Les actions du recteur plongent l’institution d’éducation supérieure dans une crise où les accusations de népotisme se mêlent aux allégations de corruption
Lorsque Wilfrid Azarre accède au poste de recteur de l’Université publique du Bas-Artibonite à Saint-Marc en octobre 2021, il avait pour tâche de redresser l’institution d’État après la révocation de l’ancien responsable, largement critiqué pour son absentéisme.
Mais au cours de la même année, le nouveau recteur crée le poste de directeur des opérations pour son fils Adzenwiller Azarre, un individu ne détenant « aucun diplôme universitaire » dans son dossier à l’université, révèle à AyiboPost l’ancien responsable des ressources humaines, Oginer Emilzo. L’ancien administrateur de l’institution, Jean Eros Bayard Vincent, mentionne l’existence d’un certificat pour des études de droit. Il n’est pas clair si le directeur des opérations avait complété cette formation.
Avant son poste actuel, Adzenwiller Azarre était en charge de la section informatique de l’institution. Après son salaire, il reçoit de fréquents per diem, dont quatre chèques obtenus par AyiboPost révèlent un montant de 988 000 gourdes.

Copie des chèques de per diem de Adzenwiller Azarre en 2023 et 2024.
Le nouveau recteur crée le poste de directeur des opérations pour son fils Adzenwiller Azarre, un individu ne détenant aucun diplôme universitaire
En plus du népotisme, une bonne dizaine d’emplois dits fictifs ainsi que des instances de gaspillages de fonds publics existent au sein de cette Université Publique en Région (UPR), selon trois des anciens et actuels cadres interviewés par AyiboPost.
« Qu’il s’agisse de choses légales ou illégales, il faut faire ce que le recteur Wilfrid Azarre veut », déclare Jean Eros Bayard Vincent, ancien directeur administratif et financier de l’UPR. Il affirme avoir été menacé de licenciement par le recteur après avoir refusé de se plier à ses exigences.
Qu’il s’agisse de choses légales ou illégales, il faut faire ce que le recteur Wilfrid Azarre veut
-déclare Jean Eros Bayard Vincent
L’UPBAS s’inscrit dans un schéma récurrent. Les UPR – une dizaine dans le pays – doivent contribuer à la décentralisation de l’enseignement public, mais sont régulièrement éclaboussées par des scandales de corruption depuis leur introduction en 2006.
Ces institutions relevant du Ministère de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle affrontent également des problèmes de financement, le départ massif des professeurs à l’étranger et l’impossibilité pour d’autres de venir de la capitale.
Le recteur Azarre n’a pas répondu à une demande de commentaire transmise via son courriel le 30 janvier 2025. Il a ensuite demandé à rencontrer l’équipe d’AyiboPost à Saint-Marc, un déplacement impossible en raison du climat d’insécurité.
Malgré un manque de qualifications apparent, son fils, Adzenwiller Azarre participe à l’élaboration de contrats et perçoit des per diem pour des déplacements normalement réservés aux responsables administratifs et des ressources humaines, dénonce l’ancien administrateur de l’UPBAS, Jean Eros Bayard Vincent.
Les fonds de fonctionnement annuels de l’université se chiffrent à dix millions de gourdes. La majorité de ce montant sert à payer les per diem pour les déplacements. Le per diem du recteur s’élève à 14 000 gourdes par jour. Son fils reçoit 13 000 gourdes par jour.
À l’UPBAS, des déplacements relatifs au simple suivi de contrats peuvent durer jusqu’à trois semaines, ce qui suggère un abus du système. « Même lorsque le recteur n’est pas en déplacement, il réclame des per diem pour lui et son fils », révèle Jean Eros Bayard Vincent, pour qui « le recteur attribue trop de pouvoir à son fils. »
AyiboPost a contacté Adzenwiller Azarre au cours de cette enquête. Il n’a pas fait de commentaires, invoquant le secret professionnel.
