CULTURE

Pourquoi faire du théâtre dans un pays-théâtre? Rolando Etienne explique…

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Rolando Étienne est fondateur de la troupe de théâtre Dram’art, metteur en scène et pédagogue au sein de la même compagnie. Lauréat de la bourse Caraïbes en Création – Cultures France pour l’année 2008, il est un passionné de la scène.

Dès son plus jeune âge, son père a pris l’habitude de l’emmener au Ciné Colisée qui se trouvait à Carrefour pour assister aux prestations de la troupe théâtrale Papa Pyè. « Ayant pris goût, je suis poussé vers Languichatte Debordus et sa bande. Après avoir vu la pièce « lavi nan nouyòk » en 1988, j’ai finalement décidé de m’intéresser au théâtre. Au-delà de mon intérêt pour les pièces que j’ai eu à découvrir antérieurement, la mise en scène de Thérèse en mille morceaux (1992) est celle qui m’a le plus convaincu, ainsi ai-je commencé à nourrir ma passion de la scène. Par ce spectacle, j’ai dit oui au théâtre », raconte Rolando Etienne qui a suivi, plus tard, des ateliers de formation d’acteurs à l’Institut français d’Haïti.

Il a intégré la Compagnie haïtienne d’Art dramatique. Deux personnalités ont retenu son attention dans l’exercice de ce métier et l’ont poussé à se lancer dans cette aventure : « Damis Jean Kelly par la qualité de la formation qu’il dispensait et aussi par la passion mise dans la pratique de cette discipline. Puis, Hervé Denis, par le respect qu’il incarnait dans le milieu et la qualité de ses mises en scène », fait savoir Rolando Etienne qui a joué en 2018 en compagnie du comédien Junior Pierre dit Léon, « Kavalye Polka », une mise en scène de Jacques Adler Jean Pierre racontant l’histoire de deux clochards célestes (Loreyal et Fatal). Frappé d’un handicap dans son plus jeune âge, Loreyal devient l’esclave d’une chaise roulante et sa mobilité dépend de la force physique de son ami Fatal. Misère commune, ils sont liés par l’amitié, l’entraide et la solidarité. Mais leur relation est entassée de drôlerie et de dérision.

Théâtre, un vecteur de message

Il considère le théâtre avant tout comme un spectacle vivant qui divertit, qui plaît. Les personnages expriment leurs émotions, leurs passions et les font partager. « En ce sens qu’il faut aborder une pièce non pas en fonction de sa dramaturgie, mais de la manière dont il nous a été donné de la voir. C’est-à-dire, la représentation, le spectacle. Donc, il faut l’aborder, tel qu’elle est jouée, tel qu’elle se montre, tel qu’elle se voit, telle qu’elle se vit, telle que la reçoit le spectateur », explique le lauréat de la bourse Caraïbes en Création – Cultures France pour l’année 2008.

Parce que le théâtre est un spectacle vivant, selon lui, il est là pour nous faire vivre des émotions. Qu’importe que cela soit l’hilarité, la tristesse, la révolte, le désir, la colère ou l’amour : c’est à notre cœur autant qu’à notre cerveau qu’il vient parler.

Selon lui, la place du spectateur est au centre du théâtre. « C’est pour lui que tout a été mis en place, c’est lui que l’on cherche à séduire et c’est lui qui a le dernier mot », poursuit le fondateur de la compagnie de théâtre, Dram’Art, en 2002.

En effet, il affirme que l’acteur qui joue et interprète un rôle doit se sentir concerné par le monde extérieur autant que par son propre métier. « Fort de ces considérations, il est évident que le théâtre peut être un support plus qu’efficace à faire passer des messages. », continue le metteur en scène qui avoue que la pièce qui l’a le plus marqué est « l’amiral » de Syto Cavé mis en scène et interprété par Hervé Denis. Un monologue qui a porté le théâtre haïtien à connaître des moments de gloire.

Un metteur en scène dans l’âme

Le travail du metteur en scène est au centre de la production théâtrale, mentionne-t-il. Il a la tâche délicate et ardue de réunir tous les éléments d’une production-le texte, les comédiens, le décor, les costumes, l’éclairage, le son et la musique-en un tout cohérent. « Pour y arriver, le metteur en scène doit : interpréter le texte, distribuer les rôles, collaborer avec les concepteurs et équipes de production et guider les comédiens dans leur travail tout au long des répétitions », explique Rolando Étienne.

