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Accoucher en Haïti peut être mortel, encore plus lors des Peyi lòk

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Durant les jours de Peyi lòk, les hôpitaux fonctionnent au ralenti. Des femmes enceintes meurent, faute de soins

Juillet 2019, la femme de Josué Célestin est sur le point d’accoucher. Ils habitent à Carrefour, plus précisément dans le quartier d’Arcachon 32. « Ma femme a fini par accoucher sur trois jours. Nous avions parcouru trois hôpitaux, pour finalement trouver les soins qu’elle nécessitait », raconte Célestin.

Célestin et sa femme ont passé deux jours à l’Hôpital communautaire Dr Raoul Pierre-Louis, appartenant à l’état haïtien et qui dessert la population de leur quartier.

Avec des contractions douloureuses et sans aucune poussée, sa femme a souffert intensément. « Sur les conseils de l’unique infirmière et l’unique médecin de la maternité de l’hôpital, nous sommes partis, explique Célestin. Ils nous ont dit qu’il n’y avait pas d’anesthésiste dans tout l’établissement, et que ma femme peut avoir des complications pour accoucher. »

Après cela, Célestin et sa femme se sont rendus à l’Hôpital Maternité de Carrefour qui appartient aussi à l’état haïtien, mais les responsables ont refusé d’accepter la malade. Son cas était bien trop grave, ils ont jugé que lui faire une césarienne serait trop risqué, puisque le centre n’avait pas d’oxygène.

Le témoignage de Célestin est similaire à celui de Ralph Perceval, son voisin. Ce dernier s’était rendu à Mariani, plus précisément à Immaculée, pour transporter la femme d’un ami sur le point d’accoucher. Cela s’est passé durant le mois d’octobre 2019, lorsque les opérations de Peyi lòk avaient paralysé la majeure partie des routes du pays.

« Nous sommes passés à l’Hôpital Maternité de Carrefour, il n’y avait pas de médecins, nous nous sommes rendus à l’Hôpital communautaire Dr Raoul Pierre-Louis, les responsables ont refusé de l’accepter parce qu’ils n’ont pas assez de matériels pour procéder à une césarienne », expose Perceval.

Accoucher en Haïti en temps de Peyi Lòk

La nièce de la femme de Perceval, habite aussi à Carrefour. Elle a également accouché en octobre 2019. « Le vendredi 18 octobre, à 23 heures, j’ai eu des contractions, en plein Peyi lòk, raconte Rachel Beaucourt au bord des larmes. Ma mère et moi étions à l’Hôpital Dr Raoul Pierre-Louis, j’ai eu la chance qu’il ne se situe qu’à quelques dizaines de mètres de chez moi. Mais c’était comme si on n’était pas à l’hôpital et j’y ai passé trois jours avant de pouvoir être délivré. »

Durant les jours de Peyi lòk, il y avait une grande affluence dans les hôpitaux. Beaucourt, elle aussi s’était rendue à l’Hôpital Maternité de Carrefour, mais il n’y avait plus de place. La salle de maternité de l’Hôpital Dr Raoul Pierre-Louis aussi était remplie de femmes sur le point d’accoucher. Même les couloirs de l’établissement accueillaient les femmes qui accouchaient sur le ciment, décrit-elle.

Perceval, lorsqu’il était à l’Hôpital Maternité de Carrefour avec la malade, se rappelle avoir vu devant l’établissement une femme enceinte qui avait obtenu un transfert pour un autre hôpital. Elle saignait, portait elle-même son sérum et son cathéter, suppliant les gens de l’aider à se déplacer parce qu’il n’y avait pas de voiture, pas de motocyclette.

La femme de l’ami de Perceval n’avait que 4 grammes de sang. L’hôpital où elle a fait sa césarienne a dû leur donner un papier pour se rendre à Radiotélévision Caraïbes, demandant un laissez-passer sur les ondes, pour pouvoir franchir les barricades et récupérer du sang au Centre National de Transfusion Sanguine.

À cause des complications après son accouchement, la famille a décidé de l’emmener à un hôpital sis à Fond des blancs. Mais s’y rendre était tellement difficile qu’elle est morte en cours de route. La victime n’avait pas encore quarante ans, informe Perceval.

De son côté, la mère de Beaucourt affirme qu’après leurs sorties de l’hôpital, elle a appris que trois des femmes qui étaient avec sa fille dans la maternité sont mortes. Parmi elles, une mère et ainsi que son bébé.

L’État a l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé…

Célestin et sa femme, Perceval, son ami avec sa femme enceinte ont tous été obligés de se rendre au Centre hospitalier de Diquini, un hôpital privé, pour pouvoir recevoir des soins.

