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La route annoncée au Morne l’Hôpital sera une catastrophe pour P-au-P, prédisent des experts

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Bidonvilisation, inondation et manque d’eau : Port-au-Prince doit se préparer au pire avec la construction d’une nouvelle route au niveau de Morne l’Hôpital

Le ministère des Travaux publics, Transports et Communications annonçait sur Twitter le 15 septembre dernier la construction prochaine de la route Laboule 12 qui « facilitera le décongestionnement de la route de Carrefour, via Mgr Guilloux, Fontamara 43, Bizoton 53, Diquini 63 et Mariani. » Le tronçon déjà tracé devrait partir de Laboule 12 pour aboutir à Gressier.

Selon des experts, ce projet va conduire à une bidonvilisation de Morne l’Hôpital. À terme, l’initiative peut mettre en danger cet espace vert et occasionner des inondations et des pénuries d’eau dans la capitale. Avec ses dix-huit sources, les trois rivières qu’il nourrit et son rôle clé pour l’alimentation de la nappe phréatique de la plaine du Cul-de-sac, Morne l’Hôpital revêt une importance cruciale pour la vie à Port-au-Prince.

Cependant, l’administration en place semble vouloir poursuivre dans sa résolution avec légèreté. Au ministère de l’Environnement, le Bureau national des Évaluations environnementales (BNEE) est responsable de l’octroi ou non d’un « avis de non-objection » pour des projets de pareille envergure. Ce permis est délivré d’habitude après une étude des impacts sociaux et environnementaux.

Alors que des activités sont déjà entamées au Morne l’Hôpital, la responsable du BNEE, Ninon Angrant, a été mis au courant du projet de la route par Ayibopost, plusieurs jours après l’annonce du MTPTC.

Une partie de la route, à proximité de Broutillier

Des risques de constructions anarchiques

Pour éviter une catastrophe, l’État devrait être proactif.

Si la route respecte les normes édictées depuis 1986 pour protéger le Morne l’Hôpital, elle n’aura aucune conséquence sur l’environnement, estime l’ancien ministre de l’Environnement Jean Vilmond Hilaire. La norme auquel il fait référence interdit par exemple à un propriétaire de construire sur plus de 30 % de sa parcelle au niveau du morne. Les 70 % du terrain devraient être consacrés à la végétation.

Un simple coup d’œil dans les endroits déjà construits permet de constater le non-respect de cette disposition. Le professionnel spécialisé en étude d’impacts sur l’environnement fait aussi part de ses doutes quant à la capacité de l’Etat haïtien d’empêcher la multiplication des constructions anarchiques dans la zone, puisque « cette route ne rentre dans aucun plan d’aménagement du territoire. »

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Pour l’ancien ministre de l’Administration de Michel Joseph Martelly, un tableau apocalyptique s’annonce. « Vous aurez une augmentation des zones résidentielles, mais aussi des bidonvilles, parce que tout quartier résidentiel produit des bidonvilles aux alentours, analyse-t-il. Pour alimenter ces maisons huppées et ces bidonvilles, des routes secondaires y seront rattachées et vous aurez à multiplier par trois les problèmes d’inondation au niveau de Port-au-Prince, Cité Soleil, Delmas et Carrefour, car les ravins et les ponts seront trop étroits pour laisser couler les eaux de ruissellement et les gravois ».

Un tel cas de figure annonce un avenir gris. « La diminution des infiltrations aboutira à moins d’eau dans les sources, ce qui augmentera du coup les ruissellements qui provoqueront d’importantes inondations en aval, l’élargissement des ravins, l’augmentation de la dégradation des sols, l’augmentation des déchets et la disparition d’espèces de la flore et de la faune ».

Le MTPTC anticipe le danger, mais veut quand même avancer. « On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs », explique le directeur général du MTPTC, Wilson Édouard. Son seul espoir est que l’Etat, dont il fait partie, devienne assez fort pour faire respecter la loi en matière de protection de 2 000 hectares du versant nord de Morne l’Hôpital.

