SOCIÉTÉ

Comment expliquer l’échec des programmes de scolarisation universelle en Haïti ?

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Depuis plusieurs décennies, les gouvernements successifs échouent à mettre en œuvre un plan d’éducation pour tous en Haïti. Le droit à une scolarisation universelle est pourtant une exigence constitutionnelle

En janvier 1996, les « États généraux de l’éducation » en Haïti se réunissent à la suite d’une consultation afin de statuer sur un « Plan national d’Éducation ».

Cette démarche intervient après que « 155 nations réunies à Jomtien en Thaïlande proclament les objectifs d’Éducation pour tous (EPT) à l’échelle planétaire », selon un document publié par Charles Tardieu, ancien ministre de l’Éducation nationale. Ce modèle d’éducation « est synonyme de progrès et de culture en général, de culture scientifique, et de développement économique et social pour l’ensemble des populations. »

Au cours des années qui suivront, les gouvernements en Haïti tenteront de mettre sur pied des programmes favorisant la scolarisation universelle. Pendant les mandats de Jean Bertrand Aristide et de René Préval, plusieurs structures vont être créées avec pour mission d’offrir un accès universel et gratuit à l’école. Parmi celles-ci, le Programme d’Implantation d’Écoles dans les Sections Communales (PIENASECO), le Programme de scolarisation universelle (PSU), le Programme accéléré d’Éducation (PAE) ou encore le Programme national d’Éducation Intégrée (PAE).

De belles intentions mal exécutées

Ces projets ont tous failli, selon Charles Tardieu. Ces échecs viennent du fait que « ces projets, malgré leur ampleur, se réalisent sans un plan et une volonté d’Education pour tous, intégrés à l’intérieur d’une vision nationale englobant tous les ordres et niveaux du préscolaire à l’université en passant par l’enseignement technique et professionnel et l’éradication de l’analphabétisme. »  

Un avis que partage Stevens Simplus, spécialiste en Économie de développement et management de projet international.

Pour avoir longtemps travaillé dans le système éducatif haïtien, le spécialiste arrive à la conclusion que le Plan national d’Éducation s’est transformé en instrument de propagande politique. « [Les politiques] préfèrent manipuler l’opinion publique en abordant le programme au niveau de la quantité d’enfants à scolariser, au lieu de capitaliser sur la qualité de l’enseignement. »

PSUGO, le dernier échec en date

Tout au long de sa campagne présidentielle, Michel Martelly promettait de résoudre le problème de l’éducation en Haïti en scolarisant gratuitement 1 500 000 enfants durant son quinquennat.

Dès son accession à la présidence, il implante le Programme de scolarisation universelle gratuite et obligatoire (PSUGO) dans l’objectif de créer définitivement «une école haïtienne inclusive, unique, juste et équitable… » Le programme est financé par le Fonds National pour l’Education (FNE) qui prélève des frais sur les appels téléphoniques et les transferts d’argent en provenance de la diaspora.

PSUGO prend ainsi en charge les frais scolaires aux deux premiers cycles du fondamental à travers 9 000 écoles privées et 2 500 écoles publiques. L’initiative calcule sa subvention en fonction des effectifs, « avec un maximum de 45 élèves par classe ».

Le programme limite les écoles aux 6 classes de la fondamentale. Les écoles publiques reçoivent un montant de 4 USD (250 gourdes) et celles non publiques 69 USD (4 500 gourdes) par élève. « Cette différence s’explique par le fait que la subvention du PSUGO couvre également les salaires des enseignants non fonctionnaires. », lit-on dans un document publié par l’UNESCO en 2016.

Un véritable fiasco 

PSUGO s’est progressivement révélé comme l’un des plus grands fiascos de l’ère Martelly. Aucun rapport n’a été soumis jusqu’à date sur le nombre d’enfants ayant bénéficié de ce programme.

Comme le relève Charles Tardieu, beaucoup des listes soumises par les responsables d’écoles PSUGO sont falsifiées : le nombre d’enfants inscrits sur ces listes est de loin supérieur à celui des écoliers qui fréquentent véritablement les salles de classe ; mais les responsables reçoivent quand même leurs subventions calculées sur le nombre porté sur ces listes gonflées.

Lire aussi: Comment les millions du Fonds pour l’éducation ont été dépensés? Personne ne le sait.

« Le bureau du PSUGO ne nous a jamais fourni le montant correspondant au nombre d’élèves subventionnés au niveau de l’école, poursuit un document de l’UNESCO qui reprend les propos d’un directeur. Pourtant, ce programme donne des montants exorbitants à des directeurs d’écoles fictives, qui n’existent nulle part dans le pays. »

Le FNE en question

Un rapport de la Banque centrale a révélé que plus de 120 millions de dollars ont été collectés du 28 juillet 2011 au 18 septembre 2018. Ces chiffres concernent uniquement les frais sur les transferts sans compter ceux des appels téléphoniques.

Jusqu’a aujourd’hui, personne ne sait ce que le système éducatif haïtien a bénéficié des montants méthodiquement collectés par le FNE. Aucune firme internationale ou institution locale n’a non plus audité les fonds.

« Le mieux serait d’exploiter les maigres ressources que nous possédons et les investir dans le système éducatif. Mais nous les gaspillons malheureusement », analyse Stevens Simplus. Selon lui, les gouvernements successifs échoueront dans la mise en œuvre du plan national de l’éducation tant qu’ils n’en feront pas une affaire de politique publique.     

Journaliste et communicateur

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