Armés de prière, des dizaines de croyants ont tenté de se mettre en face des bandits de Canaan ce samedi. Aucun miracle du ciel n’a épargné leur assassinat
Dans un camp, des dizaines de fidèles protestants, armés de bâtons et de machettes, avec une foi indéfectible dans une mission divine : libérer le nord de Port-au-Prince des criminels sanguinaires qui tuent, pillent et violent en toute impunité.
En face, des armes de guerre et un groupe de bandits exerçant un contrôle serré sur un bidonville-butin dénommé Canaan.
Ce samedi 26 août 2023, aucun miracle n’a permis aux fidèles de l’«Église Évangelique Piscine de Bethesda», dirigée par le pasteur Marcorel Zidor, également appelé Marco, de réchapper à ce qui s’est présenté aux yeux de tous comme un combat décisif entre David et Goliath.
Au moins sept croyants sont tués sur le champ. D’autres sont estropiés. Et pris entre les feux nourris des gangs, le pasteur s’est enfui sur une moto, laissant ses brebis à la merci des bandits : des dizaines d’autres avaient cherché refuge, plusieurs sont kidnappés ou gravement blessés.
Une des premières victimes serait une dame, passagère d’une moto de fortune, témoigne «sœur Beatrice» à AyiboPost. «Un homme a été touché à la jambe», déclare la dame, les vêtements crasseux, à l’église de pasteur «Marco» à Carradeux, après les faits.
Alors qu’un bandeau était appliqué sur les jets de sang de la blessure de l’homme, la moto s’est approchée pour secourir le blessé. C’est à ce moment-là que sa passagère s’est effondrée : elle est morte sur le champ, après avoir reçu un projectile, affirme sœur Beatrice.
«On a été pris en sandwich et encerclés par les bandits aux environs de Morne à Cabris», rapporte la dame, alors qu’autour d’elle, des dizaines de fidèles n’arrivent pas à retenir leurs larmes, constate AyiboPost.
«La justice doit entendre Pasteur Marco, inévitablement», analyse à chaud Gédéon Jean, directeur exécutif du Centre d’analyse et de recherche sur les droits humains (CARDH).
En même temps, ce massacre requiert une analyse plus poussée, suggère le militant. «C’est choquant», dit-il. «Nous sommes arrivés à une phase où les citoyens ne peuvent recourir aux institutions», continue-t-il. «La population ne croit pas non plus aux promesses de l’international».
Raison pour laquelle, le désespoir inspire des initiatives de la dernière chance. Le peuple se porte volontaire à la boucherie, déclare Gédéon Jean pour qui ce carnage est «symptomatique de l’effondrement de l’État haïtien.»
Le convoi quitte l’église dans la matinée du samedi. Avant de prendre la route, une séance de prière galvanisante !
«Le pasteur avait pris les devants», rapporte un autre participant à AyiboPost.
Le groupe séduit des courageux en cours de route, explique l’homme.
Ils subissent une première attaque au niveau de Lilavois et à Rosembert. «Des policiers qui nous accompagnaient se sont enfuis à ce moment-là», ajoute-t-il.
Le pasteur, sans gilet pare-balles, semblait croire qu’il possédait des pouvoirs pour stopper les projectiles. «Pendant qu’on avançait sous une pluie de balles, trois puissantes rafales ne nous ont pas atteints parce que le pasteur avait levé ses mains au ciel», déclare un autre participant à AyiboPost.
Le groupe se retrouve rapidement cerné par des bandits lourdement armés. «Les malfrats nous ont pris pour cible directement», déclare le premier homme. «J’ai personnellement vu trois fidèles morts et une moto renversée par les tirs soutenus.»
Ce dernier massacre prend place après la sortie d’une note qui «invite à l’action», selon Gédéon Jean du Ministère de la Justice et de la Sécurité Publique (MJSP), dirigé par l’écrivaine Emmelie Prophète.
Comme dans ses notes des 6 et 8 mars 2023, le MJSP avait rappelé à la population qu’elle a un «devoir de résistance, que la dénonciation de criminels relève du devoir civique comme le précise l’article 52-1 de la constitution de la République en vigueur concernant les obligations du citoyen vis-à-vis de l’État et de la Patrie.»
Le carnage de Canaan se dessine également sur un tableau où une intervention militaire imminente du Kenya en Haïti semble actée.
Une délégation de ce pays d’Afrique était en Haïti récemment pour évaluer la situation. Après leur débarquement, ses membres se sont rendus à l’Ambassade des États-Unis, a constaté un photojournaliste d’AyiboPost.
Il n’est pas clair si les Kenyans étaient logés par la représentation diplomatique, ou s’il s’agissait d’une réunion sur l’insécurité en Haïti. AyiboPost a contacté l’ambassade. Cet article sera mis à jour si elle réagit.
Le 23 août 2023, le Premier ministre «de fait» Ariel Henry, a eu «une journée de travail avec la délégation kenyane autour du support qui va lui être apportée pour le renforcement de la PNH et son adaptation aux nouvelles formes de criminalité qui prévalent dans le pays », selon une note de presse sortie le même jour par le Ministère de la Culture et de la Communication, dirigé par l’écrivaine Emmelie Prophète.
Les paramètres et contours de l’intervention kenyane ne sont pas encore communiqués par les autorités.
Cette révolte des fidèles de pasteur Marco vient dans le sillage du lancement du mouvement dénommé «Bwa Kale» le 24 avril 2023. Au moins 53 bandits présumés ont été exécutés par la population depuis, selon un rapport «non exhaustif» du CARDH sorti mercredi 23 août. 747 citoyens non armés ont cependant été tués par les gangs, entre janvier et la fin de ce mois d’après l’organisation de défense des droits de l’homme.
À l’«Église Évangelique Piscine de Bethesda» de Pasteur Marco, un condensé de désespoir, de rage et de désolation peut se lire sur les visages des survivants dans l’après-midi du 26 août.
Généralement, les bandits de Canaan brûlent les cadavres, ce qui rendra compliquée toute tentative de bilan.
«Lorsque le pasteur s’est enfui, beaucoup de gens n’ont pas pu le suivre, témoigne sœur Beatrice. [Certains se sont refugiés dans des maisons d’inconnus, mais] trois quarts de l’église sont restés dans la zone.»
Par Jean Feguens Regala et Widlore Mérancourt
© Image de couverture : Des fidèles de l’«Église Évangelique Piscine de Bethesda» ont l’air fatigués dans l’enceinte du temple à Carradeux. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
L’institution s’appelle «Église Évangelique Piscine de Bethesda» et non «Jésus, Chérubin, Gabriel». L’article a été mis à jour. 9.35 28.8.2023
Gardez contact avec AyiboPost via :
▶ Notre canal Telegram : cliquez ici
▶ Notre Communauté WhatsApp : cliquez ici
Comments