L’effondrement institutionnel économique et social caractéristique de la crise qui sévit en Haïti depuis des décennies représente un obstacle majeur á l’atteinte de l’objectif que s’est fixé le gouvernement haïtien d’inscrire le pays sur la voie du développement. Parmi les axes stratégiques définis pour appuyer le progrès économique et social, sont retenus d’une part la mise en place des infrastructures de base et la fourniture de services publics à la population, d’autre part la redynamisation des secteurs porteurs à travers des investissements privés d’origine locale et étrangère. Cependant comme dans tant d’autres pays en voie de développement, l’important déficit d’infrastructures, le manque d’accès à des services publics de qualité, associés aux ressources budgétaires limitées de l’Etat ne permettront pas d’effectuer les divers investissements d’envergure nécessaires ni d’assumer les coûts liés à l’entretien et à la maintenance des ouvrages, équipements, services existants et futurs.
La recherche de mécanismes de financements alternatifs et innovants, permettant de réduire la pression sur le budget national, la dépendance vis- à-vis de l’aide internationale, et d’obtenir des gains d’efficience dans la conduite de projets clés, a conduit à l’identification d’un mode de collaboration entre les secteurs public et privé appelé: partenariat public-privé (PPP). Dans le cadre de ce modèle, l’Etat jouant principalement son rôle de régulateur, définit les conditions permettant de bâtir un pont afin de concilier l’intérêt du secteur privé et l’intérêt général dont il est le garant. En Haïti, les PPP peuvent se développer dans les domaines suivants:
- Le déploiement des infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, agricoles, culturelles, sportives, administratives etc.
- La fourniture des services publics d’éducation, de santé, d’eau et d’assainissement, d’électricité, de télécommunications, de transport, de logements sociaux etc.
- La fourniture de services publics de proximité pris en charge par les collectivités territoriales tels que marchés publics, places publiques, éclairage public, cimetières etc.
Le partenariat public-privé a fait ses preuves dans de nombreux pays et a contribué, en utilisant comme levier les ressources financières, techniques et humaines du secteur privé, à fournir un accès rapide à des infrastructures et services publics mieux maintenus et de qualité. Des échecs ont été également recensés, mettant ainsi en exergue l’importance d’intégrer des balises financières, techniques, fiscales et juridiques tout en s’assurant de l’optimisation de la dépense publique et de l’efficience de la démarche d’un point de vue collectif.
Néanmoins, le concept de partenariat public-privé est relativement nouveau dans le paysage institutionnel et administratif haïtien et mérite une meilleure appropriation par les différentes parties prenantes. Il existe plusieurs types de partenariat dont les caractéristiques varient en fonction des besoins des deux parties. Ils diffèrent dans le degré de responsabilité de l’opérateur privé, leur durée, les tâches sur lesquelles ils portent. Parmi les typologies PPP les plus classiques, on peut mentionner: les contrats de gestion, les contrats d’affermage ; les contrats de concession (BOT) et leurs variantes (ROT (Rehabilitate-Operate-Transfer) ; BLT/RLT(Built/Rehabilitate-Lease-Transfer);DBFO(Design-Built-Finance-Operate) ; B.O.O (Built/Own/ Operate). On peut également signaler le modèle anglais connu sous le nom de PFI (Private Finance Initiative), ou encore la régie intéressée ou le bail emphytéotique administratif familier au droit français. Au regard des variantes de schémas contractuels et institutionnels envisageables dans le cadre de PPP, et en considération des définitions divergentes en fonction des pays, il importe d’en fixer clairement les critères et limites au niveau national.
Selon une définition inspirée du droit français, le partenariat public – privé est un: » Contrat administratif entre un partenaire privé et une entité publique (l’Etat ou la collectivité territoriale), dont l’objet est la fourniture d’un service public ou de services concourant a l’exercice de la mission de service public. Le partenaire privé en contrepartie d’une rémunération s’étalant sur la durée du contrat et basée sur des critères de performance prédéfinis, assume des risques substantiels et assure en tout ou partie : la conception, le financement, la construction ou la réhabilitation, et l’entretien, la maintenance, l’exploitation ou la gestion en lien avec des ouvrages, des équipements ou biens immatériels ».
Cette définition a le mérite de reprendre les 4 critères incontournables d’un PPP à savoir :
– La fourniture d’un service public ou de services concourant à l’exercice de la mission de service public
– La rémunération étalée sur la durée du contrat pour garantir l’amortissement des investissements réalisés ; Celle-ci est souvent variable et basée sur des critères de performance. La rémunération ne provient pas forcément de l’Etat, car elle peut venir directement des usagers du service, ou peut être mixte dans certains cas.
