SOCIÉTÉ

Crise de carburant en Haïti : la demande pour les produits locaux augmente

0

Une opportunité à saisir pour une relance durable de la production nationale, selon certains spécialistes

Read this piece in English

Le blocage des douanes et les troubles politiques entravent la distribution des produits importés. Ceci augmente les requêtes pour la production haïtienne. Cependant, les producteurs ne s’enrichissent pas nécessairement.

REB Lokal, une entreprise agroalimentaire située à Jérémie, a vu une augmentation de 40 % de sa clientèle pendant les troubles politiques de ces derniers mois.

L’entreprise existe depuis septembre 2020 et elle assure la transformation d’une soixantaine de denrées agricoles, comme les tubercules périssables de la région.

Le blocage des douanes et les troubles politiques entravent la distribution des produits importés.

Cependant, Rébetha Charles, propriétaire de REB Lokal, fait savoir que l’initiative se trouve actuellement en difficulté pour effectuer des livraisons dans d’autres régions du pays à cause de la crise du carburant. Le gros de la production est donc vendu dans le département de la Grand’Anse.

Le même constat se fait dans la commune de Gros-Morne, dans l’Artibonite.

Gaston Jean, Docteur en sciences de l’environnement et fondateur de l’Association des Originaires de Grande Plaine, fait savoir que la marmite de maïs qui se vendait à 300 gourdes avant le peyi lòk coûte à présent 50 gourdes.

Les paysans ne peuvent conserver ni transporter leurs produits à Port-au-Prince. Ils les déversent en quantité sur les marchés locaux. À présent, observe le propriétaire d’une entreprise agricole et également fondateur du réseau des écoles vertes de Gros-Morne – REV, les denrées comme les avocats ou la figue banane sont disponibles à profusion.

Les paysans ne peuvent conserver ni transporter leurs produits à Port-au-Prince.

L’offre n’équivaut pas à la demande. Près d’une personne sur deux en Haïti, soit 48 % de la population, est en situation d’insécurité alimentaire aiguë élevée, selon les Nations Unies.

Le blocage du terminal de Varreux depuis le 12 septembre 2022 par Jimmy Chérizier, le chef du gang G9 an Fanmi e alye, aggrave la situation. Des centaines de containeurs de produits alimentaires se trouvent bloqués à la douane. L’administration publique ne fonctionne plus. Et récemment, la République Dominicaine a annoncé la fermeture de sa frontière avec Haïti.

Lire aussi : Terminal Varreux : interview exclusive avec un haut responsable

Une telle situation fait craindre l’indisponibilité totale de denrées alimentaires et d’autres produits importés dans le pays. La plus grande île adjacente du pays est déjà à l’agonie. À la Gonâve, la population appelle au secours : toutes les réserves de produits alimentaires des magasins sont épuisées dans cette localité qui dépend de la grande terre.

« Les conteneurs n’arrivent pas à débarquer à cause de l’insécurité qui règne à La Saline dans la zone du Bicentenaire », déclare un cadre de l’administration générale des douanes qui requiert l’anonymat pour n’avoir pas été autorisé à prendre la parole au nom de l’administration.

Le cadre, sans préciser le montant, fait savoir que les bateaux paient des frais pour chaque jour d’accostage.

Une telle situation fait craindre l’indisponibilité totale de denrées alimentaires et d’autres produits importés dans le pays.

Quoiqu’il en soit, les spécialistes recommandent la consommation locale et le remplacement des produits importés par la production de paysans haïtiens. Des politiques publiques protectionnistes de l’État peuvent éventuellement venir en aide des producteurs.

« En ce moment, les produits nationaux vont beaucoup plus aider que les produits importés », souligne le Dr Wilner Pierre, nutritionniste, obstétricien et gynécologue, interviewé par AyiboPost.

Lire aussi : La filière de la mangue en Haiti dépend des coopératives agricoles

« Quelqu’un par exemple qui consomme des patates, de la figue banane ou de l’igname le matin absorbe une quantité de calories beaucoup plus importantes pour son corps par rapport aux autres substances qui viennent de l’extérieur », dit le spécialiste qui pointe du doigt les conséquences néfastes sur la santé de certains produits importés.

De plus, dit Wilner Pierre, la plupart des produits locaux sont aujourd’hui moins chers.

Il existe également une inflation internationale sur les produits alimentaires en marge de la pandémie de Covid-19. Ceci constitue une opportunité pour les producteurs haïtiens, analyse l’économiste Etzer Emile.

D’ailleurs, ajoute-t-il, le dernier bulletin de l’Institut Haïtien de Statistiques et de l’information confirme une inflation de 23.2% sur les produits locaux contre 43.2% sur les produits importés.

Ceci constitue une opportunité pour les producteurs haïtiens, analyse l’économiste Etzer Emile.

L’économiste pense qu’un investissement important dans l’agriculture locale aiderait non seulement à contrecarrer cette hausse de l’insécurité alimentaire, mais aussi la chèrete de la vie. « Cela donnerait du revenu aux centaines de milliers de familles paysannes decapitalisées », estime-t-il.

L’auteur de l’ouvrage « Haïti a choisi de devenir un pays pauvre » note toutefois que le problème d’accès au marché dû à l’insécurité et la pénurie de carburant, ajoutés aux défis structurels (crédits, accès à l’eau) risquent d’hypothéquer toute relance agricole.

Pour protéger les petits producteurs, il faut rétablir la sécurité, rendre le carburant accessible pour faire baisser les coûts de transport et pour finir, subventionner l’engrais et les semences, conclut Etzer Emile.

Jameson Bernabé, copropriétaire de l’entreprise Agro 6, dit constater quatre fois plus de demandes pour ses produits depuis le début de la crise de carburant.

Bernabé œuvre dans la commercialisation des produits agricoles. « Pour le moment nous n’avons que du miel et de l’huile de Palma christi (lwil maskreti) dans l’entreprise », poursuit le commerçant dont l’entreprise accompagne également les paysans dans la production agricole.

Jean vend des « poules pays ». Avant les épisodes de peyi lòk, la structure ne pouvait guère concurrencer l’invasion de produits des poulaillers dominicains. La donne a changé, dit-il. « À présent nous avons tellement de commandes à travers le pays qu’ils ne nous restent plus de poules dans nos poulaillers. »

Photo de couverture : Produits agricoles haitiens | © CARE

Cet article a été mis à jour. 21.38 19.10.2022

Fenel Pélissier est avocat au Barreau de Petit-Goâve, professeur de langues vivantes et passionné de littérature.

    Comments