqu’elle émigre en République Dominicaine avec ses parents en 1979.

Originaire de la commune de Thiotte dans le département du Sud-Est, Thélor réside actuellement à Barahona, une ville au sud du pays voisin. Elle y possède une petite maison dans laquelle vivent ses cinq enfants nés en République Dominicaine.

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Mais le 2 octobre dernier, le gouvernement dominicain annonce vouloir déporter 10,000 haïtiens par semaine. Depuis, des vidéos montrent une escalade de violences contre les Haïtiens dont certains sont violemment battus dans la rue.

Thélor, cette commerçante de 51 ans et les membres de sa famille se cachent désormais chez des voisins pour éviter d’être arrêtés et brutalisés par des agents de l’immigration.

La décision gouvernementale, dénoncée comme discriminatoire, a quand même atteint la famille. 

Le 7 octobre, les agents de l’immigration capturent le mari de Thélor, alors que ce dernier se rendait à l’église. Il sera libéré grâce à l’intervention de deux curés de son assemblée.

Les migrants haïtiens en situation irrégulière sont en état d’alerte en République Dominicaine.

C’est le cas de cet homme de 22 ans, arrivé en terre voisine en mai 2024 dans l’espoir de trouver du travail dans la construction. 

Pour échapper aux rafles des agents de l’immigration, l’homme confie se lever en pleine nuit afin de rejoindre discrètement son lieu de travail, où il attend avec impatience le lever du jour. 

« C’est devenu une véritable chasse à l’homme, déclare le jeune homme à AyiboPost. On évite de sortir alors que la nourriture commence à manquer là où nous sommes ». 

Plusieurs migrants décrivent une atmosphère de terreur quotidienne.

« C’est très compliqué de rester ici. Et, probablement le pire nous attend en Haïti » dit le jeune homme, faisant référence à la situation d’insécurité dans l’Artibonite d’où il est originaire.  

Au moins deux de ses camarades, pris de peur, ont déjà préféré rentrer en Haïti, tandis que d’autres, terrés dans leurs habitations, n’osent plus franchir le seuil de leur porte, redoutant à chaque instant l’arrivée des autorités.

Depuis le début des déportations massives annoncées par le gouvernement au début du mois d’octobre, plus de 8000 migrants haïtiens ont été déportés en Haïti, selon des données de l’organisation internationale pour les migrations (OIM).

Cette vague de déportation prend place dans un contexte où les autorités haïtiennes et une force multinationale tardent à combattre l’insécurité ayant poussé plus d’un demi-million de personnes à fuir leurs maisons.

La majorité des migrants haïtiens en République Dominicaine, soit environ 700 000 personnes selon une estimation officielle, ne détiennent pas de visa de résidence, même après des décennies de travail dans le pays.

Selon le représentant permanent dominicain auprès de l’OEA, Radhafil Rodríguez, ces « mesures » prises par son gouvernement font partie des dispositions implémentées pour « faire face à la situation générée par la pression migratoire massive haïtienne. » 

Lors d’une réunion sur la crise migratoire organisée le 8 octobre, Gandy Thomas, représentant permanent d’Haïti à l’organisation des États Américains (OEA) avait dénoncé une « épuration ethnique » opérée par la République dominicaine contre les migrants. 

« Les détentions sont massives et basées uniquement sur le profilage racial », fait remarquer à AyiboPost Simón Rodriguez, journaliste et chercheur indépendant basé en République Dominicaine.

Le protocole est de retenir les personnes et de les emmener dans un centre de détention pour vérifier la validité des documents d’immigration qu’elles possèdent.

Mais le processus ne se déroule pas toujours selon les règles, selon Rodriguez.

« Les procédures sont entachées de violence et d’actes arbitraires ; des cas de vol ou de destruction de documents ont été signalés », indique-t-il. 

Toutefois, les personnes qui sont sur le point de renouveler leur permis de séjour peuvent être libérées une fois arrivées au centre de détention, bien que la vérification des documents puisse prendre de nombreuses heures.

L’objectif déclaré de la campagne est de réduire la taille de la communauté immigrée haïtienne, dont la majorité des membres n’ont pas de statut migratoire régulier, souligne Rodriguez.

Cependant, poursuit Rodriguez, « cette politique contraste avec celle visant la communauté immigrée vénézuélienne, dont la majorité des membres se trouvait également en situation migratoire irrégulière et pour laquelle un processus de régularisation a été conçu ».

Vladimir Jojo Fleurimé, avocat et coordonnateur de l’organisation Promotion d’appui aux immigrants haïtiens et dominicains d’ascendance haïtienne (PAYIDAH), dénonce les conditions de détention et d’autres cas de violations de droits des migrants enregistrés dans les centres d’accueil, notamment à Haina. 

« Quand les migrants sont détenus dans ce centre, ils ne peuvent obtenir aucune assistance juridique de la part des avocats et des organismes des droits humains. Ils ne peuvent pas être en contact avec les membres de leurs familles », indique l’avocat.

De plus, souligne-t-il, « les organismes haïtiens n’ont pas le droit d’organiser des manifestations pacifiques pour protester contre la décision d’expulser les migrants haïtiens ». 

L’avocat dénonce l’extorsion de migrants haïtiens par certains agents de l’immigration dominicaine.

