«Je pleure chaque jour quand je vois la façon dont je vis», se lamente l’une des victimes qui dort tout près de la résidence des morts
Fuyant l’offensive des gangs à Carrefour-Feuilles, des dizaines de victimes se réfugient au cimetière de Port-au-Prince pour s’abriter, constate AyiboPost.
L’assaut meurtrier lancé sur ce bidonville commence le 12 août 2023.
La violence engendre la fuite de plus de 16 000 personnes de Carrefour-Feuilles et de Savane Pistache, selon un rapport du 3 septembre 2023 de l’Organisation internationale de la migration (OIM).
La grande majorité des victimes vivent dans des conditions extrêmement précaires au sein d’une vingtaine de sites d’hébergement de la capitale.
Les moins fortunés trouvent abri parmi les morts au cimetière de Port-au-Prince.
Plusieurs tombes servent désormais de supports pour les couches, la vaisselle et quelques récipients des déplacés dont les journées s’égrènent dans le sombre silence du lieu.
Juchée sur un tombeau protégé du soleil de plomb par des arbres ce dimanche 3 septembre, une dame au teint noir s’est allongée accompagnée d’une fillette et d’une demoiselle.
Des gallons se trouvent perchés aux murs du caveau. Dans ce logis inhabituel trône la photo de la personne défunte qui occupe la tombe à proximité des sacs de vêtements par-ci, des boîtes par-là.
C’est dans cet environnement que Solange Orismé passe ces nuits depuis deux semaines, dit-elle à AyiboPost.
La dame habitait Carrefour-Feuille, précisément Savane Pistache, depuis deux ans. Fuyant l’acharnement des gangs elle déserte sa maison et tous ses biens.
Dans ce logis inhabituel trône la photo de la personne défunte qui occupe la tombe à proximité des sacs de vêtements par-ci, des boîtes par-là.
Au cimetière, cette quinquagénaire peine à combler ses besoins du quotidien. «C’est ici que nous dormons, déclare-t-elle. Quand on a de l’argent, on prépare à manger. Lorsqu’on n’en a pas, on reste ainsi.»
Vivre dans «la rue» affecte Orismé profondément. «Je ne vais pas bien du tout», déclare-t-elle.
À environ cent mètres de l’entrée du cimetière, un caveau souterrain recueille l’eau de pluie utilisée par ces personnes réfugiées pour la lessive. Des dizaines d’entre eux font le va-et-vient avec des vêtements, un saut pour puiser le précieux liquide. Aux environs, des tas d’immondices s’amoncellent parmi des mares d’eau stagnante et des tombes en décrépitude.
Medjine Larose, le dos nu, fait la lessive à côté d’autres femmes. Elle résidait à Morne Marie à Carrefour-Feuilles. « Je n’ai rien pu sauver, à part les vêtements que je portais », révèle Larose. L’ancienne propriétaire d’un « deux pièces » dans le bidonville survit désormais grâce à la bonne volonté d’autrui.
Larose dit passer ses nuits à la belle étoile, sur un pont jetant sur la ravine Bois-de-Chêne, à l’entrée du cimetière. Parfois, lui et les autres occupants de l’espace guettent «les gens qui viennent célébrer des messes en mémoire de leurs défunts parce qu’ils apportent du pain, du café et du savon et, quelquefois un peu d’argent».
À quelques mètres de Larose, Nadia Saint-Fleur frotte ses vêtements, la tête inclinée dans un récipient contenant de l’eau provenant du caveau. Avant d’habiter le cimetière de force, Saint-Fleur était commerçante et vivait à Carrefour-Feuille depuis une quinzaine d’années. Les bandits ont pillé puis incendié sa maison.
Aux abords du stade Sylvio Cator, tout près de la résidence des morts, l’ambiance ne diffère pas.
Sur le grillage du stade, des linges fragiles supportent un soleil cuisant. Les ustensiles de cuisine sont éparpillés çà et là alors que leurs propriétaires demeurent aux aguets, attentifs au moindre coup de feu par crainte de tomber victimes de balles perdues.
«On m’a contraint de quitter ma demeure, je vis dans une mauvaise situation ici», déclare Mackenson Lovens, un père de famille en provenance d’Alexandre à Carrefour-Feuilles, qui s’est établi avec sa famille dans les parages du stade depuis huit jours.
Sans emploi ni aide, l’homme raconte qu’il survit grâce à la générosité de quelques amis. De plus, il exprime des inquiétudes quant à la sécurité de sa famille, car des projectiles continuent de frôler les murs du stade.
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«La situation des personnes déplacées représente une atteinte à la dignité humaine, car les gens vivent dans l’indignité», analyse Me Gédéon Jean, directeur du Centre d’analyse et de recherche en droits de l’homme (CARDH).
Les personnes déplacées vivent dans des conditions précaires et ont des besoins urgents : nourriture, kits hygiéniques, couches, appui psychosocial, etc., selon un rapport du CARDH sorti le 21 août 2023.
«Il est vrai qu’il y a des initiatives venant du secteur humanitaire et de la part de leaders communautaires, mais ces interventions sont largement insuffisantes pour répondre au besoin des gens », précise Me Gédéon Jean du CARDH.
La situation des personnes déplacées représente une atteinte à la dignité humaine, car les gens vivent dans l’indignité.
Le CARDH plaide pour une meilleure coordination entre les acteurs humanitaires et les acteurs étatiques afin de définir le besoin des gens pour agir à court et à moyen terme. L’institution suggère également l’établissement d’un plan de relèvement économique et social d’urgence pour les déplacés internes.
Sylvie Bovil passe ses journées dans la cour du stade Sylvio-Cator. Elle habitait à Carrefour-Feuilles avant son déplacement en urgence dimanche dernier. Elle déclare avoir envoyé ses enfants à Carrefour chez quelques proches. «Je pleure chaque jour quand je vois la façon dont je vis», poursuit Bovil.
Au stade, les femmes ne disposent pas de cabine appropriée pour leurs besoins intimes. Tout le monde prend sa douche à la vue de tous sur la cour. Un peu plus loin, une cuisine de fortune fonctionne au gré de la générosité des passants.
Image de couverture : Vue de l’intérieur du cimetière de Port-au-Prince, montrant des personnes se rassemblant devant le petit commerce d’une marchande, le 5 septembre 2023. | © Jean Feguens Regala/AyiboPost
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