Pour reconstruire notre nation, nous avons besoin d’une approche pragmatique qui reconnaisse les limites imposées par une société civile et une classe politique divisées
Tôt le 7 février, les informations du matin rapportaient que des membres de la milice armée, la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP), traversaient les rues désertes de Pétion-Ville, et que les policiers avaient abandonné leur poste.
Cela a alimenté l’espoir que la révolution tant espérée proposée par Guy Philippe – récemment libéré des prisons américaines pour blanchiment d’argent et trafic de drogue – se déroulait réellement. Cependant, à la tombée de la nuit, les nouvelles avaient radicalement changé. Il a été signalé que cinq membres de la BSAP étaient morts et trois avaient été arrêtés. M. Phillipe était introuvable et les protestations naissantes ont été rapidement réprimées.
L’espoir d’une révolution de la population est le résultat du leadership épouvantable du Premier ministre Henry, marqué par le cynisme et un mépris flagrant pour les souffrances du peuple. Dans son désespoir, le peuple s’accrochait à toute lueur d’espoir, même de la part de personnalités comme Philippe et le BSAP – tous deux symboles du statu quo auquel ils s’opposent. Cela soulève des questions cruciales sur l’orientation de l’opposition et sa capacité à instaurer un nouveau système.
L’espoir d’une révolution de la population est le résultat du leadership épouvantable du Premier ministre Henry, marqué par le cynisme et un mépris flagrant pour les souffrances du peuple.
La journée était particulière car la Police Nationale d’Haïti (PNH) a démontré sa capacité opérationnelle. La police, souvent inefficace, a réagi rapidement et fermement aux manifestants et au BSAP. Cependant, le caractère sélectif de ce déploiement suscite des inquiétudes quant à l’impartialité de la police et à ses risques d’abus de pouvoir.
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Faire face aux réalités : repenser les stratégies pour l’avenir d’Haïti
La fin rapide de la « révolution » du 7 février et son manque de leadership clair ont souligné les faiblesses de la société civile haïtienne, en particulier parmi ceux qui s’opposent à la mission multinationale de soutien à la sécurité (MSS) dirigée par le Kenya.
Ce contexte fait que l’addresse à la nation du Premier ministre Henry en pleine nuit, faisant écho à l’opposition américaine à une autre transition, semble particulièrement dédaigneuse. Cependant, il est crucial d’accepter une réalité inconfortable : l’opposition actuelle n’a pas la capacité de destituer Henry. Bien que frustrant, cela devrait être un signal d’alarme pour que les militants réévaluent leurs stratégies.
En outre, compte tenu du climat politique actuel et du pouvoir limité des acteurs en place, les appels des organisations de la diaspora demandant aux États-Unis d’évincer le Premier ministre Henry (« stop the prop ») ou de ceux qui souhaitent s’engager dans la résistance armée semblent irréalistes. M. Henry doit et va quitter ses fonctions, mais il semble que les véritables prétendants à son remplacement restent cachés, attendant que le bon moment émerge.
Il est crucial d’accepter une réalité inconfortable : l’opposition actuelle n’a pas le pouvoir de destituer Henry. Bien que frustrant, cela devrait être un signal d’alarme pour que les militants réévaluent leurs stratégies.
Incertitude post-coup d’État : points de consensus
Après l’échec de la tentative de renversement du gouvernement du 7 février, des personnalités comme M. Philippe et l’ancien sénateur Jean-Charles ont refait surface avec des arguments familiers. Et tandis que les débats autour de leur implication et de la BSAP continuent de diviser la communauté, certains points d’accord potentiels pourraient exister :
- Le leadership du Premier ministre Henry est inacceptable : son inaction et son mépris pour le peuple haïtien sont largement reconnus.
- Les acteurs internationaux jouent un rôle important : L’influence des États-Unis, de la France, du Canada et de l’ONU dans la politique haïtienne est reconnue par tous.
- La Police nationale haïtienne joue un rôle central dans la sécurité d’Haïti : leur capacité à combattre les gangs est désormais reconnue, mais des inquiétudes quant à leur portée et leur intégrité persistent.
- Un véritable leadership est désespérément nécessaire : le public aspire à des dirigeants honnêtes et efficaces qui sont actuellement absents.
