Le poète Davertige, de son vrai nom Villard Denis, prend naissance à Port-au-Prince le 2 décembre 1940
La verticalité des lettres invite au ciel, le cairn multicolore s’élève et pointe de même les étoiles. La matière des pages, elle, renvoie plutôt aux territoires de l’enfance, carton granuleux et pigments joyeux : cahier de poésie d’une école buissonnière ravie de débaucher, cercle expansif pas du tout disparu.
Davertige le flamboyant donne son nom à la nouvelle revue poétique lancée par Loque Urbaine (sous l’impulsion de Jean D’Amérique et avec le soutien de la FOKAL) et voit l’hommage se poursuivre quelques pages plus loin avec la publication de ‘Pétion-Ville en blanc et noir’, ‘Omabarigore’ et ‘Cannibales Modernes’ (issus d’Anthologie secrète).
« Et nous suivons toujours les bohèmes aux gestes
| d’éclairs
Comme des verticaux silencieux d’hommes noyés
| dans leur pensée carbonisée
Nous connaissons la forêt assez ingrate des chants
| de chouettes
Et l’homme assez ingrat de la Folie de la Patrie
Nos pensées tendues comme des fils
| télégraphiques
Suivent les bas-fonds et les quartiers plants où le
| hibou tient la lumière assise toute seule »
Treize compagnes et compagnons de plume font chemin avec le peintre (qui exposa sous son vrai nom Villard Denis) et poète, auteur du vertigineux ‘Idem’ et de ‘Davertige, Anthologie secrète’ (chez Mémoires d’Encrier).
Les revues littéraires et Haïti, une longue histoire. Garder trace des échanges créatifs entre artistes insulaires, de la diaspora, mais aussi avec les artistes de l’ailleurs qui se moquent des frontières et ont en commun le goût de l’itinérance : tel est le but avoué de ‘Davertige’.
Au plaisir des mots, à la nécessité des idées, au besoin des horizons rafraîchis par temps d’orage, renouvèlement des langues.
La Ruche, Conjonction, Chemin critique, Lakansyèl, Nouvelle Optique puis plus récemment Trois/Cent/Soixante et IntranQu’îllités : prestigieux précurseurs inscrits dans la même veine, stimulante émulation d’où surgit l’espoir, fragile comme la construction minérale dessinée ici, l’espoir qui blinde les âmes à défaut des corps. Lecteurs, spectateurs, poètes et porteurs du projet l’entendent en tout cas bien de cette oreille.
« Davertige » recueille dans ce premier numéro les contributions des participants aux deux derniers Transe poétique, festival international de poésie contemporaine de Port-au-Prince qui a lieu chaque septembre sous la houlette énergique de Jean D’Amérique.
Makenzy Orcel, Adlyne Bonhomme, Milady Renoir, Ricardo Boucher, Eliphen Jean, Lisette Lombé, James Noël, Annie Lulu, Bonel Auguste, Hugo Fontaine, Coutechève Lavoie Aupont, Pina Wood et Jean-Pierre Siméon (invité d’honneur du festival en 2019) y font résonner collectivement leurs voix tour à tour puissantes, rageuses, révoltées, mais toujours sensibles et parfois même sensuelles.
Stone balancing, montjoie bigarrée, les treize créateurs de poser leurs pierres les uns après les autres à partir de celle du mentor disparu, grand assoiffé de liberté. Une quarantaine de textes inédits desquels remonte la colère sourde contre les âmes corrompues et les violences légalisées, mors aux dents et plumes levées, urgence d’aimer, d’un peuple de se projeter.
Ricardo Boucher rêve d’une poignée d’amour, mais ne voient que des « Bras ballants
Devant le peloton d’exécution
Seuls avec la force des coups
Et des larmes sanglantes
Où les barbelés du silence
Cousent les bouches des porte-voix » (‘Fusillés’)
Adlyne Bonhomme porte en terre « un nuage mort » tandis que James Noël protège comme il peut l’espérance, pendant qu’Eux
« À visage découvert ils ont bombardé
des quartiers de lune des villes des pays
mettre le feu dans les culs-de-sac
tiré à boulet rouge dans l’œil des peuples de cyclones » (‘Esperanza’)
Une Pina Wood toute en majuscules laisse s’exprimer sa fureur contre un monde déshumanisé et hypocrite : « FERONT DES SIGNES DE CROIX,
POUR VERROUILLER NOS TROISIÈMES ŒILS,
ZAPPELLERONT ÇA AUSSI UNE MESSE
ET EN PLUS ON DONNERA DE L’ARGENT »
Eliphen Jean avale son ombre
« pour ne pas être complice du viol
et du vol
dans les rues noires »,
Annie Lulu, elle, évoque les tailleurs de quartz et la charmille de désir.
Hugo Fontaine aussi invoque le corps et ses nécessaires fulgurances, derniers antidotes intimes au désespoir :
« Ta langue,
animal recensé dans aucune encyclopédie.
La poésie n’existe plus.
Je te prendrai sans procéder à une première lecture.
Chaque masturbation secrète un début de texte »
Makenzy Orcel fait « pousser un arbre dans le miroir, le cœur en sursis » (‘Non-Aimer’),
Milady Renoir observe désabusée les hommes-matons qui dirigent les existences jouer à « pierres, papiers, ciseaux’.
Quarante textes inédits qui disent le monde et les espoirs des peuples, mais aussi les secrets de l’intime au milieu d’un univers qui tente de l’effacer. Un premier numéro solaire et ambitieux qui a été officiellement lancé mercredi 31 mars à l’Institut de France en Haïti en présence de certains de ces talentueux contributeurs. La revue y était en vente, mais elle l’est également par commande dès à présent.
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La publication de « Davertige » sera biannuelle. L’équipe entière est composée de Jean D’Amérique, Marie Monfils, Jean Gesner Dorval ainsi que de Camille Nicolle et Chloé Vargoz au graphisme.
Que le Verbe soit et la poésie fut : souhaitons alors vie longue et riches rencontres à cette rafraîchissante revue ‘Davertige’ !
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