Avec la troupe Dram’art, ayant pour mission de former les jeunes, de promouvoir le développement et la diffusion du théâtre à travers le pays et de contribuer à l’épanouissement des jeunes du quartier de Martissant/Fontamara, il a créé plus d’une dizaine de mises en scène. « À l’approche du 24 décembre 2002, se rappelle Rolando Étienne, j’ai été invité à animer un atelier de formation pour la troupe qui voulait monter un spectacle pour le réveillon de Noël » se rappelle-t-il, en ajoutant qu’après l’atelier, il a décidé de continuer la formation.

Parmi ses mises en scène, il y a le premier texte théâtral d’Évelyne Trouillot, Le Bleu de l’île, primé par ETC Caraïbes et reçoit le prix Beaumarchais de la Caraïbe ex aequo en 2005, qui a été joué à Port-au-Prince en septembre 2009 par la troupe Dram’Art dans le cadre du festival théâtral Quatre chemins. Cette pièce se base sur une tragédie survenue en juin 2000 lorsque des gardes dominicains tirent sur une camionnette transportant des Haïtiens voulant traverser la frontière haitiano-dominicaine ; plus d’une dizaine d’Haïtiens sont tués. « En bref, il raconte le vécu haïtien à travers l’exil et la migration clandestine », dit Rolando Étienne.

En 2012, pour la commémoration de 10 ans d’existence de la troupe Dram’art, il a monté un spectacle de chansons, de danses et de poésie, à partir des textes d’auteurs haïtiens et étrangers, sous le nom « transes en paroles ». Un spectacle qui propose un voyage rêvé dans l’univers poétique et musical francophone qui fait revivre l’aventure de la poésie surréaliste, symboliste, moderne et contemporaine.

Attirance : Théâtre classique et théâtre contemporain

Pour ce qui le préoccupe, le théâtre est indivisible dans sa manière d’être représentée, un texte classique peut être joué dans une mise en scène moderne et contemporaine. « Pour moi, contemporanéité et modernité ne sont pas forcément synonymes », précise-t-il.

Pour lui, les nouveaux espaces de reproduction, les théâtres, ne sont plus les mêmes à chaque spectacle. Parfois, les auteurs et metteurs en scène cherchent à innover, en trouvant des zones propices à leur œuvre. « Je prends exemple la mise en scène de L’amiral que j’ai interprété à l’institut français en Haïti en décembre 2018. Cette pièce se joue dans un espace préfabriqué avec des projections de photos et vidéos sur le Port-au-Prince d’antan », souligne l’artiste.

Il affirme que la préfabrication de l’espace dans cette pièce permet au spectateur en même temps de savourer le texte, mais aussi de voyager à travers les images de la ville, afin de mieux appréhender et la dramaturgie et la mise en scène.

« Alors que dans le théâtre classique aucune mise en scène de cette nature n’a été conçue. Le créateur n’avait qu’à se confiner dans le conventionnalisme, le réalisme Béa, où l’unique lieu était le seul le décor qui permettait l’illusion d’un palais, d’une maison et le ainsi le spectateur n’était pas totalement transporté vers un autre espace », poursuit-il, en soufflant qu’on peut considérer le théâtre moderne comme un espace plus réaliste permettant au public de mieux cerner la qualité artistique et les efforts de création des acteurs et metteurs en scène. « Tout compte fait, le théâtre moderne offre de plus grandes possibilités, un plus grand intérêt pour la création que le théâtre dit classique » fait-il savoir.

Sacha Guitry a dit : « ne pas aller au théâtre, c’est faire sa toilette sans miroir ». Rolando précise en prenant appui sur cette citation, « je peux dire, imaginer un monde sans théâtre c’est aussi imaginer un monde sans école et sans police. Le théâtre peut être considéré comme un miroir contemporain des individus et de la société . Le théâtre est donc un carrefour, un lieu et un art de la relation avec d’autres éléments », conclut-il.

Snayder Pierre Louis

Journaliste à Ayibopost. Je m'intéresse à la politique et à la culture.

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