Ces frais, pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers de gourdes, sont fixés par des agents de l’Office National d’Identification (ONI), selon une demi-douzaine d’interviews recueillies par AyiboPost
Des citoyens se voient exiger des frais «irréguliers» en vue de l’obtention ou la réimpression de leur Carte d’identification nationale unique à Port-au-Prince et dans certaines villes de Province.
Ces frais, pouvant aller jusqu’à plusieurs milliers de gourdes, sont fixés par des agents de l’Office National d’Identification (ONI), selon une demi-douzaine d’interviews recueillies par AyiboPost.
Cette pratique est contraire aux dispositions sur l’émission gratuite, jusque-là, de la carte d’identification nationale unique.
En novembre 2023, Exil Sondes a égaré sa carte dans les environs de la commune de Pétion-ville. L’homme de 26 ans, qui habite à Morne Hercule, quartier de Pétion-ville, s’était empressé d’acquérir une attestation de perte au commissariat de sa commune de résidence pour 250 gourdes.
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Après plus de trois mois d’attente et des démarches avortées auprès d’un démarcheur, Sondes raconte à AyiboPost qu’un agent de l’ONI affecté à un centre à Kenscoff lui a finalement permis d’obtenir la CINU en échange d’une contrepartie financière de 5000 gourdes, le 26 décembre 2024.
Pourtant, selon Sondes, trois jours plus tôt, ce dénouement rapide paraissait peu probable: «Dans ce même bureau de l’ONI à Kenscoff, lorsque je m’y suis rendu trois jours auparavant, le même agent avec lequel j’ai contracté par la suite m’avait signifié qu’une duplication de ma carte d’identité sur le système de l’ONI rendait impossible son tirage», explique-t-il à AyiboPost.
Bien avant que le prodigieux pouvoir de l’argent lui facilite la réimpression de sa carte, Sondes raconte à AyiboPost que ses jours ont été ballottés entre l’anxiété et l’incertitude.
Sondes raconte à AyiboPost qu’un agent de l’ONI affecté à un centre à Kenscoff lui a finalement permis d’obtenir la CINU en échange d’une contrepartie financière de 5000 gourdes, le 26 décembre 2024.
Les multiples attaques des gangs poussent des milliers de personnes à fuir leurs maisons.
Depuis avril 2024 au moins, des citoyens incapables de décliner leur identité sont victimes du mouvement bwa kale ou sont bastonnés à Port-au-Prince et dans d’autres endroits du pays.
« À cause du climat d’insécurité et des checkpoints d’identité effectués par les brigadiers, j’avais réduit mon périmètre de déplacement à ma commune de résidence », explique Sondes, qui ajoute avoir pris l’habitude de colporter lors de ses déplacements la fiche de ses épreuves officielles de 9ème année fondamentale, son acte original de naissance et la reprographie de la CINU de ses parents.
Ces papiers ont d’ailleurs évité à Sondes d’être victime du bwa kale en octobre 2024. Lors d’une fouille près de Thomassaint 48, des brigadiers s’apprêtaient à le soumettre au supplice du caoutchouc enflammé. Mais ils ont finalement renoncé en constatant que, parmi les documents qu’il portait sur lui, seule la CINU manquait.
D’autres citoyens, privés – pour différentes raisons – de leur carte d’identité, rapportent à AyiboPost des occurrences de facturation irrégulières pour leur émission ou réimpression, dans un contexte d’insécurité généralisée où les personnes qui en sont dépourvues sont parfois identifiés à des membres de gangs.
Apdon Desamours, originaire de la commune de Mombin-Crochu dans le Nord-Est du pays, habite à Ouanaminthe depuis environ une dizaine d’années.
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Ayant perdu sa carte d’identification en août 2021, – elle avait glissé de la poche arrière de son pantalon alors qu’il se trouvait sur une motocyclette -, Desamours s’est procuré un certificat de perte dans un commissariat de Ouanaminthe la même semaine. Il a ensuite multiplié, en vain, des rendez-vous et des appels au standard de l’ONI pendant plus de trois ans dans le but de la récupérer.
Émigré vers la République dominicaine où il vit depuis novembre 2023, Desamours raconte à AyiboPost avoir versé en vain 3500 gourdes à un préposé de l’ONI, très connu à Ouanaminthe, qui disait pouvoir l’aider à obtenir «plus rapidement», la carte.
« J’ai payé comptant cette somme. Mais, à chaque fois, l’officier alléguait que ma CINU n’était pas encore délivrée quand je lui en demandais des comptes par la suite», témoigne-t-il à AyiboPost.
L’absence de cette pièce essentielle a déjà eu des répercussions considérables pour Desamours.
Selon les dires de l’homme, en août 2021, la Compagnie de développement industriel (CODEVI) avait refusé de l’embaucher parce qu’il manquait la carte d’identité dans son dossier de candidature.
De plus, six mille gourdes sont aussi restées bloquées sur son compte d’épargne UNIBANK depuis 2021, faute de sa carte d’identification pour les récupérer.
Plusieurs agents de l’ONI dans un centre à Croix-des-Bouquets lui ont demandé de «négocier» avec eux pour la réimpression rapide de sa carte d’identité, emportée par des bandits lors d’une épisode de braquage survenue dans la même commune en 2022.