– Contrat de longue durée de façon générale, soit un minimum de cinq ans.
– Transfert substantiels de risques à l’opérateur privé. Il s’agit d’attribuer au privé les risques qu’il est mieux à même de couvrir ou de mitiger en fonction du secteur concerné. Certains risques seront cependant toujours supportés par l’Etat.
Au- delà de la définition des partenariats public-privé, il importe de faire des distinctions avec d’autres concepts plus familiers prêtant souvent à confusion :
Marchés publics versus Partenariats Public-Privé
Comme les marchés publics, les contrats de partenariats public-privé sont soumis aux principes de transparence, d’équité et de bonne gouvernance impliquant la mise en œuvre de procédures d’appels d’offres pour leur attribution. Toutefois le PPP constitue un mode dérogatoire au régime de droit commun applicable aux marchés publics traditionnels. Les marchés publics ne sont pas des PPP, car les contrats de marchés publics impliquent nécessairement un engagement de paiement public pour la construction d’un ouvrage public ou la prestation de services ou livraison de biens publics; ils n’incluent ni de partage substantiels de risques, ni d’investissements sur le long terme supporté par l’opérateur privé. Illustrons par un exemple:
- Cas d’un marché public: l’Etat contracte la firme X qui doit construire selon un cahier des charges une route en contrepartie du paiement de l’Etat. Dans le cadre de ce marché, l’Etat doit supporter les surcoûts éventuels, les retards liés aux travaux. La firme privée n’a aucun incitatif pour s’assurer de la maitrise des coûts, et de la durabilité de l’infrastructure réalisée puisque dès la réception des travaux, l’Etat est seul responsable de l’entretien, de la maintenance, ainsi que d’éventuelles extensions.
- Cas d’un PPP. L’Etat signe un contrat de concession avec la firme X prévoyant le financement, la construction, l’exploitation et la maintenance d’une route. La firme privée apporte les fonds (dettes et fonds propres) pour réaliser les investissements nécessaires, ainsi que sa technologie de pointe pour la construction de cette route selon les standards techniques et spécificités établis dans le contrat. L’implication de la firme sur le cycle complet du projet est une motivation pour un travail plus efficient, car des risques substantiels lui sont transférés, par exemple, tous les surcoûts, les défauts techniques, entre autres, lui incomberont. Aux fins de se rémunérer directement auprès des usagers, la firme privée installera un péage, et l’Etat devra s’assurer de négocier un tarif accessible à la population. La firme devra prendre les mesures qu’il faut pour que la route soit disponible, bien maintenue et effectuera toutes les dépenses, liées à l’exploitation de cette route à péage pendant un certain nombre d’années, lui permettant ainsi d’avoir son retour sur investissement. Pendant toute la durée du contrat, l’Etat restera propriétaire de cet ouvrage mais il ne jouera qu’un rôle de supervision et de contrôle de l’exploitant aux fins de s’assurer du respect des indicateurs de performance. Au terme de la période, la firme privée transférera le bien à l’Etat.
Société Anonyme Mixte et Société d’Economie Mixte versus Partenariats Public- privé
Les entités mixtes telles que prévues dans la législation haïtienne ont souvent tendance à être assimilées au partenariat public-privé. Cependant ces législations font référence à des sociétés dont l’objet social est commercial ou industriel et ne posent pas comme condition sine qua non que de telles sociétés soient liées à l’exploitation d’un ouvrage public ou la fourniture d’un service public, critère incontournable pour parler de partenariat public-privé. La mise en place du partenariat public privé aboutit souvent á la création d’une société de projet sans qu’il n’y ait aucune obligation que cette société de projet soit mixte; dans la plupart des cas elle ne l’est pas. L’entité publique se contente de signer des contrats PPP avec la société de projet. Par conséquent, la création d’une société d’économie mixte dont l’objet social est commercial ou industriel, comme c’est le cas de la Cimenterie d’Haïti ne peut en aucun cas être considérée comme un partenariat public- privé. Il faut retenir cependant, que des sociétés anonymes mixtes ou d’économie mixte pourraient constituer un partenariat public- privé institutionnel à condition de respecter notamment les critères de service public, de partage substantiel de risques et d’un pouvoir de contrôle de l’Etat, même minoritaire, au sein de cette entreprise.
