SOCIÉTÉ

Créole vs français : qui est le perdant ?

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Les volontés intellectuelle et politique qui s’attèlent à nous inviter à un retour aux sources de l’homme haïtien, à rechercher son éthos, son identité, à valoriser ses particularités est nécessaire dans un contexte de mondialisation et d’étouffement des cultures minoritaires. Comme tout peuple passé dans le moule de l’esclavage, l’empreinte de l’ancien maitre se fait sentir dans tous les interstices de notre vie nationale. De nos choix vestimentaires à notre système judiciaire, en passant par nos langues officielles. Seulement, pour ce qui est de la stratégie à adopter pour régler la querelle classique entre le créole et le français, j’ai le sentiment que la réponse n’est non seulement pas toujours adaptée, mais peut s’avérer être contre-productive.

Je m’explique.

Le sujet est fort complexe. N’étant pas spécialiste, je ne peux que donner mon opinion de citoyen conscient des enjeux de son environnement. Cela dit, le français est, selon la Constitution de 1987 amendée, à côté du créole, langue officielle.

Dans la pratique, la quasi-totalité de la population parle créole, cette langue forgée au burin tumultueux et tragique de l’histoire coloniale, à la croisée d’influences africaines et françaises notamment.

Pourtant, dans l’essence, l’enseignement à l’école classique et dans les universités se fait en français. Les plaidoiries dans les tribunaux, l’administration publique et même la drague ont recours à la langue de Molière.

Dans l’inconscient collectif, le français est associé à la beauté, à l’éducation quand « parler créole » est perçu comme banal et ordinaire. Parler français est souvent marquer sa différence et affirmer son appartenance à la classe sociale dite éduquée par opposition au créole, langue du peuple.

Cette dynamique de dévalorisation transcende malheureusement le créole pour s’étendre à tout ce qui est national par essence. C’est ce que le célèbre Jean Price Mars appelle le « bovarysme culturel ».

Revendiquons notre héritage.

Par ailleurs, indexer le français n’est selon moi nullement la solution. Disons-le franchement, le français n’est pas un obstacle à la valorisation du créole.

Un de mes proches, un tantinet chauvin, a avancé l’idée d’une interdiction du français. À mon avis, interdire le français revient à renier un pan de l’histoire d’Haïti; celle de l’esclavage et de son héritage. Nous ne sommes ni complètement africains, ni totalement européens. Notre identité est arc-en-ciel et il nous faut la revendiquer, non la renier.

La langue est le véhicule de la pensée et, à mon sens, le premier terrain de déploiement de la liberté. On apprend une langue pour se faire comprendre. C’est d’abord un outil. On peut en faire un usage pernicieux ou une opportunité d’émancipation.

Notre littérature qui a pris naissance au lendemain de l’indépendance est l’un des rares secteurs où nous nous trouvons dans le peloton de tête! Pourquoi nos écrivains, les plus nationalistes parfois, se trouvent-ils à matérialiser leurs pensées dans une langue dite étrangère? Sont-ils si hypocrites qu’ils se confondent à peindre leurs âmes haïtiennes avec des pinceaux dits étrangers et parfois considérés comme ennemis?

En substance, mépriser le français n’est pour moi pas une attitude intelligente. Toute politique consciente des enjeux modernes devrait commencer par valoriser le créole, l’apprentissage des langues et l’enseignement rationnel de l’histoire factuelle, débarrassée de l’exaltation et de tout fanatisme. Le peuple haïtien et sa riche culture seraient perdants si dans un élan de nationalisme excessif on venait à ressasser la vieille rengaine schizophrène du créole, langue de la masse et du français, langue de l’oppresseur! Mon point de vue.

 

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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