Cette situation, aggravée par l’insécurité, représente un défi majeur pour le système de santé haïtien, déjà fragilisé par le manque de spécialistes dans plusieurs domaines clés, selon deux responsables de la Direction de la résidence hospitalière de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) contactés par AyiboPost
Privés d’accès à leurs hôpitaux d’affectation, des résidents en médecine se retrouvent aujourd’hui sans cadre structuré pour poursuivre leur apprentissage.
Cette situation, aggravée par l’insécurité, représente un défi majeur pour le système de santé haïtien, déjà fragilisé par le manque de spécialistes dans plusieurs domaines clés, selon deux responsables de la Direction de la résidence hospitalière de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH) contactés par AyiboPost.
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En Haïti, la résidence hospitalière publique, supervisée par le MSPP, est une étape clé de la formation médicale. Elle permet aux jeunes médecins de passer de la théorie à la pratique encadrée dans les hôpitaux. Indispensable pour se spécialiser — en chirurgie, gynécologie, orthopédie, etc. — elle dure en général trois à quatre ans.
Dr Samuel Faldor est en troisième année de résidence en médecine interne à l’Hôpital de l’université d’Etat d’Haïti (HUEH). Forcé d’interrompre sa formation en raison de la fermeture de l’hôpital en février 2024, le jeune médecin s’inquiète pour son avenir professionnel.
« Dans une situation où une formation censée être continue connaît de longues interruptions, faire une pause aussi longue dans les études finit par vous rendre moins dynamique », explique le médecin, contraint de compenser en dispensant des cours dans d’autres structures médicales.
Aux côtés de l’Hôpital Universitaire de Mirebalais (HUM) – à l’arrêt depuis avril 2025 — et de l’Hôpital Universitaire de la Paix, l’HUEH fait partie des grands centres hospitaliers universitaires du pays. Cet hôpital, fermé depuis février 2024 suite aux attaques des gangs armés, recevait une cinquantaine de médecins résidents chaque année, répartis dans douze services.
Dans une situation où une formation censée être continue connaît de longues interruptions, faire une pause aussi longue dans les études finit par vous rendre moins dynamique
–Dr Samuel Faldor
L’HUM, quant à lui, accueillait chaque année 125 professionnels en formation spécialisée.
D’autres structures médicales, habituellement impliquées dans la formation spécialisée des professionnels de santé, sont également affectées à cause des attaques des gangs armés à Port-au-Prince.
C’est le cas notamment de l’Hôpital Sanatorium de Port-au-Prince – situé à Carrefour-Feuille – principal centre de formation pour les médecins en pneumologie. L’Hôpital Mars & Klein, reconnu pour les formations en psychiatrie à la rue Monseigneur Guilloux et l’Hôpital Maternité Isaïe Jeanty, qui forme des spécialistes en gynécologie-obstétrique depuis La Saline sont également à l’arrêt.
Les tentatives des autorités pour rouvrir l’HUEH ont échoué.
La dernière en date, initiée en décembre 2024 par le ministre de l’époque, le Dr Duckenson Lorthe Bléma, s’est soldée par un carnage: une attaque directe des gangs contre les locaux de l’hôpital a fait trois morts et une dizaine de blessés.
« Nous avons pratiquement perdu une année sans rien faire, sous les yeux de dirigeants totalement irresponsables », déplore le Dr Ralph Louisius, résident à l’HUEH en deuxième année en oto-rhino-laryngologie (ORL).
Louisius dénonce la passivité des responsables face à cette situation.
Désabusé, le médecin confie avoir perdu toute motivation et envisage de partir à l’étranger pour d’autres projets. Pourtant, Louisius fait partie des trois rares candidats admis chaque année en résidence ORL.
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En principe, la sélection des admis en résidence hospitalière se fait sur concours. Ce sont les responsables du troisième cycle de la Faculté de Médecine et de Pharmacie qui assurent l’organisation de ces concours de résidence hospitalière publique, dans leur rôle de structure académique. Le processus concerne tous les hôpitaux universitaires du pays, et se déroule sous la tutelle du MSPP.
Un rapport publié par l’Organisation mondiale de la Santé en 2017 révèle que le pays ne compte en moyenne que 5,9 médecins ou infirmiers, et 6,5 professionnels de santé, pour 10 000 habitants — des chiffres bien en deçà des dix médecins pour 10 000 habitants recommandées par l’organisation mondiale.
Dans un article publié par AyiboPost en avril 2023, il était fait état d’un manque criant de spécialistes dans des domaines médicaux clés en Haïti, tels que la rhumatologie, la médecine nucléaire ou encore la transplantation.
Une situation qui préoccupe dans un contexte où les rares médecins formés à l’étranger dans des disciplines non enseignées dans les facultés de médecine locales — comme la chirurgie vasculaire ou la neurochirurgie — finissent par quitter massivement le pays, selon les témoignages de plusieurs sources informées de ces départs.
« Il y a urgence à agir », alerte le Dr Claudy Lacarte, médecin de service d’urologie à l’HUEH, dénonçant l’effondrement de la production de savoir médical en Haïti.
Selon lui, cette crise fragilise la formation, pilier du système de santé.
Depuis la fermeture du centre Mars & Kline en février 2024 — seul à offrir soins et formation en psychiatrie — Dhierry Pierre-Louis, résident en troisième année, a dû interrompre son cursus.
Il se maintient tant bien que mal dans la profession en travaillant comme généraliste dans une clinique privée.
