Occupation américaine, dictature, démocratie, l’histoire du pays est marquée par des référendums
Un référendum permet aux pouvoirs publics de consulter directement leur peuple sur un sujet quelconque. Au contraire d’une élection, il n’est pas fait pour choisir un candidat, mais plutôt pour répondre par « oui » ou « non » à une question mise au vote. Si le oui l’emporte, ce texte ou cette décision sera adoptée officiellement.
Le 22 septembre 2020, le président Jovenel Moïse a installé un nouveau Conseil électoral provisoire. Ce conseil, qui fait déjà face à l’opposition d’une partie de la population, a mandat d’organiser les prochaines élections.
En plus de cette tâche, les nouveaux conseillers électoraux ont aussi pour mission d’organiser un référendum. Celui-ci permettra de matérialiser un vœu cher à Jovenel Moïse : doter le pays d’une nouvelle Constitution.
La Constitution actuelle, sur laquelle le président a prêté serment, et qu’il a promis de respecter, interdit explicitement les référendums visant à la changer. Les procédures d’amendement sont définies dans la loi mère. Mais, le parlement étant absent, faute pour l’exécutif d’avoir organisé des élections à temps, l’administration Moïse-Joute veut passer en force.
Si les projets du président aboutissent, ce ne sera pas la première fois qu’un référendum s’organisera dans le pays. Un exercice similaire en 1964 a permis d’instaurer la dictature Duvaliériste, tandis que celui de 1987 a entériné la démocratie.
Une pratique venue d’ailleurs
Contrairement à d’autres pays, tous les référendums haïtiens ont eu lieu sur des sujets liés à la Constitution.
C’est lors de l’Occupation américaine que cette pratique sera introduite en Haïti. Les Américains voulaient à tout prix introduire une nouvelle Constitution, celle de 1918. Ils utilisèrent la méthode référendaire pour faire passer leurs volontés. D’après Sauveur Pierre Etienne, dans son ouvrage « l’énigme haïtienne », l’occupant a utilisé cette stratégie, combinée à d’autres, en vue de « réduire l’hostilité des Haïtiens envers l’accession des étrangers à la propriété, et faciliter les investissements américains dans l’agriculture […]. »
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Cette Constitution forcée par référendum, rapporte l’historienne Suzie Castor, avait été écrite par Franklin Delano Roosevelt lui-même. Il s’en est d’ailleurs vanté lors de sa campagne électorale pour devenir président des Etats-Unis.
Cette stratégie sera suivie par Louis Borno, président entre 1922 et 1930.
En 1935, quelques mois seulement après que les américains aient laissé le pays, le président Sténio Vincent a organisé un référendum pour modifier les pouvoirs que lui conférait la Constitution.
François Duvalier, à trois reprises, et Jean Claude Duvalier, en 1985, se serviront de l’outil du référendum pour donner un semblant de légitimation populaire à certaines de leurs décisions.
Ad vitam aeternam
François Duvalier est élu président d’Haïti en 1957. L’homme instaure rapidement un régime autoritaire, qui se base sur la peur pour garder le pouvoir. Alors que son mandat prend fin en 1963, le dictateur décide de prolonger son pouvoir, au mépris des prescrits constitutionnels. Le 30 avril 1961, il organise un référendum pour amender la Constitution. La consultation populaire enregistre 100% de votes « oui », sur plus de 1,3 millions de suffrages. Son pouvoir est assuré jusqu’en 1967.
En 1964, Duvalier père franchit un cap. Il décide de devenir président à vie. Le président organise alors un référendum pour modifier la Constitution encore une fois. Des hommes et des femmes très connus, dont le comédien haïtien Theodore Beaubrun, dit Languichatte, ont activement milité pour cette présidence à vie.
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D’apparence démocratique, les articles de la Constitution amendée de 1964 assurent aux citoyens le droit de jouir librement des privilèges que la loi leur accorde. Les ouvriers pouvaient adhérer à des syndicats. Les arrestations étaient règlementées et devaient être faites selon la loi.
