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De plus en plus d’Haïtiens «cherchent la vie» dans les ordures à Port-au-Prince

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La fouille régulière des piles de fatras semble s’accélérer dans un contexte d’augmentation de la pauvreté et d’insécurité alimentaire

Dans les lots de déchets empilés sur les trottoirs, Yvon Joseph cherche tout ce qui a de la valeur. Avec ça, il prend soin de sa famille.

Au beau milieu des ordures fumantes, Yvon Joseph s’active énergiquement à Delmas 19. On est un dimanche après-midi, à la rue Koreb, à quelques centaines de mètres du Boulevard Toussaint Louverture. Dans la rue, des gens dans leurs voitures passent à toute allure pour éviter la fumée noire et l’odeur pestilentielle échappant des lots d’immondices empilés sur le trottoir.

Yvon Joseph en train de fouiller dans une pile d’ordures à Delmas 19. | © Wethzer Piercin/AyiboPost

Il ne s’agit pas d’un cas unique. La fouille régulière des piles de fatras dans la zone métropolitaine, déjà établie, semble s’accélérer dans un contexte d’augmentation de la pauvreté et d’insécurité alimentaire.

Tous les jours, Yvon Joseph laisse sa maison à Cité-Soleil pour venir ici, dans l’espoir de trouver quelque chose ayant valeur marchande.

La fouille régulière des piles de fatras dans la zone métropolitaine semble s’accélérer.

«Je suis ici tous les jours. Même quand il y a de la pluie», nous dit l’homme de 59 ans.

Père de trois enfants, dont une fille de six ans, Yvon Joseph a été d’abord maçon. Il prenait l’habitude d’aller travailler dans la commune de la Croix-des-bouquets et d’autres zones avoisinantes. Mais à cause de l’intensification des agissements violents du gang des 400 Mawozo, il a arrêté d’y aller en janvier 2019, ayant peur de s’aventurer là-bas au risque de se faire tuer, comme son voisin en 2018.

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Pour pouvoir survivre, il s’était converti en marchand de poulets au marché de Brooklyn, à Cité Soleil. Il y vendait des poulets presque tous les jours. Une activité qu’il a dû encore arrêter tout de suite en mars 2019 à cause des affrontements armés éclatés dans cette commune. Ayant désespérément besoin d’un moyen pour soutenir sa femme avec son petit commerce à la maison et prendre soin de ses trois enfants, Yvon Joseph a dû collecter plusieurs petits boulots par la suite : réparation de chaussures et sacs d’école, déchargement de camions de marchandises, etc..

Cette dernière n’a pas fait long feu, car Yvon Joseph était tombé malade fin 2021. Il n’avait plus la force pour ce genre de travail.

Père de trois enfants, dont une fille de six ans, Yvon Joseph a été d’abord maçon.

Mais depuis environ un an, il semble avoir trouvé un nouveau moyen pour obtenir son pain quotidien… en fouillant dans les ordures. Une activité qu’il a décidé de faire parce qu’il ne lui restait plus rien à l’époque. Sans protection pour ses mains et le visage découvert, Yvon Joseph ne semble pas trop se préoccuper de sa santé. La fumée noire enveloppe sa chemise bleue entr’ouverte, laissant apparaitre sa poitrine dure et osseuse. Un vieux sac dans sa main droite et le dos tourné à la rue, il scrute son environnement scrupuleusement. Attentionné au moindre centimètre carré autour de lui, il vide les boîtes qu’il trouve, ouvre de vieilles valises, ramasse des choses et les met dans son sac.

Le natif de Cité-Soleil explique que grâce à cela, il arrive à prendre soin de sa famille et payer la scolarité de ses enfants.

« Ici, il n’y a jamais de journée perdue. On trouve toujours quelque chose : de vieux galons, des bouteilles en verre ou en plastique, des morceaux de fer, de cuivre ou d’aluminium. Parfois on trouve même des téléphones portables et des appareils radio qu’on pourra revendre par la suite au marché de la ville », nous explique-t-il.