- Les réactions émotionnelles ne résolvent jamais grand-chose : reprocher aux États-Unis de fournir des armes, même quand des Haïtiens continuent d’être condamnés pour trafic d’armes, est improductif et n’offre aucune solution.
- L’opposition fragmentée a besoin de changement : la division et l’inefficacité de l’opposition actuelle reflètent le statu quo que nous cherchons à remplacer.
- Des solutions à long terme sont nécessaires : la révolution ne se produira pas du jour au lendemain et ne peut pas être une solution miracle.
La frustration et la confusion indéniables qui entourent la situation actuelle d’Haiti alimentent naturellement la colère et le désespoir, qui entravent notre capacité à élaborer des strategies constructive. Pour reconstruire notre nation, nous avons besoin d’une approche pragmatique qui reconnaisse les limites imposées par une société civile et une classe politique divisées. L’opposition actuelle, manquant d’unité et d’efficacité, ne peut renverser Henry. Avec de nombreuses factions en lice pour le pouvoir – EDE, En Avant, Lavalas, GREH, Pitit Dessalines, Montana, PHTK et bien d’autres – même si M. Henry démissionnait, des problèmes plus profonds resteraient sans réponse, ce qui rendrait la recherche d’une solution une tâche ardue.
L’opposition actuelle, manquant d’unité et d’efficacité, ne peut renverser Henry.
La communauté internationale comprend cette realité, même si ses solutions sont biaisées et souvent condescendantes. Néanmoins, les analystes et les acteurs politiques haïtiens doivent intégrer ces faits dans leurs évaluations et leurs plans d’action.
Au-delà de la colère : relever les défis d’Haïti avec pragmatisme
Les deux dernières années et demie sous la direction du Premier ministre Henry ont été désastreuses, laissant Haïti ébranlé comme s’il avait été frappé par un autre tremblement de terre dévastateur. Même s’il est compréhensible et même nécessaire d’exiger sa démission, cela ne suffit pas. Nous devons faire face aux profondes fissures au sein de la société haïtienne. Il est profondément préoccupant que des individus qui incitent à la violence, comme M. Philippe et l’ancien sénateur Jean-Charles qui ont incité ses partisans à « incendier le pays », soient même considérés comme des dirigeants potentiels.
Cela ne veut pas dire que nous sommes impuissants. Même si le scepticisme à l’égard de l’aide extérieure est compréhensible, ceci ne doit pas nous aveugler sur les opportunités potentielles. Nous devons évaluer toutes les options avec un esprit ouvert, non pas en position de faiblesse, mais en fonction d’une considération stratégique. De nombreux militants se sont montrés, au mieux, timides à propos du régime de sanctions et inébranlables contre la mission MSS. Il est peut-être temps de reconsidérer ces politiques, car le pouvoir ne réside pas uniquement dans l’acceptation ou le rejet de l’aide. Il s’agit d’évaluer de manière critique la meilleure façon d’exploiter n’importe quelle ressource au profit de notre nation.
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Les sanctions, par exemple, pourraient offrir des outils précieux pour neutraliser les acteurs déstabilisateurs en Haïti. En effet, nous devrions plaider en faveur de sanctions bien conçues et rapidement mises en œuvre, ciblant le cœur financier des gangs et leurs bienfaiteurs. S’attaquer à leurs finances en gelant leurs avoirs, en bloquant les transactions et en limitant les échanges commerciaux pourrait entraver considérablement leurs opérations. En outre, la menace de sanctions pourrait dissuader les individus et les entreprises de continuer à soutenir les gangs, affaiblissant ainsi davantage leurs capacités.
Il est profondément préoccupant que des individus qui incitent à la violence, comme M. Philippe et l’ancien sénateur Jean-Charles qui ont incité ses partisans à « incendier le pays », soient même considérés comme des dirigeants potentiels.
Isoler des personnalités clés telles que les chefs de gangs, leurs financiers et les blanchisseurs d’argent pourrait perturber davantage leurs réseaux et affaiblir leur influence.
Une autre politique est la mission MSS. Cette politique n’est pas une solution miracle et ne peut pas résoudre le problème des gangs. En effet, son efficacité et sa portée devraient être débattues. Cependant, l’ignorer est une erreur. Alors que des organisations comme l’Institut pour la Justice et la Démocratie en Haïti (IJDH) et le Bureau des Avocats Internationaux (BAI) contestent la mission devant les tribunaux kenyans – un droit et un rôle absolus pour les organisations civiles – les acteurs politiques pourraient vouloir envisager une approche parallèle, qui consiste plutôt à plaider pour une mission raffinée.
