Les professionnels de santé sous contrat avec l’État haïtien pour combattre le Coronavirus attendent encore leur salaire complet
Des centaines de professionnels se plaignent de n’avoir pas reçu un sou de contrats paraphés avec le ministère de la Santé publique et de la population dans le cadre de la lutte contre le Coronavirus, introduit en Haïti en mars 2020.
Au sein de l’Institut de prise en charge du Covid-19 (IPEC) de Bon-Repos, à l’hôpital central de la police nationale d’Haïti (PNH), ils sont près de 200 contractuels. Cette structure d’une capacité de 45 lits n’accueille plus les malades de Covid-19 depuis sa fermeture en décembre 2021, date qui coïncide avec la fin du contrat trimestriel de l’ensemble du personnel.
« Notre contrat de travail avait débuté en juin 2021, fait savoir l’auxiliaire infirmière Mardochée Pierre. L’accord prend fin en décembre de la même année et depuis, notre salaire reste bloqué au MSPP ».
La jeune diplômée de l’Université américaine des sciences modernes d’Haïti a paraphé deux contrats pour assurer la prise en charge des patients de Covid-19 à l’IPEC. Elle devait recevoir mensuellement 40 000 gourdes pour son travail.
« Le premier contrat s’étend du 1er juin au 30 août 2021 et le second du 1er septembre au 31 décembre 2021 », précise-t-elle. Curieusement, Mardochée Pierre et quelques membres de l’équipe affectée à ce centre ont reçu un salaire uniquement pour le mois de septembre 2021.
« En guise d’explication, les autorités du MSPP nous ont informés qu’ils devraient réaliser un audit pour le compte du Bureau des Nations unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS), le partenaire qui, techniquement, devrait nous payer », explique, l’air désolé, Fales Jocilien. Ce dernier faisait partie du personnel administratif à qui le MSPP avait confié la gestion du centre.
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Le problème ne touche pas que les infirmières. Les agents administratifs et le personnel de soutien et les médecins sont également concernés. « Je n’ai pas encore reçu mon salaire depuis la deuxième vague du Coronavirus en Haïti qui remonte au mois de juin 2021 », fait savoir le docteur Lunick Santiague, responsable du centre de traitement de Covid-19 à Delmas 2.
« Depuis l’introduction de la maladie en Haïti en mars 2020 jusqu’à la fermeture du centre de Covid-19 à Delmas 2 en août 2021, des membres du personnel médical n’ont reçu que quatre mois de salaire alors que d’autres n’ont encore rien reçu », dit Lunick Santiague, chirurgien traumatologue.
Vu la baisse des cas de Covid-19 dans ce centre qui avait 50 lits d’hospitalisation, les quelques infectés du coronavirus qui y étaient ont été transférés vers d’autres espaces de prise en charge. La décision a été prise pour pouvoir y accueillir des blessés du tremblement de terre du 14 août 2021. Mais, par manque d’équipements adaptés à ces genres d’interventions, le centre n’a jamais été prêt pour l’hospitalisation des victimes du séisme. D’où sa fermeture.
Les agents de santé étaient en première ligne dans la prise en charge du Coronavirus malgré les risques de contamination et même de décès. Dans d’autres pays, ces professionnels sont traités comme des héros.
Une source au sein du MSPP qui s’est confié à AyiboPost sous couvert de l’anonymat, souligne la gravité du problème. Il pointe du doigt le laxisme des autorités sanitaires dans ce dossier. « Selon les informations administratives obtenues, il y a des problèmes liés aux dossiers des contractuels dans pratiquement tous les départements du pays », dit la source.
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D’après l’accord préalablement défini par le MSPP, les gens enrôlés devraient être rémunérés par un partenaire, en l’occurrence la Banque interaméricaine de développement (BID) à travers l’UNOPS. Les contractuels du Covid-19 doivent normalement recevoir leur salaire par virement sur leurs comptes bancaires après soumission d’une requête administrative du MSPP à l’UNOPS. AyiboPost a tenté sans succès de parler à un responsable de l’UNOPS.
« Des problèmes techniques et administratifs sont apparus dans les dossiers des contractuels qui n’ont pas pu être validés à temps », fait savoir notre source. Or, il a été prévu dans l’accord que si les listes ne sont pas soumises à temps, aucun paiement rétroactif ne sera accepté sans un audit préalable.
L’accord arrive à terme le 30 avril 2022 alors qu’aucun audit n’a été réalisé par le MSPP. C’est pourquoi la BID n’autorise pas l’UNOPS à réaliser des décaissements pour le paiement des employés. « Aucune négociation n’est plus possible. Le MSPP n’a donc pas pu trouver une entente avec le partenaire pour payer les contractuels », souligne notre source.
« En clair, l’argent du salaire de ces contractuels que gérait l’UNOPS devrait être retourné à la BID qui, à son tour, le verserait dans le « panier de fonds de la République d’Haïti. L’argent est certes disponible pour le pays, mais n’est plus disponible pour le paiement des contrats pour le MSPP. »
Selon les informations obtenues par AyiboPost, le MSPP attend la décision finale sur le transfert des fonds de la BID à l’État haïtien. Ainsi, le ministère pourra adresser la question du salaire. Selon les clauses de l’accord, les fonds pour le paiement des contrats ne doivent pas être versés sur le compte en banque du MSPP. Les virements bancaires ont été autorisés et réalisés directement par l’UNOPS.
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Cette situation inquiète la plupart des contractuels qui ne savent à quel saint se vouer. Nombre d’entre eux n’ont pas d’autres revenus et vivent dans des conditions difficiles. « On doit recevoir notre salaire puisqu’on a travaillé et risqué notre vie pour le bien-être du pays », relate Fales Jocilien. Le licencié en administration exige également sa nomination au sein du centre hospitalier de la PNH à Bon-Repos.
« Les autorités du ministère nous ont promis la nomination à la fin de notre contrat. Je plaide pour la réouverture de l’hôpital puisque le ministère nous a demandé de remettre les clés au sous-commissariat de police qui assurait la sécurité de ce centre hospitalier », dit Jocilien qui n’a présentement aucun emploi.
Le problème de rémunération des contractuels dans la lutte contre le Covid-19 ne concerne pas que Port-au-Prince. L’infirmière Isna Jean qui travaillait à l’hôpital Wesleyenne sur l’île de la Gonâve se plaint aussi de la situation. « Les infirmières qui ont été embauchées durant la deuxième vague de la maladie n’ont toujours rien reçu », dénonce-t-elle.
Notre source au sein du MSPP se veut rassurante. « Le MSPP travaille à la recherche d’une solution et c’est pour cela que nous demandons aux contractuels non encore payés de garder leur calme et de patienter. » Plus loin, la source admet que le MSPP ne peut fixer aucun délai pour le paiement.
Aujourd’hui, les activités médicales dans les centres de traitements du Coronavirus en Haïti sont à l’arrêt. Les rares unités de Covid-19 opérationnelles sont celles qui sont dans des hôpitaux de référence en Haïti.
Selon le dernier bulletin épidémiologique du MSPP, seulement 13 personnes sont testées positives au coronavirus durant la journée du 23 mai 2022. Ces chiffres viennent compléter la liste des 30 818 cas confirmés en Haïti alors que le nombre de décès avoisine les 835, bien loin des prédictions scientifiques catastrophiques au début de la pandémie.
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