Les brigades de quartier constituent un rempart contre l’avancée des gangs. De plus en plus, la plupart de ces groupes d’autodéfense se retrouvent sur le banc des accusés
Des brigadiers de Poste-Marchand ont sommairement exécuté, début janvier, un jeune homme sans lien connu avec les gangs. Selon son père, il était parti faire des courses dans un supermarché de Lalue ce jour-là.
Tué en cours de route, le jeune homme rejoint une liste grandissante de citoyens victimes : ils sont extorqués, bastonnés, blessés et parfois exécutés, non par les gangs, mais par des brigades d’autodéfense de quartier.
Ces groupes servent de remparts à la population de nombreux quartiers, démunie face aux groupes armés. Mais de plus en plus, la plupart d’entre eux s’en prennent à des citoyens sans défense qu’ils sont censés protéger, selon une dizaine de témoignages collectés par AyiboPost.
À Caradeux, la population a manifesté le mois dernier contre la brigade locale, accusée d’extorsion et de violences. « Ils retiennent nos pièces d’identité en cas de non-versement des fonds demandés, nous en avons marre », a déclaré une des protestataires.
La situation frise parfois le burlesque.
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Des brigadiers ont déposé un jeune homme au commissariat de Tabarre en janvier dernier. Ils l’accusaient d’être « un délinquant », l’ont roué de coups après l’avoir enlevé d’une station de Pétion-Ville.
Le jeune homme raconte une version différente des événements. Selon ses dires, il a été intercepté après avoir refusé de payer, tôt dans la journée, la « gratification en argent ou en rhum » demandée par les brigadiers — dont certains sont policiers.
Son refus aurait pu lui coûter la vie, n’était-ce l’intervention de ses amis dans la police auprès du commissariat pour sa libération. « Même si le pays arrive à se débarrasser des bandits de la coalition « Viv Ansanm », il y a de fortes chances que d’autres foyers de gangs s’érigent à partir de ces structures d’autodéfense », analyse l’homme à AyiboPost.
Dans plusieurs déclarations officielles, l’administration en place a appelé la population à l’autodéfense contre les bandits. La plupart des brigades comptent des policiers ou des officiers de l’armée.
Cependant, personne ne connaît la provenance des armes — parfois de gros calibres — exhibées par la plupart des brigadiers civils, retranchés dans des quartiers souvent enclavés de la capitale.
Le jeune homme raconte une version différente des événements. Selon ses dires, il a été intercepté après avoir refusé de payer, tôt dans la journée, la « gratification en argent ou en rhum » demandée par les brigadiers — dont certains sont policiers.
Plusieurs centaines de citoyens ne possèdent aucune pièce d’identité, à cause des incapacités de l’État. Mais ceux qui n’en ont pas sont sévèrement interrogés par les brigades. Les suspects de banditisme sont exécutés sur place, et leurs corps brûlés.
Au début du mois d’avril, Frantz Montclair, chef du parquet de Port-au-Prince, a réaffirmé la « légalité » des groupes d’autodéfense. Le mois précédent, un responsable au sein de la Brigade d’Opération et d’Intervention Départementale (BOID) avait soutenu à AyiboPost ne pas interférer dans les activités des brigades de la zone de Fort-National.
Mais de plus en plus, des brigadiers abandonnent l’objectif premier de protéger la population.
Des citoyens comme Phillipe Martial manquent de recours.
Samedi 15 mars, ce professeur d’école tentait d’entrer chez lui à Marlique lorsqu’il a été « violemment » battu par les brigadiers de Pacot lors d’une fouille brutale vers seize heures.
Gifles.
Coups violents sur la tête.
Le professeur s’est uriné dessus, « inconsciemment », dit-il.
Et des semaines après l’incident, il rapporte souffrir de fréquents vertiges et de migraines.
Les brigades de vigilance remontent au moins à la chute du duvaliérisme en 1986. Des habitants exaltés s’étaient réunis en groupes pour faire la chasse aux « macoutes », connus pour leurs exactions contre la population.
Les brigades d’aujourd’hui résultent d’un besoin instinctif de protection que l’État est incapable de satisfaire, analyse le sociologue Kesler Bien-Aimé.
Cette situation crée simultanément, poursuit le sociologue, « une sorte de contrôle social sur les citoyens obligés de vivre sous les prescrits de ces groupes d’autodéfense, une société de plus en plus clivée où le vivre-ensemble et la possibilité de cohabiter deviennent de plus en plus compliqués ».
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Une dizaine de brigadiers ont intercepté Kenson Jean à proximité de la rue Casséus au mois de mars dernier. Le photographe revenait d’une visite chez son frère à la ruelle Wilson à Pacot et hâtait le pas pour rentrer chez lui à Croix-Desprez.