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Très absorbé par ce qu’il fait, Yvon Joseph cherche tout ce qui peut être revendu.

«Certaines fois, je ne trouve que des morceaux de bois. Alors, je les empile et les vends à des gens qui en ont besoin pour faire du feu. Avec ça je peux gagner au moins 400 gourdes pendant la journée.»

Yvon vend ses bouts de métaux fouillés dans les ordures dans des dépôts dédiés, soit au Carrefour de l’aéroport soit à Delmas 3. Là, la livre de fer est vendue à 880 gourdes et le cuivre à 850 gourdes. Ces métaux seront ensuite transportés à des grossistes qui les revendront à l’étranger.

Pour Yvon Joseph, ce qu’il fait, c’est un «travail à part entière». Il ne pense pas qu’il vient fouiller dans les ordures pour le plaisir ou parce qu’il est «malpropre».

Il ne s’agit pas d’un cas unique.

« On est toujours plusieurs ici. Les gens qui passent peuvent penser que nous sommes des fous, mais nous savons ce que nous cherchons. Notre pain, il est enterré quelque part ici», nous explique le quinquagénaire au visage creux et au regard perçant.

Quelqu’un vient déverser des déchets, lesquels seront fouillés par Yvon Joseph pour y exclure ce qui a de la valeur. | © Wethzer Piercin/AyiboPost

Yvon Joseph affirme diviser habituellement son butin en deux parties : les bouteilles en verre et en plastique qu’il va vendre au milieu de la journée pour pouvoir s’assurer d’apporter quelque chose à la maison. Ensuite, les bouts de métaux qu’il va emporter chez lui en attendant qu’ils soient en quantité suffisante pour être vendue en fin de semaine. Ce qui peut lui garantir entre 2 000 à 2500 gourdes en moyenne.

À l’endroit où Yvon Joseph se retrouve tous les jours de huit heures jusqu’à sept heures du soir, d’autres personnes comme lui, visiblement indifférentes aux regards désapprobateurs des passants, mènent aussi leurs affaires. Ils viennent, fouillent quelque part et s’en vont. Et cela se répète jusqu’à la tombée de la nuit. Certains comme lui «travaillent» dans des points fixes, mais d’autres circulent partout dans la zone métropolitaine à la recherche de meilleures aubaines.

Les gens qui passent peuvent penser que nous sommes des fous, mais […] notre pain est enterré quelque part ici.

Comme pour tous les secteurs d’activité en ce moment, Yvon Joseph subit de plein fouet la dégradation sociale et sécuritaire du pays. Cela lui rend la tâche très difficile, car il n’arrive plus à trouver ce qu’il pouvait trouver avant.

«À cause de la situation sécuritaire du pays, les entreprises comme des quincailleries et des restaurants ferment leurs portes. Il y a donc de moins en moins de déchets qui en proviennent. Alors, les chances de trouver quelque chose qui vaille la peine est moindre», dit Yvon Joseph, la voix rauque et le regard perdu dans les mouvements vacillants de la fumée noire.

Quoique son activité lui permette de répondre à quelques besoins pour l’instant, Yvon Joseph est maintenant à la recherche d’autres alternatives de survie.

Sac rempli d’objets de Yvon Joseph posé sur le trottoir. | © Wethzer Piercin/AyiboPost

«Je ne suis pas complètement guéri. Je ne peux pas aller à l’hôpital, faute d’argent. Mais je vais beaucoup mieux, grâce à Dieu. Là, j’espère vivement trouver un autre moyen pour gagner un peu d’argent».

Voulant offrir une meilleure vie à ses enfants, Yvon Joseph souhaite vivement que le pays aille mieux pour pouvoir reprendre ses activités de maçonnerie comme avant.

«À mon âge je ne devrais pas faire ce genre de choses, mais je n’ai pas le choix pour le moment. Je dois prendre soin de ma famille», explique-t-il.

Photo de couverture : Deux hommes disent chercher des objets de valeur dans une pile d’ordures à Delmas 93, le dimanche 2 avril 2023, en vue de les vendre. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost


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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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