« Quand j’ai fait le calcul des factures d’hôpitaux, au Centre hospitalier de Diquini, le montant a dépassé largement les 100 000 gourdes, raconte Célestin. Si je n’avais pas cet argent disponible, je serais devenu fou dans tout Port-au-Prince, parce que je ne sais pas quelle porte frapper. »

Et quant à Perceval, son ami n’avait pas pu payer les frais d’hôpitaux lui-même. « C’est un restaurant à Pétion-ville, La Réserve, qui a répondu pour lui, afin de payer la césarienne, confie-t-il. Ensuite, la malade s’est rapidement aggravée après l’opération, c’est grâce au concours d’amis ou de prêts contractés qu’il a pu tenir. »

Pourtant, l’article 19 de la constitution de 1987 dit que : « L’État a l’impérieuse obligation de garantir le droit à la vie, à la santé, au respect de la personne humaine, à tous les citoyens sans distinction, conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme. »

Des chiffres effrayants

Les précédents témoignages sont familiers en Haïti. En réalité, selon le Ministère de la Santé publique et de la Population (MSPP), avec le rapport de l’EPSS-II en 2018, il n’y a que 3 354 médecins disponibles pour 11 411 527 habitants selon les évaluations de l’Institut haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI).

Pourtant, l’EPSS-II explique que le pays compte environ 3 059 857 femmes en âge de procréer, soit 26,8 % de la population totale.

Et quant aux institutions de santé, il n’y a que 1 033, parmi elles 350 sont publiques avec quelques centaines qui sont mixtes (public privé). Toujours dans les 1 033 institutions de santé, les enquêteurs de l’EPSS-II ont visité 1 007 d’entre eux et ce n’est que 77 qui ont la capacité de faire une césarienne.

Globalement, la situation des femmes enceintes, en Haïti, n’est pas des meilleurs. D’après les données du MSPP, en 2015, la mortalité maternelle était estimée à 157 pour 100 000 naissances vivantes et celui de la mortalité infantile de 58 pour 1 000 naissances vivantes.

Plus récemment, les résultats d’EMUS VI 2016-2017, parlent de 529 décès pour 100 000 naissances vivantes pour la mortalité maternelle et celui de la mortalité infantile, à 59 pour 1 000 naissances vivantes.

Entre 2015 et 2017, il y aurait une augmentation de 372 femmes enceintes mortes en donnant la vie et aucune amélioration chez les enfants morts bien avant leur premier anniversaire. Et le pourcentage de femmes ayant accouché dans un établissement de santé est de 39 % (EMMUS VI).

L’impuissance des professionnels de la santé face à la réalité

« Ma plus grande déception, c’est lorsqu’un médecin, dans un hôpital, vous encourage à quitter l’établissement parce qu’il n’y a pas d’anesthésiste », déclare Célestin avec peine. Mais la situation des médecins n’est pas enviable non plus, eux aussi ont leurs turpitudes et aujourd’hui être médecin devient un métier dangereux. Les ambulances sont rançonnées ou attaquées et que vous soyez médecins ou infirmiers ne fait aucune différence devant les barricades lors des Peyi lòk, explique Dr Cephora Anglade Musset.

« L’une de mes plus grandes difficultés durant les jours de Peyi lòk, c’était de trouver accès pour me rendre à l’hôpital et j’ai passé une semaine sans pouvoir me déplacer », avance cette obstétricienne et gynécologue, travaillant dans des hôpitaux publics et privés du Centre-ville.

Cependant, les routes barricadées n’étaient pas leur seul obstacle. « Lorsqu’on parvient enfin à traverser les barricades pour arriver à l’hôpital, on est débordé de partout, continue-t-elle d’expliquer. Parce qu’il n’y a pas assez de personnel, eux aussi sont bloqués chez eux. Pas assez de matériels, parce que les hôpitaux ne peuvent pas se réapprovisionner. »

Une crise humanitaire

Dr Anglade n’est pas la seule à dénoncer cette situation proche d’une crise humanitaire. Le Dr Valdimir Larsen, gynécologue et obstétricien, qui évolue dans le privé, lui aussi confirme qu’il n’a pas pu se rendre à sa clinique de la ruelle Berne, à Port-au-Prince. Et qu’il a dû « prescrire des médicaments d’ordre palliatif pour soulager » ses patients habitants en dehors de la capitale, comme Cabaret, Cayes, ou Jérémie,

« Durant les Peyi lòk, même si je donne une feuille de route à la patiente, aucun de nous deux ne peut atteindre le point de rendez-vous, rapporte-t-il. Je suis obligé de lui dire d’aller dans un autre hôpital. »

Dans cette situation, ce sont les femmes enceintes qui sont le plus touchées. Le Dr Anglade et le Dr Larsen nous ont appris que des confrères évoluant dans le privé ou le public leur ont confié que chez les femmes enceintes, les cas de complications et les décès de la mère et/ou de l’enfant ont augmenté durant les jours de Peyi lòk, par manque de soin reçu à temps.

Pour cela, le Dr Larsen invite la population, lors des manifestations et toutes autres formes de revendications populaires, à « laisser un couloir humanitaire permettant aux personnels de santé avec leurs véhicules de passer ». Parce que selon lui, « il y a bien plus de victimes que les blessées par balles, il y en a qui meurent chez eux, sur des lits d’hôpitaux, dans l’anonymat ».

Et le Dr Anglade attire l’attention sur le fait que la patiente ne va pas s’aventurer dans la rue si elle sait que c’est dangereux pour elle. « La malade, même si elle se rend compte des signes avant-coureurs, va attendre un peu, et à ce moment, il peut avoir des complications qui auraient pu être évitées ».

*Josué Célestin, Ralph Perceval, et Rachel Beaucourt sont des noms d’emprunt utilisés pour protéger la vie privée des personnes interviewées.

Hervia Dorsinville

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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