Mais dès l’article 99, le nom de François Duvalier apparaît comme président à vie. « Le Citoyen Docteur François Duvalier, chef suprême de la nation haïtienne, ayant provoqué pour la première fois depuis 1804 une prise de conscience nationale à travers un changement radical du point de vue politique, économique, social, culturel et religieux en Haïti […] exerce à vie ses hautes fonctions, suivant les conditions prévues à l’article 91 de la Constitution. » Le président a aussi le droit de désigner son successeur. L’article 101 jette les bases d’un nouveau référendum, car ce successeur sera choisi par proclamation du président, et ratifié par le peuple.
Lors du référendum de 1964, une personne pouvait voter autant de fois qu’elle le souhaitait, car il n’y avait pas de limitations sur la quantité de bulletins qu’un votant pouvait utiliser. La plupart de ces bulletins étaient marqués « Oui ». Près de 2 800 000 personnes ont voté pour Duvalier et le référendum. Seulement 3 234 étaient contre.
En 1971, un nouveau référendum reconnaît son fils, Jean Claude Duvalier, comme successeur et futur président du pays. 2 391 916 Haïtiens votent le « oui » à l’unanimité.
Tel père tel fils
Successeur de son père au pouvoir, et lui-même président à vie, Jean Claude Duvalier a eu recours au référendum pour tenter de maintenir son pouvoir qui prenait l’eau.
Vers les années 1983, des étincelles de contestation du régime autoritaire de Baby Doc se sont allumées ici et là. La visite du Pape jean Paul II ravive encore plus les flammes. Face à cette contestation sourde et montante, Jean Claude Duvalier tente des concessions. En 1983 le dictateur annonce des élections municipales qui, assure-t-il, seront libres et honnêtes. Mais seuls les duvaliéristes y participent au final. Il fait aussi modifier la Constitution en août de la même année, même s’il garde « la présidence à vie » intacte.
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Mais la colère gronde dans le pays. En 1984, des émeutes de la faim éclatent dans de grandes villes comme Gonaïves ou le Cap Haïtien. Jean Claude Duvalier décide de modifier une nouvelle fois la Constitution, en la soumettant au vote populaire. Il y reconnaît cette fois le droit de créer des partis politiques, sous certaines conditions, et crée un poste de Premier ministre.
Le 22 juillet 1985, le texte est approuvé par référendum à plus de 99% des voix, malgré le boycott de la population.
Un air de liberté
23 ans après la ratification de la présidence à vie de Duvalier père, le peuple haïtien a de nouveau été appelé à voter, lors d’un référendum. Cette fois, il s’agit d’une nouvelle Constitution, qui doit consacrer l’introduction du pays dans la démocratie occidentale.
Cette nouvelle ère est marquée par des changements majeurs dans certains articles de la loi-mère. L’un des changements les plus notables est l’abolition de la présidence à vie, chère à François et Jean Claude Duvalier. Le referendum pour adopter cette nouvelle Constitution est votée par 99.8% des participants. Sur 1 261 334 votants, 1 258 980 ont répondu oui.
La constitution de 1987 est celle qui a la plus grande longévité, avec 33 ans de service, même si elle a été amendée en 2012. Sur les 24 Constitutions que le pays a connues, seulement trois ont dépassé un quart de siècle d’application. Celle de 1987, celle de Pétion (27 ans) et celle d’Hyppolite (29 ans).
Arme à double tranchant
Les référendums, dans plusieurs pays, font partie intégrante du système politique. En Suisse, ils sont obligatoires, et organisés régulièrement. A l’international, le plus récent et retentissant référendum a eu lieu en Angleterre. Le Royaume-Uni décidait s’il devait rester dans l’Union Européenne ou la laisser. Connu sous le nom du Brexit, ce référendum a vu les Britanniques voter pour l’abandon de l’Union.
Selon des spécialistes, un référendum, dans un régime populiste, permet aux gouvernements de court-circuiter le parlement. C’est une façon de légitimer un pouvoir. Mais, c’est une stratégie qui se manie avec prudence. Le peuple, s’il n’a pas confiance dans ses élus, peut exprimer dans son vote une opposition au pouvoir, plutôt qu’une position sur le sujet mis à son appréciation.
Jameson Francisque
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