Les études de Chelson Ermoza au Petit Conservatoire ont alimenté sa passion de la scène. Pour le comédien-conteur, le théâtre peut aider à la formation de la citoyenneté en Haïti
Vers la fin de l’année 1999, Chelson Ermoza quitte Cité Soleil qui l’a vu grandir pour rejoindre sa mère Lamanante Gilot à la 5e avenue Bolosse, non loin de Martissant.
À cette époque, comme il fréquentait les églises de la zone, Ermoza s’est rendu un dimanche matin, à l’« Assemblée chrétienne par la foi de Martissant » sur l’invitation d’un ami. Le jeune homme y a rencontré des passionnés de l’art et de la culture. « Après cette première rencontre, j’ai été invité à faire partie du club littéraire ACCESS de l’église. Depuis, j’ai pris goût pour la scène. J’étais tout juste à mes débuts. Je n’avais aucune réflexion ni méthode. J’ignorais aussi le jargon du métier même si j’avais suivi quelques rares séances de formations ».
Au sein même de cette église, Ermoza co-fonde la troupe baptisée « Accès ». Et, voilà comment a débuté sa carrière dans le théâtre.
En 2000, Chelson Ermoza déménage de la 5e avenue Bolosse pour s’installer à Carrefour-feuille. Là, il fit la connaissance de Nélio Joseph, Johny Zéphirin, Patrick Joseph, Joël Normil et Erol Jean. Le jeune passionné de la scène se rappelle : « C’est ainsi que la structure “Foudizè Théâtre” allait voir le jour. Puis, on a contacté Billy Elucien qui était un peu plus avancé que nous du fait de ses expériences de comédien et de metteur en scène en herbe. »
L’appellation Foudizè vient du fait qu’on désignait ces jeunes comme étant des « diseurs fous ». Deux années après sa création, la troupe remporte la catégorie théâtre du prix Ticketmax Académie, le plus grand concours de talents de l’époque.
En ce temps-là, son ami Billy Elucien étudiait déjà au « Petit Conservatoire et des Arts de la Parole ». C’est une école de théâtre et de création artistique dirigée par le talentueux comédien haïtien Daniel Marcelin. Après ses études classiques, Chelson Ermoza a aussi intégré cette école fondée en 1998. « [Je voulais] me former, avoir les méthodes, les jargons et les techniques du métier », précise-t-il. C’était en 2004.
Théâtre et conte, une diversité importante
Au sein de Foudizè, Ermoza est à la fois comédien et conteur. Ses talents en font un artiste très demandé par les écoles et par d’autres institutions.
« J’aime autant jouer que raconter des histoires. Qu’il s’agisse du conte ou du théâtre, les deux me donnent la possibilité d’être sur scène pour pouvoir partager mes émotions et mes amours avec un public ». Pour ce qui est du conte, il devient le narrateur-conteur face au public. Alors qu’à travers le théâtre, il incarne des personnages.
Qu’il s’agisse du conte ou du théâtre, les deux me donnent la possibilité d’être sur scène pour pouvoir partager mes émotions et mes amours avec un public.
Le festival KONT ANBA TONÈL, initié par l’association « Foudizè Théâtre » en 2009, a redonné de la vigueur au conte dans le milieu culturel haïtien. « À cause de cela, je suis plus souvent sollicité pour des animations que pour le théâtre », avance-t-il, satisfait.
Le théâtre, un vecteur de message
Le théâtre est devenu une source de divertissement. Il permet d’inviter un public à regarder, écouter et partager un sujet ou une situation mise en scène. Ermoza rappelle que la scène a toujours été le lieu où avaient été posées les grandes questions qui bouleversaient la cité. « Les gens venaient au théâtre pour saisir l’insaisissable. »
Aucun peuple ne peut vivre sans le théâtre, dit-il. De même qu’aucun théâtre ne peut ignorer la réalité de son peuple et de son temps. Il reprend les mots du poète, peintre et dramaturge espagnol Federico Garcia Lorca, disant : « Un peuple qui n’aide pas, qui ne favorise pas son théâtre est moribond s’il n’est déjà mort. De même, le théâtre qui ne recueille pas la pulsation sociale, la pulsation historique, le drame de son peuple et la douleur authentique de son paysage, ce théâtre-là n’a pas le droit de s’appeler théâtre, mais salle de divertissement local. Tout juste bon pour cette horrible chose qui s’appelle ‘’tuer le temps’’. »
Ermoza croit que le théâtre permet de moduler la société à travers le développement de l’individu. Il peut transmettre des valeurs citoyennes. Avec la culture, l’individu devient plus facilement un citoyen.
Les pièces de théâtre renferment les valeurs culturelles. « Le théâtre est en mesure de former un esprit plus citoyen. Dans ce cas, une société sans théâtre est une société qui marche avec les yeux bandés, qui n’écoute rien et qui ne vit pas », déclare-t-il.
