Les averses se font de plus en plus rares au niveau du département de l’Artibonite. Des planteurs de la région confirment une sécheresse anormale. Ils disent craindre le pire pour l’avenir du riz national.
Le septuagénaire maudit l’irrégularité des pluies. « Il fait de plus en plus chaud à la quatrième section de Savane à Roche », se plaint Dieuseul Siméon, originaire du département de l’Artibonite.
« En pleine saison de pluie, deux à trois semaines peuvent s’écouler sans qu’il ne pleuve une seule goutte », révèle Siméon.
Les canaux vides et les terres qui s’assèchent se multiplient dans tout le département. Quant aux semences, « lorsqu’elles ne sont pas brûlées par le soleil, elles ne donnent pas de bonnes récoltes », continue le père de dix enfants.
Grand planteur de riz, propriétaire de dix carreaux de terre, Hector Pierre-Louis parle de « sécheresse ». La National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) confirme ses dires. Dans ses prévisions climatiques pour la période allant du 23 au 29 septembre 2021, l’institution scientifique du gouvernement américain fait état d’une sécheresse anormale observée au niveau du département de l’Artibonite. Et en cas de non-application de mesures efficaces pour contrecarrer ce phénomène, toutes les variétés de riz local risquent la disparition dans cette zone, selon des experts.
Situation inquiétante
De Jean Denis jusqu’à la quatrième commune de Marchand, les terres ne sont nullement travaillées à cause du manque d’eau. « Dans le temps, se souvient Hector Pierre-Louis, on pouvait compter à la fois sur la pluie et sur les canaux que l’Organisme pour le développement de la Vallée de l’Artibonite savait récurer ».
Mais cette époque est révolue, depuis trois ans.
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« Cette année est la pire de toutes », rapporte la cultivatrice, Marie Anna Télémaque. Supposée tomber entre avril et mai, la pluie que Télémaque attendait pour semer son riz, est remarquée au mois de juillet. « Non seulement, la semence a eu lieu en retard, la pluie n’est pas tombée comme prévu. Seuls les terrains qui conservent l’eau assez longtemps ont pu donner des récoltes satisfaisantes. »
De son côté, Hector Pierre-Louis délaisse avec regret plusieurs de ses dix carreaux situés à Segui, deuxième section communale de Petite-rivière de l’Artibonite. Le prêtre vodouisant dit ne pas pouvoir se permettre de planter du riz sur les parcelles délaissées à cause du manque d’eau. Il prévoit cependant d’y planter du pois en décembre prochain.
Le dérèglement climatique occasionne notamment des sécheresses et des phénomènes météorologiques extrêmes.
La donne n’est pas tant différente au niveau de Savane à Roche. Dieuseul Siméon, qui plantait principalement du maïs sur ses terres, pense prendre une nouvelle orientation en matière de plantation. « Tout comme moi, révèle le vieillard, certains habitants ont laissé pousser des bayahondes et d’autres espèces d’arbres sur leurs terres pour en faire du charbon. Mais ce n’est pas très économique. Quatre années de pousse d’arbre ne suffisent même pas à prendre soin de sa famille pendant un an ».
Tous les cultivateurs de la localité continuent à essayer de nouvelles tactiques, mais la pénurie d’eau continue de leur compliquer la tâche.
Changements climatiques en Haïti
Le dérèglement climatique causé par le déversement par l’homme d’énormes quantités de gaz à effet de serre dans l’atmosphère vient en tête de liste des hypothèses privilégiées pour expliquer la sécheresse qui sévit à l’Artibonite. Entre 1999 et 2018, Haïti se positionne en troisième position dans la liste des dix pays les plus touchés par les évènements météorologiques extrêmes, selon l’ONG allemande « Germanwatch », une référence mondiale en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
Le dérèglement climatique occasionne notamment des sécheresses et des phénomènes météorologiques extrêmes.
Il reste difficile d’établir un lien direct entre les changements climatiques et la sécheresse observée à l’Artibonite, cependant. « À moins de s’appuyer sur des données statistiques s’étendant sur une longue période, on ne peut affirmer qu’une sécheresse en soit directement le résultat », avance Odré Valbrun, spécialiste en atténuation et changement climatique.
Cependant, les récentes prévisions climatiques du NOAA, suffisent à faire tirer la sonnette d’alarme, continue Odré Valbrun.
Les conséquences sociales sont dramatiques. « Le problème de la sécheresse est l’insécurité alimentaire », soutient l’urbaniste, Rose-May Guignard.
Selon les dernières prédictions du Food Security Cluster (FSC), des 15 % de la population estimée en phase 4 de l’Indice des prix à la consommation (IPC), l’Artibonite se trouve en tête de liste.