Il était à quelques mètres de sa maison quand les membres de la brigade lui ont bloqué le passage et ordonné de rebrousser chemin pour rentrer plutôt via l’avenue N — un trajet beaucoup plus long.
Jean s’est plaint de la décision arbitraire.
En quelques minutes, la situation a dégénéré. Il verra sa tête « cassée », son t-shirt barbouillé de sang après plusieurs bourrades et coups de poing violents.
En réalité, les brigades imposent des heures d’entrée et de sortie dans la grande majorité des quartiers non encore tombés sous le contrôle des gangs à Port-au-Prince. Les visiteurs de nuit sont systématiquement fouillés.
« Les pressions des brigadiers sont très déstabilisantes et peuvent être fatales aux personnes innocentes, mais incapables de s’expliquer aisément ou inaptes à se défendre convenablement », analyse Junior Moïse — un habitant de Port-au-Prince.
Plusieurs centaines de citoyens ne possèdent aucune pièce d’identité, à cause des incapacités de l’État. Mais ceux qui n’en ont pas sont sévèrement interrogés par les brigades. Les suspects de banditisme sont exécutés sur place, et leurs corps brûlés.
Moïse s’est fait pointer une arme sur la tête pour la première fois de sa vie par des brigadiers lourdement armés lors d’une fouille au cours du mois de mars, vers quatre heures de l’après-midi, à côté de la compagnie de télécommunications Natcom, à Turgeau.
Cet incident survient après qu’il a abandonné pour Turgeau sa demeure à Carrefour-Feuilles en janvier 2025 à cause des attaques de gangs armés.
Une résidente, souhaitant garder l’anonymat, rapporte que dans la zone de Delmas 60, les riverains sont tenus de s’identifier à l’aide d’un formulaire recensant toutes leurs informations personnelles, notamment une photo et un numéro d’identification fiscale (NIF).

Un formulaire adressé aux nouveaux arrivants de la zone Turgeau pour y inscrire leurs informations personnelles avant de s’établir correctement dans le quartier.
« C’est une situation préoccupante, surtout lorsque l’on considère que de simples civils ont accès à ces données personnelles, alors qu’on ne les connaît pas forcément et qu’on ne peut pas totalement leur faire confiance quant à l’usage qu’ils en feront », s’inquiète la dame.
En décembre 2024, un jeune homme a quitté sa maison à Delmas 30 pour Fermathe parce qu’il ne voulait pas rejoindre la brigade de vigilance instaurée dans le quartier et porter conséquemment une arme. Il met son refus sur le compte de ses valeurs « pacifistes ».
Selon ce jeune homme, au courant de la situation, « des [anciens] policiers, entre autres, ont participé à l’organisation de plusieurs épisodes clandestins de distribution d’armes et de machettes à des habitants de la zone pour la défense du quartier au cours du mois de décembre ».
À Delmas 30, la coordination et l’organisation armée de la brigade sont assurées, entre autres, par Angelo Jeanty, un policier membre de « Fantom 509 » qui avait été révoqué de l’institution en mars 2021 et interpellé par la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) la même année pour des accusations d’assassinat, selon deux sources contactées par AyiboPost.
Il n’est pas clair si Jeanty est revenu dans l’institution policière.
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Le porte-parole de la police, Michel-Ange Louis-Jeune, a été contacté par AyiboPost le 29 mars 2025. Il a souligné ne pas avoir d’informations sur la gestion du personnel de l’institution et a référé AyiboPost à des directions, dit-il, plus compétentes, comme la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ).
La plupart des brigadiers se montrent aussi hostiles aux journalistes haïtiens et étrangers, qui, disent certains, donnent la parole aux bandits ou travaillent pour le compte de pays ennemis.
Le journaliste Arnold Junior Pierre travaille pour plusieurs médias de la capitale. Il raconte à AyiboPost avoir été victime d’agressions violentes de la part de brigadiers le mardi 10 mars dernier dans les environs de Delmas 27, alors qu’il prenait quelques photos de la zone désormais déserte et sombre.
Le professionnel explique avoir été stoppé par plusieurs civils à bord d’un véhicule. Il sera roué de coups et aurait pu être tué si ses bourreaux n’avaient pas remarqué dans son sac la présence de son badge de travail et sa carte d’identité.
Par : Junior Legrand & Lucnise Duquereste
Couverture | Photo d’un conteneur en guise de barrière contre l’insécurité en arrière plan. (Photo : Jean Feguens Regala)et d’un homme debout, tenant un bâton entre les mains. (Photo : Freepik) Collage : Florentz Charles pour AyiboPost – 07 mai 2025.
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