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Des bandits profitent de l’exploitation illégale du sable à Morne l’hôpital

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L’exploitation de sable au Morne l’Hôpital dégrade le bassin versant qui alimente Port-au-Prince

Chaque jour, sous le regard passif des autorités, des camions chargés de sable quittent les mines de Sanatorium, de Madan Guano à Fontamara, de Décayette et de Boutilliers. « Ce sont des zones contrôlées par des gangs, se plaint Claude Prepetit, directeur du Bureau des mines et de l’énergie. Ils nous empêchent de travailler sur le terrain puisqu’ils extorquent les chauffeurs qui fréquentent illégalement les carrières de sable. »

Non loin de la stèle dressée en mémoire des victimes du séisme du 12 janvier 2010 à la rue Monseigneur Guilloux, Kenson guette les potentiels clients qui rôdent aux abords de son véhicule déjà rempli. Le Bureau des mines n’a pourtant délivré aucune autorisation d’exploitation pour les versants nord et sud de la zone depuis plusieurs années. Au contraire, « elles ont été toutes fermées à l’exploitation et nous avons échafaudé un projet de réhabilitation », affirme Claude Prépetit.

En 1996, un rapport du Bureau des Mines alertait déjà sur les dangers de l’exploitation du sable au Morne l’Hôpital. Le versant nord-ouest a été déclaré « zone sous protection » depuis 1963, parce qu’il constitue le bassin versant de la ville de Port-au-Prince.

Des gangs aux commandes

Pour extraire le sable, les chauffeurs paient environ 3 000 gourdes. Ce montant est séparé entre « le propriétaire de la carrière », les manutentionnaires et des individus menaçants. En plus, pour chaque voyage, le camionneur doit payer 100 gourdes à trois groupes différents, témoigne Kenson. Le camion de sable se vend à 7 500 gourdes près du stade Sylvio Cator où ils attendent les acheteurs.

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La mairie de Port-au-Prince décline toute responsabilité dans l’exploitation de ces mines. L’actuelle mairesse ad intérim placée par le gouvernement, Kattyla Bellade, affirme que son administration ne prélève aucune taxe sur les carrières du Morne l’Hôpital.

Pour freiner ces exploitations illégales, le Bureau des mines devrait faire appel à l’Agence Nationale des Aires protégées (ANAP), selon son directeur, Jeantel Joseph. L’ANAP est placée sous la tutelle du Ministère de l’Environnement. Selon Jeantel Joseph, l’ANAP a déjà invité le Bureau des mines à solliciter ses services parce que, sans autorisation du BME, elle ne peut pas intervenir.  « On attend encore les réponses », déclare-il.

Un désastre pour Port-au-Prince

« L’exploitation anarchique et sauvage  des carrières de sable accélère l’érosion », écrit le BME dans un document publié en 1998. Selon Claude Prépetit, même à petite échelle, les exploitations à Morne l’Hôpital peuvent provoquer des inondations en aval à Port-au-Prince au moment des averses. C’est pourquoi le BME élabore un  plan directeur pour identifier et rendre public les carrières de sable exploitables sur l’ensemble du territoire.

Selon des données de 1998 du Bureau des mines, près de la moitié de la production de sables du département de l’Ouest a été fourni par les deux versants du Morne l’Hôpital. 24 % provenaient des carrières du versant sud du morne — Laboule et Désiré — et 16 % du versant nord, en l’occurrence, Fontamara, Decayette et Sanatorium. À cette époque, le versant nord du morne fournissait une moyenne de 1072 m3 de sable par jour contre 832 pour le versant nord qui fait face à la mer.

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Sous la dictature des Duvalier, il était interdit d’’exploiter les carrières du Morne l’Hôpital, se rappelle Claude Prépetit. Ces mesures ont été allégées par le Conseil National du Gouvernement après le départ du dictateur Jean Claude Duvalier en 1986.

En septembre 2013, le ministre de l’Environnement d’alors, Jean François Thomas, avait annoncé la fermeture des carrières de Laboule 12. Sept années plus tard, des camions de sables provenant de ces carrières défilent encore sur la route de Kenscoff. L’ANAP se vante pourtant d’avoir placé un poste de la Brigade de Sécurité des Aires protégées (BSAP) dans la zone pour stopper le trafic.

Samuel Celiné

Couverture : Carrière de sable à Saint Jude. Photo : Jean Loobentz César/Ayibopost

 

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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