Le jeune homme explique avoir rejeté l’offre parce qu’il trouvait «insensé de payer pour un document que l’État fournissait gratuitement», témoigne-t-il.
En 2025, dans un centre de l’ONI à Tabarre, des démarcheurs qui disaient «avoir des relations avec des officiers de l’ONI» ont signifié à Jean pouvoir l’aider à obtenir la réimpression de sa carte d’identité, moyennant une compensation de 2500 gourdes.
Jean a une fois de plus refusé la proposition.
Jusqu’à aujourd’hui, il ne dispose pas de sa carte d’identification nationale unique.
Le jeune homme explique avoir rejeté l’offre parce qu’il trouvait «insensé de payer pour un document que l’État fournissait gratuitement»
Un décret adopté par l’ancien président Jovenel Moïse en conseil des ministres le 19 avril 2017 institue la CINU en remplacement de la Carte d’identification nationale (CIN).
Si le décret de 2005 consacrait dans son article 3 la gratuité de la première délivrance de la CIN, celui de 2017, actuellement en vigueur, mentionne la possibilité d’une contribution – si requise légalement – d’impression ou de renouvellement de la CINU, fixée dans ce cas par la loi budgétaire.
Mais, pour Reynaldo Camilus, directeur technique de l’ONI, «pour des raisons de facilitation de vote, la première impression ou le renouvellement de la carte d’identité nationale unique est actuellement gratuit».
«Les préposés de l’ONI, souligne Camilus, n’ont pas le droit de demander des frais pour la délivrance de la CINU».
De plus, poursuit-il, «l’office nationale d’identification nationale n’a pas de compte bancaire, et les perceptions de l’ONI devraient passer par la Direction générale des impôts (DGI). Donc, c’est une pratique qui engage possiblement des démarcheurs, et non l’institution».
Ces facturations irrégulières pénalisent souvent des personnes économiquement vulnérables.
Nombre de citoyens voient leurs dossiers traîner en longueur pendant plusieurs mois, voire des années entières dans le système de l’ONI.
En 2017, l’Etat haitien a signé un contrat de 27 millions de dollars avec la firme allemande DERMALOG pour doter la population de cartes d’identifications biométriques.
Un article d’AyiboPost publié en 2019, ainsi que plusieurs rapports d’enquête ont soulevé contre ce contrat des entorses à l’orthodoxie juridique et administrative haïtienne, sur fond de vastes suspicions de corruption.
Plusieurs années après la signature de ce contrat, des instances de plaintes sur la qualité des cartes DERMALOG alimentent les conversations de la population.
Plusieurs citoyens signalent à AyiboPost des cartes, à peine obtenues, mais complètement abîmées, ce qui soulève des questions sur la qualité des matériaux qui entrent dans leur composition.
Des échantillons délabrés de plusieurs cartes d’identification parvenues à AyiboPost dans le cadre de ce travail attestent du problème.
Très actif sur les réseaux sociaux, l’agronome Marc-Donald Vincent, a mobilisé, au début du mois de mai, plusieurs centaines de personnes à travers un challenge en ligne visant à alerter l’ONI sur la qualité médiocre des cartes d’identification nationale unique.

La photo de la carte d’identification nationale unique délabrée de Marc-Donald Vincent. Photo : Marc-Donald Vincent.
Contacté par AyiboPost, Vincent affirme avoir lancé cette initiative après avoir constaté que des institutions refusent des services à des membres de la population à cause de l’état de délabrement de leurs cartes, essentiellement faites de polycarbonate et dont la durée de vie a pourtant été estimée à dix ans.

La photo de la carte d’identification nationale unique délabrée de Marc-Donald Vincent. Photo : Marc-Donald Vincent.
Vincent dit avoir failli lui-même se faire refuser un retrait à la Banque Nationale de Crédit dans le courant du mois d’avril 2025 à cause de la dégradation de ce document d’identité.
Les difficultés de récupérer leur carte d’identification nationale unique poussent certaines personnes à se rabattre sur la contrefaçon.
Jean est l’une des personnes ayant recouru à cette alternative depuis 2023, après des efforts sans succès engagés pour la réimpression de sa carte auprès de l’ONI et de la plateforme de demande en ligne de document d’identité (DELIDOC).
«Je me suis fait une fausse carte d’identité, avec laquelle j’ai reçu quelquefois des transferts d’argent de l’étranger, fait des transactions via MonCash, entre autres», confie t-il à AyiboPost, soulignant une méticulosité chirurgicale dans la monture de cette fausse carte, faisant étrangement penser à l’original, même s’il y manque la puce électronique.
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«J’ai glissé mille gourdes à quelqu’un pour cette tâche», révèle Jean qui dit connaître d’autres personnes qui se rabattent aussi sur cette alternative, en dernier ressort.
«La contrefaçon de la CINU est impossible», tonne Reynaldo Camilus de l’ONI à AyiboPost. «Ces cartes sont extrêmement sophistiquées et dotées de puces électroniques que seul le gouvernement possède».
En août 2024, la Police nationale d’Haïti a interpellé deux ressortissants nigérians, Madukanze Kenneth et Henry Peter dans le Sud-Est du pays. Ils étaient en possession de fausses cartes d’identification nationale haïtienne.
Par : Junior Legrand
Couverture | Photo d’une femme tenant une carte d’identification en main. (Photo : Freepik)
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