SOCIÉTÉ

Peut-on consommer les cochons qui mangent des cadavres humains à Port-au-Prince?

0

Dans la zone métropolitaine, il est devenu courant de tomber sur des animaux qui dévorent des cadavres d’humains. Ce spectacle se voit le plus souvent dans des quartiers pauvres et contrôlés par les gangs armés. Zoom sur ce phénomène macabre et ses risques

Il était 5 heures de l’après-midi, le lundi 10 février 2020. À l’angle du boulevard Harry Truman et la rue des Arts plastiques, un corps calciné s’offre à la vue des passants. La peur au ventre, les riverains fréquentant l’entrée sud de la capitale arrivent difficilement à détacher les yeux du cadavre abandonné sur un tas d’immondices.

Pareille scène effraie. Mais à Port-au-Prince, elle est devenu monnaie courante. Encore plus dans les zones listées de non-droit.

Le lendemain, à Portail Léogâne, Jean, un chauffeur de taxi moto tente de convaincre un client qui refuse de passer par le Bicentenaire pour se rendre à Carrefour.

Le client ne voulait pas revoir le corps calciné. À bout d’arguments, le chauffeur lâche : « Si yon moun pè gade bagay sa yo, se lakay ou pou w rete ». En toute vraisemblance, ces faits n’étonnent plus le conducteur rompu au spectacle courant des cadavres abandonnés en pleine rue dans la zone métropolitaine. 

Des corps abandonnés aux animaux

« Depuis le début de l’année 2019, le Bicentenaire, Bolosse et Martissant sont le théâtre de luttes armées entre groupes de bandits. Les cadavres des victimes sont généralement offerts en buffet aux chiens et aux cochons, au vu et au su de tous », lance Jean, pour expliquer son aplomb.

En effet, le conducteur de moto n’invente rien. Le vendredi 10 janvier dernier, à hauteur de Martissant 7, les cadavres de deux jeunes hommes ont passé des heures, à moitié immergés dans une mare boueuse au beau milieu de la route. Ironie du sort, cette scène s’est déroulée tout près du sous-commissariat de la zone. À côté de ces hommes, il y avait deux motocyclettes.

Lire aussi: Des corps mutilés cachés sous les piles de fatras de Port-au-Prince

Cette réalité n’est pas confinée à l’entrée sud de la capitale. À La Saline, le photojournaliste Dieu-Nalio Chéry a photographié des cochons qui dévoraient des cadavres humains sur des tas d’immondices. Les faits, selon le photojournaliste remontent au 20 novembre 2018, quelques jours après le massacre de La Saline.

Dépêché sur les lieux, le journaliste avait l’intention de prendre des clichés pouvant expliquer l’ampleur de la situation. À sa grande surprise, il a buté sur le corps d’un homme à moitié dévoré par « une dizaine de cochons ». « C’était tellement horrible que j’ai fondu en larmes en visualisant l’image chez moi », se souvient le photojournaliste. Aujourd’hui encore, ce professionnel se remémore la scène avec émotion. Pourtant, dans certains points de la capitale, ces cadavres sont exposés aux regards perplexes des enfants revenant de l’école.

Par ailleurs, une enquête d’Ayibopost publiée l’année dernière révélait que de janvier à juin 2019, la Mairie de Port-au-Prince avait recensé 137 corps sur les piles de fatras, une moyenne de 22 cadavres par mois, le plus souvent tués par balles. Le mois de janvier était le plus meurtrier, avec 37 corps, soit au moins un corps tous les jours.

Faiblesse ou nonchalance de la justice et des mairies ?

Les autorités judiciaires prouvent leur faiblesse en laissant traîner des cadavres mutilés sur les trottoirs, selon l’avocat Jean Junior F. Tibère.

L’homme de loi précise que les cas de mort violente enregistrés en pleine rue exigent que « la police soit la première à se rendre sur les lieux pour sécuriser la scène de crime en attendant l’arrivée d’un juge de paix pour les constats légaux ». Le constat du juge de paix doit être transmis au Parquet de la juridiction qui, dès lors, peut autoriser l’autopsie du corps aux fins de déterminer les circonstances du décès.

À La Saline, le photojournaliste Chery Dieu Nallio a photographié des cochons qui dévoraient des cadavres humains sur des tas d’immondices.

L’avocat Jacquenet Oxilus admet aussi que les cadavres passant des heures voire des jours à traîner dans les rues sont symptomatiques d’une faiblesse de l’appareil judiciaire. Cependant, il souligne que les mairies aussi sont impliquées dans la gestion de ces cas. Selon l’avocat, « outre les crimes, les mairies sont les premiers concernés par le décès d’une personne en pleine rue ».

Oxilus précise que c’est à la mairie de faire lever le corps et de le placer à la morgue en attendant de retrouver sa famille. « S’il s’agit d’un indigent, c’est à la mairie de procéder à son enterrement », confie l’homme de loi.

Horreur dans la chaîne alimentaire 

Manger la viande d’un cochon ayant déjà ingéré des cadavres humains ne peut poser aucun problème à quelqu’un, selon le docteur Delvales Doccy. Le médecin appuie sa thèse sur le fait « que l’organisme de la bête digère sa nourriture et qu’on ne mange pas ce qui se trouve dans l’intestin de l’animal, mais le nutriment qui renforce sa structure musculaire ».

De son côté, le médecin Tony Bistiné parle de la possibilité qu’un animal déjà sensible à une maladie portée par l’homme dont il mange le cadavre puisse accumuler des microbes et les transmettre à ceux qui mangeront sa chair.  Ces cas, quoique très rares, sont possibles dans des situations d’« anthropozoonose » qui sont des maladies pouvant se développer aussi bien chez l’homme que chez la bête.

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

Comments