Même lorsque le recteur n’est pas en déplacement, il réclame des per diem pour lui et son fils
-révèle Jean Eros Bayard Vincent
Vincent avoue avoir engagé des employés fictifs sur des listes fournies par le recteur. « Ces personnes qui sont à Port-au-Prince ne viennent jamais travailler à l’université », explique l’ancien responsable administratif.
Ces individus en question reçoivent une rémunération tous les mois et c’est le recteur qui se charge de récupérer leur chèque, précise Vincent.
La pratique constitue « un subterfuge pour les dirigeants de détourner les fonds alloués au fonctionnement de l’institution », indique à AyiboPost Marc Richard Lafalaise, ancien coordonnateur de la faculté de sciences juridiques, au courant de ces pratiques.
L’emploi fictif – le fait pour une personne de recevoir une rémunération pour un travail dont on ne peut justifier les tâches matérielles accomplies – ne constitue pas une infraction reconnue formellement dans les lois haïtiennes.
Toutefois, « d’autres infractions comme la concussion, le pot-de-vin ou le détournement de fonds peuvent être retenues en cas de poursuite d’une personne coupable », analyse Philippe Junior Volmar, spécialiste en droit du travail.
Une liste d’une dizaine d’employés fictifs communiquée par AyiboPost contient le nom de l’épouse du coordonnateur de la faculté des sciences de l’éducation, employée comme secrétaire au rectorat (le rectorat n’a pas de bureau formel) et une femme très proche du fils du recteur.
Un autre proche d’Adzenwiller Azarre, dénommé Frantzy Fils-Aimé, fait partie des employés dits fantômes.
L’emploi fictif – le fait pour une personne de recevoir une rémunération pour un travail dont on ne peut justifier les tâches matérielles accomplies – ne constitue pas une infraction reconnue formellement dans les lois haïtiennes.
En 2023, Jean Ronald Armand, ancien secrétaire administratif de la faculté d’agronomie, affirme avoir été chargé par le fils du recteur de « récupérer un chèque remis à un agent de sécurité de la Banque nationale de crédit (BNC) ».
L’ancien secrétaire déclare avoir reçu une enveloppe contenant de l’argent en espèces, accompagnée d’une souche de chèque au nom de Frantzy Fils-Aimé, indiquant un montant brut de 120 000 gourdes.
Suspectant une transaction frauduleuse, Jean Ronald Armand a conservé la souche comme preuve. Cette souche servira lors d’un dépôt d’une plainte au tribunal de première instance de Saint-Marc, le 18 octobre 2024.
Jusqu’à aujourd’hui, la fonction pour laquelle ce dénommé Fils-Aimé aurait perçu ce salaire reste inconnue, informe l’ancien secrétaire Jean Ronald Armand.
Azarre officie comme quatrième recteur de L’UPBAS depuis la création de l’institution en 2016.
Un conseil composé des doyens des cinq facultés – Sciences juridiques, Agronomie, Sciences de l’Éducation, Génie, Administration – ainsi que du directeur administratif et financier, du directeur des ressources humaines, du secrétaire général et du directeur des opérations, dirige l’établissement.
Le conseil devrait normalement prendre les grandes décisions de l’université, mais c’est le rectorat qui décide de tout, selon Vincent.
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Par exemple, la décision de diminuer les salaires de neuf employés de l’institution, dont celui de l’ancien directeur des ressources humaines Oginer Emilzo, réduit de 60 %, n’a pas été discutée au sein de la structure. Plusieurs employés accusent Emilzo d’avoir encaissé leur chèque sans autorisation.
L’université traîne également une montagne de dettes, chiffrées à des millions de gourdes.
L’UPBAS doit près de cinq millions à l’ancien officier d’État civil et entrepreneur influent de Saint-Marc, Charlienor Thompson, pour l’hébergement et la restauration d’une dizaine de professeurs entre 2020 et 2021.
La plupart de ces dettes soulèvent des questions de justification et de favoritisme.
