L’accord ne respecte pas les principes en vigueur quant à l’intégration des étudiants dans la fonction publique, selon le MENFP
Le mouvement de protestation à l’École normale supérieure qui a occasionné le meurtre de l’étudiant Gregory Saint Hilaire le vendredi 2 octobre 2020 lors d’une intervention brutale des agents de l’Unité se sécurité générale du Palais national prend racine dans un accord signé en 2013 entre le Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle et l’ENS.
Dans le document, le MENFP s’engage à prendre en stage probatoire d’une année des étudiants de l’ENS. Ceux qui auront rempli les exigences de cette période probatoire seront proposés au recrutement « conformément aux règles de l’administration publique », qui exige un concours.
Des syndicalistes accusent l’actuel titulaire du MENFP Pierre Agénor Cadet d’avoir écarté unilatéralement cet accord. Il le juge « illégal », rapporte le professeur et syndicaliste, Georges Wilbert Franck.
Le MENFP semble effectivement vouloir s’éloigner de ce document. Depuis 2013, quatre promotions seulement auraient bénéficié des dispositions de l’accord. « Toutes les promotions intégrées dans le système l’ont été sous pression des étudiants en violation de la loi sur la fonction publique », déclare Miloudy Vincent, responsable de communication au MENFP.
Un accord anormal
Le premier obstacle au respect de l’accord vient de l’Office de Management et des Ressources humaines (OMRH). Cette entité qui prend en charge recrutement et rémunération pour l’administration publique refuserait de verser aux étudiants en stage probatoire le même montant touché par un enseignant en début de carrière comme écrit à l’article neuf de l’accord, selon Vincent.
De plus, la durée du stage mettrait le MENFP en mauvaise posture au niveau de la Cour supérieure des comptes et du Contentieux administratif. La CSCCA « n’admet pas qu’un stage puisse durer un an comme l’a précisé l’accord, mais trois mois », élabore le responsable de communication.
L’autre point d’achoppement demeure l’épineuse question des concours. « Dans l’accord, il est écrit noir sur blanc que l’étudiant qui termine son stage probatoire sera nommé », souligne l’étudiant Dominique Modeste.
Le MENFP n’a pas cette lecture. Miloudy Vincent rappelle que selon l’article onze de l’accord, pour intégrer le système, il faut être un diplômé de l’ENS, c’est-à-dire, avoir, « soutenu son mémoire de licence, achever le stage probatoire du ministère », et réussir le processus de recrutement suivant les normes de l’administration publique.
L’OMRH refuserait de recevoir des dossiers de nomination sans avoir la preuve de la procédure de recrutement.
Des étudiants refusent cette interprétation. Ils estiment devoir intégrer le système éducatif sans ces formalités, encore plus quand politiciens et personnages influents peuvent nommer des individus sans critères sans que cela ne débouche sur des protestations de la part du MENFP.
Des nominations illégales non contestées
Techniquement, il reste possible d’intégrer l’ensemble des étudiants d’après les syndicalistes. Une promotion de l’ENS ne compte qu’environ 200 étudiants, selon Louis Alvarez, un membre du conseil de direction l’institution.
En soustrayant les éventuels cas de décès, d’abandons et de retraites, d’enseignants dans le public, le syndicaliste, Georges Wilbert Franck de l’union nationale des normaliens et éducateurs haïtiens (UNNOEH), estime qu’un système contenant environ 40 000 enseignants n’aurait aucune difficulté à intégrer environ 200 nouvelles têtes par année.
Comment résoudre cette crise ? Le MENFP veut se défaire de l’accord contesté. Le 3 février dernier, le ministère a signé un protocole avec l’Université d’État d’Haïti exigeant que « toute activité d’échange qui sera réalisé au sein d’une entité de l’UEH, se fasse en partenariat avec le rectorat. »
Sur cette base, le MENFP souhaite actualiser le protocole signé avec l’ENS en 2013, afin de clarifier les malentendus, cette fois avec l’UEH et non avec une entité.
Un meurtre « inacceptable »
En attendant la résolution de ce problème, le choc du meurtre violent de Gregory Saint Hilaire dans l’enceinte même d’une institution de formation supérieure continue de provoquer des réactions outrées dans la société civile.
L’intrusion d’un corps policier associé au président lui-même dans un espace réputé inviolable rajoute aux indignations. Pour le recteur de l’Université d’Etat d’Haïti, Fritz Deshommes, ce meurtre « inacceptable » est du jamais vu dans la mémoire universitaire haïtienne.
Il ne s’agit pas nécessairement de la première confrontation entre étudiants et forces de l’ordre dans le pays. Fritz Deshommes se souvient des interventions musclées de l’armée d’Haïti au sein de l’université après le coup d’État de 1991.
En 2003, des hommes proches du pouvoir « Lavalas » ont fait irruption dans l’enceinte de la Faculté des sciences humaines pour maitriser des étudiants qui gagnaient les rues, réclamant le départ de Jean Bertrand Aristide du pouvoir. Le recteur de l’UEH d’alors, Pierre Marie Paquiot a été malmené et a dû laisser l’espace de la faculté sur un fauteuil roulant.
En février 2015, lors d’une manifestation d’étudiants qui réclamaient la baisse du prix des produits pétroliers, l’étudiant Chedelet Guilloux a été malmené à l’avenue Christophe par des agents de la PNH et gardé à vue pour avoir été trop près d’un véhicule que des étudiants protestataires ont incendié non loin de la Cour Supérieur des Comptes et du Contentieux administratif.
À chaque fois, les étudiants protestent, réclament du travail et une meilleure société pour tous. Fort souvent, ils sont malmenés, battus et tués, en marge de protestations parfois violentes. Les enquêtes pour fixer la responsabilité des coupables n’aboutissent presque jamais.
Samuel Celiné
Cet article a été mis à jour pour refléter le fait que Pierre Marie Paquiot était le recteur de l’UEH et non le doyen de la FASCH. 9.10.2020 17.18
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