Sécheresse, insuffisance alimentaire et changement climatique d’une manière générale, tous sont donc liés.
Altération de la production
L’autre risque concerne la disparition des variétés de riz local. « TCS, La Crête, Sheila, Ti malice… » Hector Pierre-Louis prend plaisir à citer les différents types de riz qu’il cultive, lesquels font également l’honneur de l’Artibonite. Ceux-ci sont aussi « très exigeants en termes de préparation, note-t-il. Il leur faut à intervalle précis des d’engrais ainsi que beaucoup d’eau qui sont leurs nourritures de base. »
Lorsque ces conditions sont réunies, la récolte ne peut qu’être excellente. Le cultivateur de riz depuis 1982 se souvient de l’époque où il pouvait récolter entre 65 et 70 barriques de riz sur un carreau de terre. Aujourd’hui, la sécheresse grandissante en étant la principale responsable, il dit peiner à atteindre une vingtaine de barriques. « Et encore faut-il veiller à ce que ce carreau de terre soit bien travaillé pour y parvenir ».
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Marie Anna Télémaque le confirme. Il y a longtemps qu’elle n’a pas compté jusqu’à trente, les barriques de riz récoltés par carreau. S’ajoute à cela la qualité qui n’est plus la même, selon les deux cultivateurs. « Nous n’avons plus le même type de riz », révèlent-ils. Un fait qui commence à inquiéter sérieusement.
Le grand planteur Pierre-Louis confirme ce phénomène. Selon le professionnel, seul le TCS garde encore un peu de sa nature première. Les autres, à l’exemple du riz La crête n’est plus ce qu’il a été.
« On peut toujours planter et récolter un riz mangeable sans engrais, mais pas sans eau », ajoute l’homme de Segui.
L’agronome Odré Valbrun souligne qu’effectivement le riz se développe dans des conditions d’abondance d’eau. « En cas de sécheresse prolongée pouvant conduire à la désertification de la surface de plantation, cela peut affecter non seulement la récolte, mais aussi aboutir à la disparition de la variété ». En d’autres termes, si le problème persiste sur le long terme, les différents types de riz de l’Artibonite risquent de disparaître.
L’agriculture, une vie
Les plantations de riz constituent une source de revenu pour des milliers de cultivateurs principalement dans le nord du pays.
En s’adonnant à l’agriculture, Hector Pierre-Louis n’a pas fait que se nourrir, il a aussi réalisé ses rêves. Le récit de la construction de sa première maison à Port-au-Prince est d’ailleurs devenu un de ses préférés.
« Lorsque l’ingénieur m’a remis le plan de ma maison, raconte Pierre-Louis, il m’a dit que cela allait me coûter 300 000 gourdes. Rien qu’avec mon activité de planteur et de vendeur de riz, j’ai réussi à la construire, ma maison. ». Mais ce qui fait surtout sa fierté dans l’histoire, c’est que la marmite de riz se vendait moins d’une gourde en 1982. La rentabilité de l’agriculture n’est donc plus à prouver pour Pierre-Louis qui s’y adonne depuis bientôt quatre décennies.
Mais depuis le début de la sécheresse, la vente a baissé drastiquement. Ajoutée à cela, l’insécurité paralyse les activités. « Craignant pour leur vie, des clients des autres départements ne peuvent plus se déplacer pour venir acheter », souligne Marie Anna Télémaque.
De la nécessité d’une prise en charge
Dans la situation actuelle, des actions concrètes doivent venir soulager les cultivateurs. L’eau étant le problème premier, « il faut trouver des techniques appropriées pour en alimenter les zones concernées, prévient Odré Valbrun. Il faut ensuite penser à, non seulement faire des plantules, mais aussi adopter des stratégies de conservation des semences et des gènes pour éviter la disparition des différentes espèces de plantes ».
L’agronome Odré Valbrun mène actuellement une étude sur comment le changement climatique peut affecter les zones de répartition de plusieurs espèces. Il laisse entendre que le riz est loin d’être la seule espèce en danger.
On peut toujours planter et récolter un riz mangeable sans engrais, mais pas sans eau
« En essayant de simuler les [prévisions de] changements [climatiques] dans le contexte d’Haïti, l’on comprend qu’il se peut que l’on se retrouve dans des situations où des zones qui autrefois produisaient du café ne soient plus aptes à en produire ». Cela, à cause d’une trop forte chaleur que généreront les dérèglements climatiques pour lesquels, avertit l’urbaniste Rose-May Guignard, « nous ne sommes pas prêts ».
Photo de couverture: socodevi.org
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