Par exemple, l’UPBAS doit 2 144 565 gourdes à l’entreprise 3 Mar Dépôt de Saint-Marc pour la période d’avril à janvier 2023. Une partie de cette somme concerne l’acquisition des matériels didactiques, de bureau et des produits sanitaires, et l’autre, des prêts effectués au sein de l’entreprise.
Selon Martine Jacques, propriétaire de 3 Mar Dépôt, l’entente pour fournir ces matériels à l’UPBAS a été trouvée parce qu’elle était responsable à l’université. Jacques a occupé le poste de responsable culturelle, puis d’enseignante jusqu’au début de l’année dernière à l’université.
Elle déclare avoir résilié son contrat en janvier 2024, constatant que l’un des cours qu’elle dispensait a été attribué à un frère du doyen de la faculté des sciences juridiques.
L’entreprise Adelaïde Bar Resto a fourni des services de restauration et d’hébergement, à crédit, à une vingtaine de professeurs de l’UPBAS, du 22 juillet au 1er décembre 2022. Adelaïde revendique une dette totale de 2 052 950 gourdes.
Selon Daniel Daméus, propriétaire de l’entreprise, l’UPBAS a payé 850 000 gourdes en 2023, mais lui doit encore le reste du montant total.
En mars 2024, des responsables de l’université établissent des modalités de remboursement de la dette lors d’une réunion avec le responsable d’Adélaïde.
« Jean Eros Bayard Vincent m’a dit qu’il m’enverrait un chèque pour le compte de l’entreprise d’Adélaïde. Mais je devais leur retourner 15 % du montant que j’aurais à recevoir via un compte bancaire », révèle Daméus à AyiboPost.
Le lendemain, l’entrepreneur prend connaissance du numéro du compte envoyé par Vincent. Il dit constater qu’il s’agissait de celui d’Adzenwiller Azarre, le fils du recteur.
Daniel déclare avoir refusé de transférer les 15%, pensant qu’il s’agissait d’une forme de corruption.
Cette histoire contient « une part de vérité, le recteur a voulu que je fasse les suivis », a admis Vincent, qui nie cependant avoir été directement impliqué.
Le paiement de commissions illicites est puni par la loi sur la prévention et la répression de la corruption du 12 mars 2014. Le fonctionnaire concerné encourt une peine de réclusion et une amende équivalente au triple du montant reçu.
Le 21 mars 2025, le « Syndicat des employés victimes de l’UPBAS » a organisé une conférence de presse pour dénoncer le recteur Wilfrid Azarre et son fils Adzenwiller Azarre, accusés d’avoir retenu leurs chèques.

Syndicat des employés victimes de l’UPBAS dans une conférence de presse pour dénoncer le recteur Wilfrid Azarre et son fils Adzenwiller Azarre, accusés d’avoir retenu leurs chèques, 21 mars 2025. Photo : Inconnue
Pour l’heure, une plainte a été déposée auprès du parquet du tribunal de première instance de Saint-Marc pour mauvaise gestion des fonds alloués à l’université par des étudiants de l’UPBAS, le 18 octobre 2024.
La situation de crise à l’université ne fait pas l’unanimité. « L’université fonctionne 24 heures sur 24. Seuls d’anciens employés cherchent à semer la panique », affirme Frisnel Loziste, l’actuel coordinateur de la Faculté des sciences de l’éducation, contacté par AyiboPost. Selon lui, le véritable problème à l’UPBAS concerne l’aménagement de l’espace et le manque de chaises pour accueillir la nouvelle cohorte d’étudiants.
Par Rolph Louis-Jeune & Jérôme Wendy Norestyl
Couverture | Syndicat des employés victimes de l’UPBAS dans une conférence de presse pour dénoncer le recteur Wilfrid Azarre et son fils Adzenwiller Azarre, accusés d’avoir retenu leurs chèques. Photo : Inconnue – 21 mars 2025
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