« Une société sans théâtre est une société qui marche avec les yeux bandés, qui n’écoute rien et qui ne vit pas ».
Chelson Ermoza fait savoir que de Sophocle à Molière et Shakespeare en passant par Berthol Brech, Jean Anouilh, Samuel Becket, Benard Marie Koltes, Augusto Boal, Félix Morisseau Leroy, Franck Fouché et Théodore Beaubrun le théâtre reste et demeure une activité qui s’inscrit profondément au cœur de l’acte humain. Ce qui explique, selon lui, que le théâtre est éminemment politique, il véhicule toujours quelque chose.
« Tous les hommes sont fous »
La 16e édition du festival Quatre Chemins se tient à Port-au-Prince depuis le 25 novembre avec la phrase phare « Tous les hommes sont fous » qui aborde la question de la santé mentale en Haïti. Elle se termine le 7 décembre 2019. Pour cette année, le Festival met en avant une grande figure du milieu théâtral haïtien : Michèle Lemoine, metteuse en scène, comédienne et réalisatrice. Elle est l’invitée spéciale du festival, qu’elle a elle-même organisé au sein de la Fondation Konesans ak Libète (FOKAL) durant plusieurs années.
Chelson Ermoza apprécie le carrefour d’échanges, de rencontres et de propositions que crée le Festival Quatre Chemins à travers les travaux des créateurs et créatrices du milieu. « Malgré les difficultés que nous connaissons tous et toutes, la programmation du festival arrive quand même à créer une sorte de challenge artistique qui suscite chez le public, l’intérêt d’aller au théâtre. J’apprécie le combat que mène ardemment la direction artistique du festival pour pouvoir tailler une place au théâtre parmi les autres métiers en Haïti. »
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Dans le cadre des activités organisées en amont du festival, Chelson Ermoza a joué « Kalibofobo », accompagné du comédien Rolando Étienne. C’est une pièce de théâtre en langue créole (écrite en 1988) en trois tableaux de Frankétienne. Elle interroge le comportement prédateur des politiciens qui ne voient dans la politique qu’une source d’enrichissement au détriment du plus grand nombre.
Les mercredi 4 et jeudi 5 décembre 2019, il met en scène « La petite ONU » au Centre D’art. C’est une courte pièce tirée d’un recueil de pièces de théâtre « Des mots pour la vie » de Jean-Michel Ribes.
Au Centre D’art, il participera aussi comme conteur à la journée d’animation et d’échanges avec les enfants le jeudi 5 décembre, sous le thème : « Tous les hommes sont fous, sauf les enfants ».
Selon lui, un événement comme le festival Quatre Chemins est un grand souffle, c’est comme prendre une pause du réel qui étouffe. Il relate : « On en a marre de la laideur du quotidien qui nous asphyxie tous et toutes. On veut voir, entendre, respirer autre chose. Puisque, je crois malgré tout, qu’il y a toujours dans le cœur de l’être humain un bienvenu pour accueillir la part du beau afin d’enlever son âme au soleil même s’il immerge dans le tréfonds de l’abîme du malheur. »
Chelson Ermoza vit de son métier malgré les difficultés
Le conteur et comédien Chelson Ermoza gagne sa vie dans des activités ayant souvent rapport à la scène. Il participe à de nombreuses activités en Haïti dont le Festival Quatre Chemins, le Festival interculturel de conte Kont Anba Tonèl, le festival En Lisant, Handicap et Culture, Goûter littéraire. Il reçoit aussi des invitations pour des festivals à l’étranger.
« Même quand je ne suis pas toujours sur scène, on me sollicite parfois pour animer des ateliers de conte et de théâtre pour lesquels on me paye. C’est pour vous dire que le théâtre ou le conte est toujours au rendez-vous », dit-il.
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Cependant, il reconnaît que « le théâtre n’amène pas au marché » pour répéter Daniel Marcelin au Petit Conservatoire. « Comment peut-il amener au marché dans un pays où les salles de spectacle sont quasiment inexistantes ? Comment un comédien peut-il gagner sa vie par le théâtre dans un pays où toute bêtise est considérée comme acte théâtral ? », questionne-t-il au nom des jeunes comédiens du pays.
Selon Ermoza, il suffit de voir les conditions dans lesquelles le Théâtre National est logé pour comprendre qu’on ne peut pas vivre uniquement du théâtre en Haïti. Cette institution qui devrait promouvoir le théâtre a pourtant donné la priorité à d’autres disciplines telles que la danse et le chant au détriment du théâtre.
Il conclut : « Si les comédiens du Théâtre national le pouvaient, ils se métamorphoseraient tous en danseurs parce que l’institution elle-même ne supporte pas le théâtre. Je me demande même si ces comédiens sont salariés (es) et dans quelles conditions ils/elles vivent ».
« La petite ONU », Chelson Ermoza, mercredi 4 et jeudi 5 décembre 2019 au Centre D’art. Admission : 150 gourdes.
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