Deux espoirs mal placés?

L’objectif premier assigné à la nouvelle route est la diminution des embouteillages monstres au niveau du tronçon menant vers le sud du pays. Cet objectif ne sera probablement pas atteint, estime Michelle Oriol du Comité interministériel d’Aménagement du Territoire (CIAT). Selon l’urbaniste, les embouteillages seront pires lorsqu’une kyrielle de véhicules, fréquentant cette route, auront à se déverser sur l’étroite route reliant Pétion-Ville à Kenscoff, à moins d’un élargissement de ce tronçon.

La solution n’est pas dans la construction d’une nouvelle route, disent d’autres experts. L’urbaniste Rose-may Guignard propose sur Twitter la construction de « trois rond-point et des aires de stationnement pour tap-tap sur la Route Nationale #2 » pour résoudre le problème des embouteillages.

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La question de l’insécurité n’est pas étrangère au débat sur la construction de la nouvelle route. Par moment, des bandits armés au niveau de Martissant, du Bicentenaire, de Bolos et de Fontamara bloquent la route principale, rançonnent les citoyens qui fréquentent l’entrée sud de la capitale et empêchent les citoyens de vaquer à leurs activités. Cette initiative devrait permettre aux voitures d’éviter les points chauds.

L’ouverture de la route occasionnera une vague d’insécurité à Pétion-Ville et à Kenscoff, estime Jean Vilmond Hilaire. Alain Joseph habite à Broutillier. Comme beaucoup de gens de la zone, il pense que le tronçon facilitera la pénétration des gangs dans le quartier huppé, prisé par les randonneurs.

Une opportunité d’affaires

Pour d’autres habitants de Broutillier et ses environs, ce projet de route qui traîne depuis le premier mandat de l’ancien président René Préval en 1996 vient avec une opportunité en or : elle augmentera la valeur de leurs terrains.

Sony Saint Felix, un résident de la zone, se frotte les mains. « Toutes les terres du tronçon asphalté de la route sont déjà vendues à des citoyens qui y construisent leurs maisons, dit-il. Nous, nous avons eu toutes les peines du monde à mettre nos terres à la vente. Cette route va nous aider à trouver preneur ».

À côté des constructions anarchiques, la vente des parcelles de terrain génèrera des conflits terriens tout le long de la route, analyse l’ancien ministre de l’Environnement, Jean Vilmond Hillaire.

Sur ce point, Michelle Oriol rappelle, elle aussi, qu’il existe un sérieux problème foncier au niveau de Morne l’Hôpital et que l’État haïtien doit penser à réaliser le cadastre de la zone afin d’éviter les conflits et de mieux gérer le flux de citoyens qui chercheront à profiter des avantages de la route.

Un endroit délaissé

Morne l’Hôpital est « zone d’aménagement spécial » depuis la fin du XXe siècle. L’Organisme de Surveillance et d’Aménagement du Morne Hôpital (OSAMH) a même été créé pour éviter une exploitation abusive et dangereuse de l’espace. La partie placée sous la surveillance de l’OSAMH s’étend de Morne Calvaire, à Pétion-Ville, jusqu’à Diquini dans la commune de Carrefour.

Selon l’agronome Étienne Staillev qui a travaillé comme chef de service d’aménagement et de supervision à l’OSAMH, cette une structure n’existe plus. Il n’y a aucune rencontre entre les cinq ministres qui forment son conseil de direction, alors que le décret créant l’OSAMH prévoit une réunion chaque semestre.

Des exploitations de sable se font à Morne l’Hôpital en toute illégalité, et sans aucune intervention des autorités.

Face à ces dysfonctionnements, certains estiment que l’Etat, dans sa forme actuelle ne pourra pas empêcher la catastrophe annoncée par l’occupation désordonnée de Morne l’Hôpital qui sera facilitée par la construction de cette route.

Samuel Celiné

Les photos sont de Widlore Mérancourt

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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