Le prix de la viande de cochon a drastiquement baissé ces derniers mois, alors que la RD fait face à une propagation de la peste porcine africaine
Luna Osias vend de la viande en plein cœur du marché de Pétion-Ville. Sur son étal, on retrouve du poulet et de la dinde. Mais elle vend aussi des pieds de porc, un animal dont l’importation, si elle provient de la république voisine, est interdite en Haïti depuis août 2021. Cette décision faisait suite à la découverte de la peste porcine africaine en République dominicaine.
Selon Osias, le prix du cochon a drastiquement baissé depuis plus de deux mois. Le 6 février 2022, elle vendait un jarret à 100 gourdes, une réduction d’au moins 300 gourdes par rapport à novembre et décembre 2021.
« La caisse se vendait à 2000 gourdes. D’un coup le prix est descendu à 1000 gourdes, et dans certains endroits jusqu’à 850 gourdes. C’est une vraie aubaine », se réjouit la marchande.
Selon les déclarations de Ricardin Saint Jean, ministre du Commerce et de l’Industrie, le ministère du Commerce a été alerté de la baisse drastique du prix de la viande de porc sur le marché haïtien. Le ministère qui régule la circulation et la vente des produits sur le marché a déjà pris des dispositions afin d’analyser la viande, et de déterminer s’il s’agit de viande malade.
Déjà, en septembre 2021, la peste porcine a été identifiée à nouveau dans le pays. C’est cette maladie qui avait provoqué l’abattage des cochons créoles.
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Osias affirme qu’elle ne sait pas précisément d’où provient la viande qu’elle vend. Elle suppose que c’est de la République dominicaine que vient sa marchandise. Cependant, la marchande est convaincue que c’est de la viande de bonne qualité, puisqu’elle l’a achetée dans un magasin situé à quelques mètres d’elle.
« La viande est vendue en caisse. Les caisses sont bien scellées et je suppose que de là où elle vient elle est contrôlée », dit-elle.
Plusieurs usines vendent des pieds de porc en caisse. À Pétion-Ville on en compte au moins trois. Un employé de l’un de ces magasins affirme que leur viande vient des États-Unis d’Amérique ou du Japon, mais aussi de la République dominicaine.
Il existe de fortes chances que la diminution du prix de la viande de porc soit liée aux animaux malades de la République dominicaine, que l’on vendrait sur le marché haïtien.
Selon l’agronome Talot Bertrand, de l’organisation Promodev, dans les villes frontalières, en particulier à Ouanaminthe et Anse à Pitre, des commerçants dominicains viennent tous les jours vendre leur marchandise, notamment la viande de cochon. C’est précisément à Anse-à-Pitre que le cas de peste porcine a été à nouveau identifié, 40 ans après l’abattage des cochons haïtiens. Talot Bertrand craint que la même chose ne se reproduise.
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« Il n’y a pas de véritable contrôle sur les échanges au niveau des villes frontalières. Plusieurs porcs ont déjà été testés positifs à la peste porcine africaine. Cette maladie est un vrai danger pour l’économie paysanne. Si aucune mesure n’est prise, elle pourrait provoquer une décimation égale à celle des années 80 », explique Bertrand.
Alan Lecoprs, ancien employé du ministère de l’Agriculture affirme qu’il est à peu près sûr de la même chose. « Depuis près d’un an, nous avions anticipé que les dominicains allaient déverser leurs produits en Haïti, face à la menace constituée par la peste porcine africaine », assure-t-il.
L’agronome Lecoprs précise cependant que n’étant plus au ministère, il ne peut vérifier que c’est ce qui s’est réellement produit.
Le ministre du Commerce, Ricardin Saint Jean affirme que pour le moment, des tests sont en train d’être menés sur des échantillons de viande de porc. « Le ministère effectue généralement des contrôles de routine dans les marchés et les supermarchés afin de savoir quels produits sont en circulation. Nous avons reçu des plaintes concernant la viande de porc en question, et elle est actuellement dans un laboratoire dans le pays, afin de subir des analyses de qualité. »
D’après lui, il existe deux protocoles au sein du ministère afin d’intervenir dans le contrôle des marchandises. Il s’agit premièrement du contrôle de routine opéré par les agents du ministère. Pour le deuxième cas, l’intervention est exceptionnelle, à la suite de plaintes comme c’est le cas pour la viande en circulation actuellement.
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« En général, après les plaintes, nous contactons le ministère des Finances pour rentrer en contact avec la douane, à qui nous demandons le nom de l’importateur. Ils sont entre cinq ou six à importer de la viande de porc », explique le ministre qui n’a pas souhaité dévoiler le nom des importateurs.
Rodney Dupuy, directeur de la promotion de la santé et de la protection de l’environnement au sein du ministère de la Santé, soutient que dans le cas où le porc en circulation serait atteint de grippe porcine classique, elle ne présenterait pas de danger pour l’homme.
En effet, selon Alan Lecoprs, il ne faut pas confondre la peste porcine, dont sont atteints les cochons dominicains, avec la peste porcine classique ou la grippe porcine. « La peste porcine classique est moins dangereuse et il existe un vaccin, dit-il. La grippe porcine, elle, s’apparente à la grippe aviaire, et est susceptible de se transmettre à l’homme. »
Même si manger la viande de porc malade de la peste porcine africaine est sans danger pour la santé humaine, le risque est la dissémination de la maladie par la viande, les poils, la poussière du sol.
La réintroduction de la peste porcine africaine peut ainsi décimer près de la totalité de la population porcine haïtienne. Or, l’élevage du porc et sa commercialisation sont une source économique importante pour les paysans haïtiens. Déjà, dans les années 1980, le gouvernement de Duvalier avait fait abattre une grande partie des cochons haïtiens, atteints de la maladie.
Photo de couverture: Une dame tenant en mains des pieds de porc qu’elle vient d’acheter au marché Tunel à Pétion-Ville le 5 février 2022. Carvens Adelson / AyiboPost
Photos: Carvens Adelson / AyiboPost
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