De façon brutale, il lui a demandé de s’allonger au sol afin de se soumettre à un acte prétendument rituel censé « extraire une âme » de son corps
L’organisation féministe Nègès Mawon a accompagné une dizaine de femmes qui déclarent être victimes de viols de la part d’individus présentés comme houngans entre 2019 et 2022.
C’est ce qu’a rapporté Joeanne Joseph, féministe et ancienne coordonnatrice de programmes d’accompagnement au sein de l’organisation.
Plusieurs de ces femmes témoignent avoir été victimes de viol, d’agression sexuelle et de harcèlement dans leur quête de guérison.
Ces cas – bien que non systématiques – se répètent également dans le christianisme en Haïti. Ils illustrent comment les pratiques religieuses peuvent être instrumentalisées pour commettre des crimes.
La prêtresse vodou et chanteuse du groupe Nanm, Charline Jean-Gilles, voit les agresseurs comme des «charlatans» qui n’ont «rien à voir avec le vodou».
Selon les responsables, les femmes reçues par Nègès Mawon présentent des séquelles psychologiques importantes. Certaines affichent un sentiment de culpabilité pour avoir été abusées et dupées.
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« On a eu des cas qui impliquent des mineurs », révèle Joeanne Joseph, également vodouisante.
Un des exemples emblématiques implique une jeune fille de seize ans, violée par un hougan.
La jeune femme est tombée enceinte après les faits. L’agresseur a nié toute responsabilité, rapporte Joseph, citant la mère de la victime.
AyiboPost a interviewé trois victimes indépendantes de celles reçues par Nègès Mawon.
Toutes déclarent avoir consulté l’individu présenté comme hougan pour chercher guérison ou se libérer d’une emprise dite surnaturelle.
Un des exemples emblématiques implique une jeune fille de seize ans, violée par un hougan.
Bergine Théus, 27 ans, est étudiante en sciences infirmières. En août 2021, elle avait des douleurs et une sensation de chaleur au sein de l’abdomen et parfois de la fièvre.
Ses différentes visites à l’hôpital n’ont apporté aucune solution. Après quatre mois sans améliorations, elle décide de se rendre à une péristyle à Léogane sur référence d’une de ses amies.
C’était, dit-elle, sa première consultation à titre personnel dans un ounfò. «Je suis d’une famille vodouïsante mais la plupart du temps ce sont les aînés qui sont au devant pour régler les affaires pour la famille», explique Théus à AyiboPost.
À son troisième rendez-vous, le houngan invite Théus à essayer un «autre type de traitement car mon cas devenait selon lui, de plus en plus compliqué», explique la jeune dame à AyiboPost.
Théus dit avoir été confuse, mais l’individu n’a pas attendu sa réponse pour commencer à la toucher de façon inappropriée et à la déshabiller, dit-elle.
De façon brutale, il lui a demandé de s’allonger au sol afin de se soumettre à un acte prétendument rituel censé « extraire une âme » de son corps.
« J’étais en sous-vêtements, je tremblais. C’est alors que j’ai éclaté en sanglots » se souvient Théus.
Théus a échappé à la tentative de viol.
L’homme dans la soixantaine l’a mise à la porte après l’avoir traitée d’enfant inexpérimentée dans les choses mystiques.
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Une autre dame témoigne à AyiboPost avoir eu dix-neuf ans lorsqu’elle avait été victime de faits presque similaires en novembre 2014 lors de son traitement à Gros-Morne dans la localité de Moulin.
Elle était allée consulter pour un malaise jugé surnaturel, impliquant plusieurs zombies et des épisodes de pertes de contrôle sur elle-même.
Elle rapporte avoir passé près de quinze à 22 jours chez le guérisseur qui est également un ami de sa famille.
« On dormait dans la même pièce », témoigne la dame disant qu’elle rappelle s’être réveillée à plusieurs reprises en pleine nuit toute nue, sans aucune explications.
Elle dit ne pas savoir si elle avait été violée, mais affirme avoir été pressurée par le hougan pour ne rien dire à quiconque sous prétexte que la maladie allait récidiver.
De façon brutale, il lui a demandé de s’allonger au sol afin de se soumettre à un acte prétendument rituel censé « extraire une âme » de son corps.
Ces actions s’éloignent certainement de la pratique de la grande majorité des hougans. Mais leurs répétitions inquiètent dans le vodou.