Bail relatif au domaine privé de l’Etat versus Partenariat Public- Privé
Le décret sur le fermage des biens du domaine privé de l’Etat (1964) autorise à l’Etat via la Direction du Domaine de la Direction Générale des Impôts à donner à bail des terrains de son domaine privé aux fins d’être exploités par le fermier. L’Etat « bailleur » perçoit annuellement la redevance annuelle fixée. Ainsi, l’Etat peut donner à bail cent hectares de terre qui seront consacrés par le fermier à la production de pommes de terre. Dans ce cas de figure, l’Etat n’est pas partie à l’activité agricole, qui d’ailleurs s’apparente à une activité purement commerciale, et ne répondant à aucun des critères de PPP.
Privatisation versus Partenariat Public Privé
La privatisation est une opération au terme de laquelle l’Etat cède des actifs publics de manière définitive au privé. Les actifs cédés sortent du patrimoine de l’Etat, et l’Etat ne dispose plus de la capacité de prendre des décisions stratégiques relatives aux actifs considérés, contrairement aux contrats de PPP, dans lesquels l’Etat reste propriétaire des infrastructures, indispensables au service public, garde le contrôle á travers la supervision et le suivi des indicateurs de performance, des standards établis, des pénalités applicables entre autres. Par exemple, les transactions de cession partielle d’actifs dans le cas de la minoterie et de la cimenterie d’Haïti sont des opérations de privatisation.
Mise en place d’un cadre adéquat pour le développement de partenariat public-privé
Aux fins d’encadrer l’implémentation des partenariats public-privé, l’Etat haïtien a créé au sein du Ministère de l’Economie et des Finances, une Unité Centrale de Gestion des Partenariats Public-Privé (UCG/PPP). Cette unité a pour mission d’accompagner les ministères sectoriels dans l’identification, les études de faisabilité, la passation des marchés, l’évaluation et le contrôle des PPP. L’élaboration d’un cadre réglementaire et législatif adéquat constitue l’un des projets majeurs de l’UCG/PPP pour l’encadrement et le développement harmonieux des contrats de partenariats public-prive. Dans l’attente du vote de la loi, un manuel de procédures a été préparé et les transactions PPP peuvent être exécutées en tenant compte des minces dispositions légales existantes. La réhabilitation du Port du Cap-Haitien est l’un des projets phares en cours de réalisation par l’APN avec le support de l’UCG/PPP, la Société Financière Internationale (SFI) et l’USAID.
Le succès du partenariat public-prive repose avant tout sur la volonté politique qui lui donne naissance : les autorités publiques choisissent de déléguer certaines de leurs tâches en fonction de leurs besoins et contraintes spécifiques. Néanmoins, il est également très fréquent que l’initiative du projet provienne d’un opérateur privé intéressé. Il revient dès lors aux autorités publiques d’évaluer l’offre, sa faisabilité en mode PPP et de prendre une décision tenant compte des priorités nationales, des politiques sectorielles et plans d’investissements. Notons que les meilleures pratiques recommandent également une mise en concurrence via le lancement d’appels d’offres pour le traitement des offres spontanées. Dans l’hypothèse, où l’appel d’offres est remporté par un autre candidat, des mécanismes sont prévus pour compenser les dépenses et investissements éventuels préalablement consentis par le candidat porteur de ladite offre spontanée.
De cette synergie entre le secteur public et le secteur privé, les bénéfices à tirer sont nombreux et parmi ceux-ci, il faut compter la croissance économique via les investissements directs étrangers, les joint-ventures entre les entreprises locales et étrangères, la création de nouvelles entreprises, les sous-contrats, la création d’emplois. Si certains projets comme par exemple des concessions portuaires ou aéroportuaires semblent réduire l’accès au secteur privé local, au niveau des PPP sociaux, les firmes locales pourront cependant être de solides candidats. Nous pouvons envisager de tels partenariats pour la gestion et la maintenance de centres scolaires ou de formation professionnelle, pour effectuer les investissements nécessaires afin d’exploiter des services de distribution d’eau potable, ou des services de gestion de déchets au niveau des différentes collectivités qui en ont la responsabilité, et les exemples sont légion. Pour conclure, les partenariats public-privé n’apporteront pas une réponse à tous nos maux, et n’éliminent pas dans tous les cas le poids sur les finances publiques, cependant ils demeurent un outil dont l’utilisation efficiente servira à faire un pas vers le progrès économique certes mais surtout vers l’amélioration de la qualité de vie de la population.
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