En effet, la réponse des acteurs haïtiens à des situations complexes est souvent entravée par un manque de préparation et d’adaptabilité. Les parties prenantes s’accrochent à des approches résolues, qui ne parviennent souvent pas à s’adapter aux circonstances changeantes. Lorsque ces stratégies s’effondrent inévitablement, une ruée vers des alternatives s’ensuit, perpétuant un cycle réactif qui donne la priorité à la réponse à la crise plutôt qu’à la préparation proactive. Pour ceux qui cherchent à destituer le Premier ministre Henry, le renforcement de la PNH devrait être une priorité absolue. La réponse de la PNH le 7 février démontre à la fois le potentiel et la complexité de cette situation.
Au lieu de s’opposer uniquement à la mission MSS, les organisations haïtiennes pourraient plaider en faveur d’une approche plus raffinée. Cela pourrait impliquer de se concentrer sur le renforcement des capacités de la PNH grâce à l’assistance technique fournie par le MSS. Plutôt que de se plaindre de ce que les Kenyans reçoivent pour diriger la mission, ils pourraient exiger qu’une partie des ressources du MSS soit réservée spécifiquement à la Police nationale haïtienne. En outre, les forces au sein de la mission MSS ne devraient pas être directement engagées dans des combats contre des gangs. Ce combat devrait être mené par les Haïtiens pour se libérer. Avec un cadre approprié, y compris la pleine participation des Haïtiens aux postes de prise de décision, le rôle de la mission pourrait être plus utile dans la prévention de la corruption et des représailles au sein de la PNH. Cela pourrait impliquer de surveiller les pratiques en matière de droits de l’homme, de fournir une expertise tactique et de contribuer aux enquêtes sur une collusion potentielle entre les agents de la PNH et des groupes criminels.
Isoler des personnalités clés telles que les chefs de gangs, leurs financiers et les blanchisseurs d’argent pourrait perturber davantage leurs réseaux et affaiblir leur influence.
En fin de compte, le succès de tout effort visant à destituer M. Henry dépend d’une PNH réformée et responsabilisée. Cela nécessite qu’ils bénéficient d’une meilleure formation et de meilleurs équipements, mais également d’une restructuration fondamentale pour garantir une conduite professionnelle et la confiance du public.
Relever les défis d’Haïti avec pragmatisme
La crise actuelle en Haïti alimente la frustration et le désespoir, obscurcissant la voie à suivre. Pourtant, sauver notre nation exige une approche pragmatique qui affronte de front les dures réalités. Nous devons en reconnaître les limites : une opposition divisée, une société civile fragmentée et un paysage politique complexe dans lequel même la destitution du Premier ministre Henry ne garantirait pas de progrès. De nombreuses factions se disputant le pouvoir ajoutent encore à la complexité.
S’il est compréhensible de rejeter la faute sur des acteurs extérieurs comme les États-Unis ou d’attribuer uniquement les problèmes à l’exploitation, cela nous enferme dans la colère et entrave le progrès. Nous devons poursuivre activement des stratégies pragmatiques qui tiennent compte de la complexité de notre situation et explorer toutes les options disponibles.
Il est important d’avoir un scepticisme sain à l’égard des solutions extérieures, mais nous devons également être ouverts aux possibilités. Les sanctions pourraient cibler les acteurs déstabilisateurs, tandis que la mission MSS, même si elle ne constitue pas une solution parfaite pour les gangs, pourrait responsabiliser la Police nationale haïtienne. Reconnaître ces possibilités, même s’il s’agit d’un défi, est crucial pour l’avenir d’Haïti.
Les événements du 7 février devraient servir de sonnette d’alarme. Nous devons dépasser la colère et le désespoir. Nous avons besoin d’unité, de collaboration stratégique, de pragmatisme et d’une volonté d’explorer toutes les voies, même celles qui semblent difficiles, pour apporter la paix et la sécurité en Haïti.
Par Johnny Celestin
Image de Couverture : Manifestant sur la route de Delmas le 1er mars 2024, protestant contre le Premier ministre Ariel Henry. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
L’image de couverture initiale de cet article a été remplacée. 14:13 12.3.2024
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