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Apprendre un métier, gagner de l’argent et autres exploits de jeunes Haïtiens pendant la pandémie

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Un suivi opéré par le photographe Georges Harry Rouzier

Les crises successives ayant éprouvé Haïti ces deux dernières années, qu’elles soient sociopolitiques (Peyi lòk) ou sanitaires (Pandémie du coronavirus), ont fortement pénalisé l’école du pays.

Entre une année académique 2018-2019 grignotée par les contestations et les blocages et la suivante retardée puis stoppée nette par la pandémie du Coronavirus, les écoliers haïtiens se sont déshabitués au rythme scolaire régulier.

Durant les longs mois de l’état d’urgence sanitaire, une partie des écoles haïtiennes, celles les mieux loties et équipées, ont pu continuer la formation en ligne pour les enfants de familles aisées. A contrario, une autre partie — constituant la majorité des écoles du pays — a dû faire l’impasse sur la continuité académique par manque de ressources. Portraits de jeunes issus de cette fracture sociale et scolaire. Comment ont-ils su utiliser cette coupure pour acquérir d’autres compétences en autodidacte et promouvoir des initiatives collectives, et ceci, malgré le climat anxiogène de la pandémie.


Beauzille Steevenday (15 ans, NS3, Delmas)

«Quand le président a annoncé que l’école allait fermer en Haïti pour cause de Pandémie de Coronavirus, j’étais à ce moment-là très déçu. La cause était que nous avions pas mal de retard à rattraper à cause de l’entrée tardive occasionnée par les « Peyi lòk ». Mais cette fois-ci c’était une pandémie à l’échelle mondiale et nous n’en pouvions pas grand-chose. Je veux en finir vite avec mes études classiques, j’ai bon espoir d’étudier dans une Université étrangère. Je ne vois pas trop d’avenir pour un jeune ici, en Haïti.

Après l’annonce de l’état d’urgence et la paralysie qui a suivi, je me suis rendu dans ce garage pas loin de chez moi, comme je le fais à chaque fois que j’ai de longues périodes de vacances. J’y suis allé comme cela, pour la première fois à Noël 2018 et j’ai poursuivi durant les longs mois de « Peyi lok ». J’y ai appris beaucoup de choses sur la mécanique des voitures. Durant les 4 mois d’arrêt de l’école, j’ai pu mieux comprendre le fonctionnement des moteurs et aussi gagné un peu d’argent. Grâce à cet argent-là, j’ai pu m’acheter certaines choses dont j’avais besoin et aussi aider mes frères. J’adore vraiment la mécanique, mais mon rêve ce n’est pas seulement de réparer les véhicules, c’est d’aller plus loin que cela. C’est pour cela que je crois que l’école est importante. Depuis la reprise des cours, même si c’est tous les deux jours, même si c’est seulement en après-midi, je ne suis plus retourné au garage. Je préfère profiter du temps libre pour travailler avec les copains et essayer de sauver cette année scolaire.»


Jean Simon Wilson (20 ans, NS4, Tabarre)

« J’ai toujours vécu avec ma tante, ma mère étant morte quand j’étais bébé et ne connaissant pas mon père. J’ai compris très tôt que je ne pouvais pas me permettre le luxe d’attendre qu’on me donne les choses. D’ailleurs, je n’ai personne pour cela. À 14 ans, j’ai commencé la ferronnerie dans un atelier. Depuis, je fais en sorte de subvenir à mes besoins.

Déjà avant le « Peyi lòk » j’avais remarqué que peu de ceux qui travaillent le métal savent dessiner. Donc, j’ai profité de ces vides scolaires pour me spécialiser dedans. Et depuis, je suis très sollicité par beaucoup d’atelier de Tabarre, de Croix-des-Bouquets et même en province. Avec les sous perçus et économisés durant ces mois d’arrêts, je me suis acheté une nouvelle moto. Les ateliers me sollicitent beaucoup, ça me fera perdre pas mal de jours d’école. Mais je reste convaincu que cette année est importante et que je dois la réussir. Après cela, il me restera seulement une année pour partir en République Dominicaine faire une école de Génie civil. Je veux vraiment étudier tout ce qui a rapport à la construction. »


Wichèleda Emil (19 ans, NS2, Delmas)

« J’ai une véritable passion pour les tresses, j’ai toujours aimé les faire à des amis, à des proches. Ma sœur a étudié la cosmétologie et grâce à elle, je trouvais parfois des petits boulots. Durant l’état d’urgence sanitaire, j’ai fait le choix d’accepter un boulot dans un studio où je pouvais être seule avec chaque client. En cette période je ne pouvais plus aller chez les gens. Grâce à ce job et à YouTube, j’ai pu améliorer ma technique. J’avais un salaire, mais j’ai arrêté de travailler lorsque l’école a rouvert.

Cette expérience m’aura appris qu’un job est très contraignant et va difficilement avec les études. Nous n’aurions vraiment pas dû perdre tout ce temps sans rien apprendre de notre programme pour cette année. Non seulement je n’avais pas d’électricité une bonne partie du temps et je n’ai pas internet chez moi, mais en plus les professeurs de mon école ne m’ont pas accompagné durant cette période comme l’ont fait certains autres établissements. »


Young MLSS (Molly G, Lill Black, Strong G, Steeve)
(17, 18, 19 ans, 9e, NS1, NS3, Delmas)

 « Nous avons créé Young MLSS à la mi-avril. Nous habitons le même quartier et nous trainons toujours ensemble. Comme nous écoutions à peu près les mêmes musiques et portions les mêmes regards, nous avons pensé qu’il était tout naturel de proposer quelque chose. L’initiative Young MLSS est née ainsi. Aussi, nous chérissions ce rêve d’entendre un jour nos voix à la radio. Donc, il nous fallait un studio et de l’argent pour le payer. Sans les frais scolaires que nous n’avions plus, à cause de l’arrêt des cours cela nous a pris quatre mois pour rassembler 4000 gourdes. Nos parents n’avaient pas trop d’activité professionnelle, ils ne sont pas salariés d’institutions.

Parvenir à réaliser cette chanson et la présenter au public a été une source de motivation pour nous durant toute la période de l’état d’urgence sanitaire. Nous avions tenu plusieurs répétitions devant des amis à nous qui ont donné leurs critiques nous poussant à améliorer la qualité de notre texte. Finalement, nous avons pu enregistrer et la chanson a été prête quelques jours seulement avant la réouverture des classes. Dans notre quartier nous n’avons pas beaucoup de loisirs et de possibilités pour montrer notre potentiel. Cette expérience veut dire beaucoup de choses pour nous, nous savons à présent de quoi nous sommes capables.

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