« Personne ne doit vous demander d’avoir une relation sexuelle pour une quelconque guérison au nom du vodou, c’est faux », insiste Charline Jean-Gilles, prêtresse vodou.
Certains pasteurs s’adonnent aux crimes sexuels sous couvert de spiritualité également.
Sur référence de sa cousine, Evenie, 29 ans, s’était rendue à un service de jeûne l’année dernière, à Carrefour précisément à Mahotière 75 prolongée.
La jeune dame cherchait guérison après avoir remarqué une masse au niveau de son bas-ventre.
Le pasteur guérisseur lui donne rendez-vous en son domicile pour des interventions spéciales.
Le jour venu, elle était seule avec l’homme qui lui expliquait qu’elle avait été emprisonnée par des loas de sa famille, les esprits des trois femmes d’Égypte et d’autres esprits mystiques du vodou.
« Il me faisait répéter mot à mot des déclarations de guérison au nom de Jésus, ensuite m’a demandé de garder secret tout ce qu’il faisait, sinon je pourrais en mourir », raconte-t-elle.
L’homme lui demanda ensuite d’entretenir avec elle des relations sexuelles pour qu’elle obtienne guérison. « J’étais seule et sans défense; j’avais eu peur qu’il m’agresse en cas de refus », dit la dame, décrivant l’homme en sous-vêtement présent en face d’elle.
Evenie dit avoir fait semblant de donner son accord. «Mais je lui ai proposé un autre rendez-vous sous prétexte d’avoir mes règles; il a accepté», poursuit la jeune dame disant avoir quitté l’endroit à toute allure pour ne plus jamais y remettre les pieds. Elle refuse cependant de porter plainte auprès de la justice contre le concerné.
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« La plupart des victimes d’agression ne font pas souvent recours à la justice, non seulement par crainte de représailles mais aussi parce que certaines victimes donnent leur consentement sous influence ou sous contrainte », précise Joseph.
Frantz Gabriel Nerette, avocat et professeur en droit pénal mentionne que « les victimes peuvent porter plainte auprès de la justice grâce au décret du 6 juillet 2005 ».
D’après cet article, toute personne ayant commis un viol ou étant coupable d’une autre agression sexuelle consommée ou tentée avec violence, menaces, surprise ou pression psychologique sur une personne sera punie par dix ans de travaux forcés.
Le dossier – pouvant être introduit jusqu’à dix ans après les faits – doit contenir le témoignage des témoins; un certificat médical; des pièces à conviction ou toute autre preuve permettant la traçabilité des faits, selon l’avocat.
La législation haïtienne n’énumère pas les différents types d’agression sexuelle et ne fait aucune mention du harcèlement par exemple, ce qui rend compliquée toute tentative de responsabiliser les agresseurs.
L’impunité au sein du système judiciaire reste le principal obstacle qui entrave le suivi relatif aux dossiers concernant les violences basées sur le genre selon les experts.
« La plupart des victimes d’agression ne font pas souvent recours à la justice, non seulement par crainte de représailles mais aussi parce que certaines victimes donnent leur consentement sous influence ou sous contrainte »
– Joeanne Joseph
À Port-au-Prince, moins de 70% des plaintes ont abouti à une arrestation et 40% des personnes arrêtées ont été libérées avant la fin des procédures judiciaires selon les chiffres mentionnés par l’Institute for Justice & Democracy in Haiti (IJDH), dans un rapport soumis au Conseil des droits humains des Nations Unies en février 2022.
L’avocate du barreau de Port-au-Prince Stéphanie Jean-Pierre a attaqué en justice le pasteur Amel Lafleur, dirigeant de l’Église de Dieu indépendante de la porte étroite et le diacre Michael Lissaint pour séquestration, détournement mineure et agressions sexuelles par exemple. Depuis environ cinq ans cette affaire traîne dans les couloirs de la justice. Le pasteur avait auparavant nié les faits.
Des victimes disent être traumatisées après ces événements impliquant souvent des pressions psychologiques et fortes manipulations.
« Cette sensation d’avoir été aussi vulnérable, prise pour une idiote et d’avoir été comme cette proie facile à abattre ne me quittera jamais », déclare Evenie.
La superstition et le manque d’éducation d’une partie de la population posent aussi problème.
Evenie découvrira qu’elle souffrait d’un fibrome utérin. Elle a été opérée en avril dernier.
Image de couverture : Un thérapeute utilisant des mouvements circulaires pour masser le haut du dos d’une femme. | Freepik
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