« Suivant l’endroit où vous vous trouvez lors de votre capture, vous pouvez payer jusqu’à 3 000 pesos aux agents de l’immigration pour échapper à la détention », confie Me Vladimir Jojo Fleurimé s’insurgeant du fait que cet arrangement forcé ne garantit pas pourtant la sécurité de l’immigrant.

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Jhak Valcourt est écrivain. Il s’est installé en République dominicaine en 2012.

En juillet 2023, l’homme est détenu au centre de Haina parce qu’il n’avait pas sur lui l’original de ses documents de résidence.

Il affirme y avoir passé seulement une heure grâce à ses contacts et la reconnaissance liée son statut d’écrivain.

« C’est un espace crasseux où il n’y a pas de chaises ni de structures adaptées pour accueillir les migrants. Aucun journaliste ni organisme de droits humains ne peut y avoir accès », confie Valcourt à AyiboPost.

Déportation

L’entrée du centre de détention de migrants à Haina, la photo date de juillet 2023. | © Simón Rodriguez

Les autorités pénètrent dans les maisons sans mandat, ce qui est illégal, selon Simón Rodriguez.

« Avec l’objectif de 10 000 renvois par semaine, tous les abus vont se multiplier », craint le journaliste.

Le professionel attire l’attention sur une situation chaotique dans le centre de Haina, où des cas de détention de mineurs sont enregistrés. 

« Il y a même des contradictions dans les chiffres de déportation avancés par les institutions, ce qui prouve le désordre », conclut-il.

Depuis des années, les relations diplomatiques entre Haïti et la République Dominicaine ne cessent de se détériorer en dépit des relations commerciales grandissantes entre les deux pays. La balance commerciale est largement en faveur de la République dominicaine.

Les questions migratoires, accentuées dans le contexte du conflit sur la rivière Massacre en 2023, ont été au centre des débats lors des dernières élections ayant vu Luis Abinader briguer la présidence dominicaine pour un second mandat en mai 2024.

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Devant l’assemblée générale des nations-unies en septembre 2024, Abinader avait évoqué le coût de la migration haïtienne pour les services sociaux dominicains tout en appelant les acteurs internationaux à agir pour résoudre la crise en Haïti. 

Selon lui, près de 10 % des services fournis par le système de santé dominicain étaient destinés aux migrants haïtiens en 2023.

Au moins deux cas de viol commis par des agents de l’immigration dominicaine sur des ressortissantes haitiennes ont été enregistrées, dont un en 2023 et un autre en 2024.

Ce mois d’octobre marque le 87e anniversaire du massacre ayant causé la mort de plus de 20 000 haïtiens et dominicains sur la frontière haitiano-dominicaine. 

Ce massacre a été ordonné en 1937 par le président dominicain d’alors, Rafael Leonidas Trujillo.

Cet évènement sinistre rappelle une succession d’actes discriminatoires et arbitraires posés par les gouvernements dominicains successifs. 

En 2012, la plus haute juridiction dominicaine a décidé que « les enfants nés dans le pays de parents étrangers », depuis 1929, seraient déchus de la nationalité dominicaine.

L’arrêt de la Cour Constitutionnelle 168-13, rendu le 23 septembre 2013, a imposé aux personnes nées en République Dominicaine après 1929, de parents étrangers, l’obligation de prouver le statut d’immigration régulier de leurs parents pour conserver la nationalité dominicaine. Cette décision de justice ne s’appliquait qu’aux personnes d’origine haïtienne.

Deux ans après, le gouvernement dominicain dirigé par Danilo Medina a promulgué la loi 169-14 , qui divise les personnes concernées en deux groupes.

Un premier groupe constitué de ceux qui ont déjà eu des documents d’identité dominicains.

Ces personnes ont pu récupérer la nationalité dominicaine, mais se sont inscrites dans un registre d’État civil à ségrégation raciale. 

Tandis que le groupe B a été dénationalisé et autorisé à participer à un plan de régularisation des étrangers avec la promesse d’accéder à la naturalisation en deux ans.

Elles ont eu droit à une carte de résidence de deux ans, renouvelable.

Mais plus de cinq ans après, les promesses de régulation annoncées par le gouvernement ne sont pas tenues.

Remise Thélor fait partie des milliers de personnes qui ont postulé et qui jusqu’ici n’ont pas encore obtenu la naturalisation.

La dame dit craindre pour elle et ses enfants qui risquent la déportation. 

« Je ne peux pas retourner vivre en Haïti car je ne connais aucun endroit depuis que j’ai quitté le pays, et il serait difficile pour moi de m’adapter » déclare la dame à AyiboPost.

Dans une lettre ouverte adressée au président dominicain Luis Abinader, signée par près de 500 personnalités à l’initiative du mouvement socialiste dominicain, un collectif de personnalités dominicaines et internationales plaide avec ferveur pour, entr’autres, la cessation immédiate des déportations et la réintégration dans la citoyenneté dominicaine de toutes les personnes injustement dénationalisées en 2013.

Le 8 octobre, la Primature informe avoir mis en place un groupe de travail pour assister les Haïtiens expulsés de la République dominicaine. 

Ce groupe multisectoriel doit collaborer avec les ministères compétents, les directions générales et les organisations internationales pour assurer la prise en charge des personnes expulsées.

Par Fenel PélissierWethzer Piercin

Image de couverture : Des travailleurs retraités de la canne à sucre manifestant pour leurs pensions en décembre 2022 à Saint-Domingue. | © Simón Rodriguez

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Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

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