Le phénomène des enfants en domesticité cristallise l’attention et attise les passions en Haïti. Cependant peu de médias donnent la parole aux victimes ou aux anciennes victimes de ce fléau. Zaka, un ancien « restavèk », a accepté de partager son émouvante histoire avec nous.
Né à Lafond, une petite communauté de Jacmel, Claudel Chéry, surnommé « Zaka », est contraint de quitter sa famille dès l’âge de trois ans afin d’être placé en ville chez sa tante maternelle, qui promet de bien l’élever et de l’envoyer à l’école. Dès l’âge de cinq ans, contrairement à la promesse qu’elle a faite à sa mère, sa tante le transforme en enfant-travailleur.
« Je souffrais beaucoup du manque de ma vraie famille. Ils me faisaient dormir par terre et je devais me réveiller à l’aube pour travailler. Là-bas, je n’ai jamais eu des journées calmes. » déclare Zaka, en recoiffant ses dreadlocks vers une même direction. Malgré les longues heures de travail au cours desquelles il doit quotidiennement repasser le linge, cuisiner, faire la vaisselle et la lessive, nettoyer le plancher, ramener l’eau, Zaka arrive toujours à conserver de très bons résultats scolaires. Il fréquente la même école que ses cousins, qui le jalousent car il obtient systématiquement de meilleures notes qu’eux.
A onze ans, sa vie bascule du jour au lendemain. Sa tante maternelle décide de ne plus le garder sous son toit. « Ces problèmes m’ont affaibli. J’ai commencé à boire de l’alcool, à dormir dans la rue, à me comporter comme un vagabond » déclare péniblement Zaka, entre deux bégaiements.
Je consacre tout mon temps libre à ma seule passion : l’art !
En dépit du manque de ressources financières, il est tout de même accepté dans l’une des meilleures écoles de la ville grâce à ses bons résultats scolaires : le Centre Alcibiade Pommayrac (CAP). Il y restera plusieurs années sans verser aucun frais grâce à l’appui du Directeur. Passionné de poésie et de théâtre, il crée, de concert avec ses amis une troupe nommée « ZANTRAY ». Habituellement, ils se voyaient sur la place publique de Jacmel après les cours, soit pour les répétitions soit pour les séances de révisions scolaires. « La place publique c’était notre local privé ». Ils passaient toutes leurs journées ensemble, ils se voyaient à l’école les matins et sur la place les après-midi.
En 2004, Zantray joue un spectacle qui était grandiose grâce notamment à la collaboration de Samba Zao, un extraordinaire diseur et comédien de Port-au-Prince qui, rapidement est devenu fan de Zaka. Après ce spectacle, Zaka devient très connu pour ses talents de diseur. « À 15 ans j’étais devenu un vrai conteur d’histoires. Je récitais en pleine rue des textes de Verlaine ou d’Apollinaire, parfois pour le plaisir, parfois pour de l’argent. » affirme Zaka, qui aujourd’hui encore est capable de réciter des dizaines de poèmes, de mémoire. Zaka accompagne souvent ses nuits de solitude d’une bouteille de clairin ; il déclame souvent des vers à haute voix. Les habitants de Jacmel le considèrent alors généralement comme un fou car il ne se rasait pas, s’habillait différemment, dormait en pleine rue. Néanmoins, certains tombèrent sous le charme de ce vagabond solaire et torturé.
J’ai quand même eu la chance d’avoir mon baccalauréat.
Après un bref passage à l’Alliance française de Jacmel, Zaka est nommé assistant directeur du Fanal Authentique Centre d’Art de Jacmel (FOSAJ). A cause de ses troubles comportementaux, Zaka est renvoyé du CAP. A 20 ans, il intègre la Ciné Institut et réalise son premier court métrage « La vie drôle » qui est unanimement apprécié. 3 ans après que Zaka ait eu son baccalauréat, il décroche un boulot chez MUSKA GROUP, une compagnie audio-visuelle à Port-au-Prince, et rencontre une personne qui va changer sa vie, Annie Flo Mc Garrell, une américaine, transsexuelle, directrice du Centre d’art américain qui était en plein séjour en Haïti pour le boulot. Fascinée par son histoire, Flo le considère comme son protégé, et ils deviennent rapidement très proches. Certains disent qu’ils étaient amants.
Le 12 janvier 2010, alors qu’ils préparent une exposition à l’hôtel Peace of mind à Jacmel, Zaka prend quelques minutes de pause pour aller prendre des photos pour le vernissage et malheureusement, une nouvelle fois, sa vie bascule. Il est 16h53 quand le séisme dévastateur s’abat sur la ville. Flo se retrouve prisonnière des décombres de l’hôtel. Après plusieurs journées d’efforts incessants, Zaka abandonne ses recherches. Ce n’est qu’une semaine plus tard, que des pompiers colombiens retrouveront son corps. « Avec Flo, notre complicité était totale, nous nous admirions, nous nous épaulions et nous partagions les mêmes passions», affirme regrettablement Zaka.
« La vie est injuste ! » ne cesse alors de répéter Zaka. Suite à la mort de son amie, il tombe dans une profonde dépression. Il doit surveiller le corps de Flo, que les chiens errants veulent manger jusqu’à qu’il soit envoyé à Port-au-Prince. Comme Flo n’a pas de la famille en Haïti, Zaka était son ami le plus proche ; alors il prend l’engagement de ramener son cadavre aux Etats-Unis pour qu’on puisse chanter ses funérailles. « C’était ma meilleure amie, elle était tout pour moi. C’était la première fois que j’avais l’impression d’avoir une famille» affirme tristement Zaka. C’est ainsi que les parents de Flo, en signe de reconnaissance, décident de l’adopter et de l’héberger chez eux à Los Angeles. Il s’est vite adapté à sa nouvelle famille et a décidé de laisser toute cette misère derrière lui.
J’aurais pu continuer dans la débauche mais j’ai eu la force de surmonter ces obstacles.
Zaka est fier de son histoire, il ne la cache pas car tous ceux qui l’ont connu le considèrent comme « un survivant ». Il décide de pardonner à sa tante et à toutes les personnes qui lui ont fait du mal. Zaka est devenu un très bon cinéaste et vit actuellement à Los Angeles chez les parents de Flo. Il est en train de travailler sur un film titré « Kathy Goes To Haïti » retraçant la vie de Flo, morte pendant le séisme. Il travaille aussi sur une série télévisée avec le scénariste James Zeiss. Il effectue des tournées au sein d’universités pour partager son histoire et parler d’Haïti. « J’adore ma nouvelle vie, je suis entrain d’apprendre, ce que j’ai toujours fait. Je n’ai jamais arrêté de me battre ni de perdre espoir car j’ai toujours rêvé d’une vie meilleure.»
Caroline ZÉPHIR
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