Selon le Dr Faldor, l’absence de coordination provoque une désorganisation totale au sein des différentes promotions des médecins résidents à l’HUEH.
« Une partie des résidents, grâce à des démarches personnelles avec leurs chefs de service, ont pu être ré-affectés dans d’autres structures sanitaires », explique Faldor à AyiboPost.
Mais, poursuit-il, cela ne vaut pas pour tous les services.
Le Dr Marc Seloy, résident en troisième année d’ophtalmologie, se retrouve actuellement affecté à l’Institut Brenda Strafford, une structure privée située aux Cayes.
Cette solution temporaire comporte son lot de difficultés. D’après Seloy, les résidents ne perçoivent plus les allocations – comprises entre 20 000 et 23 000 gourdes – habituellement versées par l’État. Ils doivent eux même se débrouiller pour s’entretenir.
Dr. Hebnanthe Louis fait elle aussi partie des résidents contraints de quitter leur centre de formation pour poursuivre leur spécialisation ailleurs dans le pays.
Résidente en pneumologie à l’Hôpital Sanatorium de Port-au-Prince, situé à Carrefour-Feuilles, elle a dû être relocalisée dans d’autres structures depuis septembre 2023, à la suite des attaques armées de gangs dans la zone.
Mais Hebnanthe Louis se dit préoccupée face au manque de matériel adapté à sa formation dans ces structures.
« L’Hôpital Sanatorium de Port-au-Prince est le seul centre du pays spécialisé dans la prise en charge des maladies respiratoires. Il y a donc une série d’équipements spécifiques que l’on ne retrouve pas dans d’autres structures », explique-t-elle à AyiboPost.
Louis se souvient notamment de sa rotation à l’Hôpital Saint-Boniface à Fonds-des-Blancs, l’an dernier, où un ventilateur mécanique était hors service.
Une telle défaillance a entravé la prise en charge, cet appareil étant essentiel au traitement des patients en détresse respiratoire.
Hebnanthe Louis, qui faisait initialement partie d’une promotion de huit spécialistes en pneumologie, déclare à AyiboPost qu’ils ne sont plus que deux à poursuivre cette formation.
Dr. Hebnanthe Louis fait elle aussi partie des résidents contraints de quitter leur centre de formation pour poursuivre leur spécialisation ailleurs dans le pays.
Joint par AyiboPost, le Dr Rodolphe Malebranche, directeur de la résidence hospitalière à l’HUEH, émet des doutes quant à la reprise des formations à l’HUEH, suspendues depuis plus d’un an.
Pour le médecin, des problèmes structurels minent le système depuis des années.
« Depuis tantôt quatorze ans, la direction de la résidence hospitalière et de la recherche de l’HUEH fonctionne à zéro budget » précise Dr. Malebranche, expliquant la fragilité de cette direction, qui, normalement devrait être investi pleinement dans la question de recherche au bénéfice des résidents et de l’hôpital en général.
D’après le Dr. Malebranche, l’un des risques majeurs liés à cette situation est que « nous pourrions perdre l’accréditation internationale de la Faculté de médecine, ce qui priverait nos futurs médecins et résidents de toute possibilité de passer les examens devant leur permettre de poursuivre leur formation et éventuellement leur carrière professionnelle en terre étrangère, notamment en Amérique du Nord ».
L’accréditation constitue une exigence incontournable pour toute faculté de médecine qui souhaite voir ses diplômes reconnus à l’étranger. Dans le cas des États-Unis et du Canada, c’est l’Educational Commission for Foreign Medical Graduates (ECFMG) qui établit cette norme.
Sans une accréditation reconnue par l’ECFMG, les diplômés des facultés de médecine haïtiennes n’ont aucune chance d’intégrer les parcours de spécialisation ou les programmes professionnels en Amérique du Nord. Cette reconnaissance institutionnelle est une condition préalable pour pouvoir présenter les examens nécessaires à la poursuite d’études ou à la poursuite de leur carrière dans les systèmes médicaux nord-américains.
Une menace qui pesait déjà sur les facultés de médecine, puisque, en mars 2023, aucune faculté de médecine en Haïti ne figurait sur la liste publiée par l’ECFMG.
Le ministère de la santé publique et de la population est l’autorité de régulation en ce qui concerne la formation des médecins dans les différentes spécialités.
Nous pourrions perdre l’accréditation internationale de la Faculté de médecine, ce qui priverait nos futurs médecins et résidents de toute possibilité de passer les examens devant leur permettre de poursuivre leur formation et éventuellement leur carrière professionnelle en terre étrangère, notamment en Amérique du Nord
–Dr. Malebranche
Un document élaboré par la Direction de la résidence hospitalière et de la recherche publié en 2020 fait un état des lieux sur la nécessité d’une indispensable réforme dans la direction.
Le document souligne l’absence de leadership clair du MSPP.
Cette lacune, poursuit le texte, laisse place à un système fragmenté, parfois incohérent, dans lequel les modalités de recrutement, les programmes de formation et l’encadrement pédagogique varient fortement d’un établissement à l’autre.
À cela s’ajoute l’urgence de repenser l’autonomie administrative et financière des institutions hospitalo-universitaires.
AyiboPost a contacté le MSPP. Il n’a pas réagi avant la publication de cet article.
Par : Lucnise Duquereste
Couverture | Photo d’une jeune médecin assise dans un couloir d’hôpital, une main posée contre la tête. Photo : Freepik
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